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Entretien avec Cédric Gerbehaye, photojournaliste «Au Congo, il y a toujours des victimes du conflit»
Publié dans Le Soir Echos le 25 - 09 - 2010

Les photographies de Cédric Gerbehaye constituent une plongée percutante dans les limbes de la République Démocratique du Congo (RDC). Reflet d'une série de sept reportages, « Congo in Limbo » est un témoignage frappant mais nécessaire des drames qui ravagent l'ancienne colonie belge, depuis son indépendance en 1960.
© Cédric Gerbehaye / Agence VU pour Geo France.
Pendant 3 ans, vous avez photographié au fil du fleuve Congo les réalités d'un pays fragile. Comment est né « Congo in Limbo » ?
Pendant 3 ans, vous avez photographié au fil du fleuve Congo les réalités d'un pays fragile. Comment est né « Congo in Limbo » ?
Ce projet est le sixième reportage d'une série de 7 pour le magazine GEO. J'ai entamé un travail documentaire à partir du mois de juin 2007, avec l'intention de terminer en juin 2010 pour les 50 ans de l'indépendance du Congo. Le fleuve me permettait de faire un lien physique et géographique entre les deux limbes de mon travail, entre l'Est et l'Ouest. A l'Est, je me suis intéressé aux conflits, à leurs conséquences et aux ressources minières. Le fleuve me permettait de faire le lien avec l'Ouest, en traversant le pays par la forêt équatoriale avant d'arriver vers Kinshasa.
Avez-vous perçu des évolutions de la situation durant ces 3 ans, entre 2007 et 2010 ?
Je n'ai pas vu d'évolution. J'ai vu une volonté de faire avancer certaines choses avec la date historique et symbolique des 50 ans d'indépendance. Il y avait beaucoup de gens qui s'affairent pour mettre les choses en place, mais il n'y a pas de réelle évolution. Il y a toujours des victimes directes et indirectes du conflit, les populations sont toujours déplacées et les femmes violées. L'accès aux soins de santé est toujours inaccessible. Certains déplacés ont pu revenir sur leur lieux d'origine, mais d'autres sont toujours déplacés.
L'efficacité de l'ONU en RDC a dernièrement été remise en question, suite au viol collectif de femmes survenu dans le Nord Kivu, à l'est du pays. Quel rôle peut jouer l'ONU dans cette situation ?
Il faut rester réaliste par rapport au rôle de la MONUSCO. Celle-ci a remplacé depuis juillet 2010 la MONUC, ajoutant un « S » dans son nom pour la stabilisation de la situation. Les termes sont importants. C'est la plus grande force de maintien de la paix avec environ 20.000 personnes des Nations Unies. Les casques bleus sont très nombreux. Cela n'a pas contribué à ramener totalement la paix au Congo, mais sans elle, ce serait pire. Sa présence apporte des choses, énormément de projets sont mis en place, notamment dans le domaine de la protection de l'enfant, qui aide à la démobilisation des enfants soldats. Les agents des Nations Unies sont actifs pour l'amélioration des conditions de vie. La MONUC a surtout été décrié dans le rôle de son bras armé, avec les casques bleus et leur fonction sur place.
50 ans après l'indépendance, quel souvenir gardent les congolais de la colonisation belge, qui a duré de 1885 à 1960 ?
Certains en ont gardé un très bon souvenir, il y a eu des bonnes choses profitables mais quand on voit la manière dont le pays a évolué et a été spolié, on peut parler d'un viol à l'état du pays. Ceux qui gardent un bon souvenir disent que c'était difficile mais que c'était plus structuré, notamment en termes d'accès à la santé.
Certaines de vos photos montrent le succès que connaissent les églises évangéliques en République Démocratique du Congo. Comment expliquez-vous ce mouvement de l'éveil et en quoi transforme-t-il la société congolaise ?
L'éveil religieux soulage la souffrance, c'est une des conséquences du conflit. S'il y avait moins de personnes qui souffraient du conflit, moins de personnes iraient dans ces églises. Les églises de l'éveil donne des réponses rapides aux problèmes. Les pasteurs s'enrichissent sur le dos des populations qui cherchent une réponse. Les personnes qui viennent sont celles qui fuient le conflit, et vivent dans une situation difficile, mais ce sont également les femmes qui n'arrivent pas à avoir des enfants, les maris infidèles ou encore le phénomène des enfants sorciers, expulsés de leur foyer. Les églises de réveil sont un aspect et une réalité importante au Congo.
Comment les congolais réagissaient-ils face à votre appareil photo ? Ont-ils une volonté de dire et de montrer ce qui se passe dans leur pays ?
Cela dépend des endroits. Parfois, la photo n'est pas acceptée, mais tout est question de rapport aux personnes photographiéees. Cela relève souvent de la communication non verbale, de la manière dont on se présente et on se meut. La majeure partie des gens sont conscients du travail des photographes, d'autres, dans des régions plus reculées, ne connaissent pas. La photographie, avant d'être d'information, est là comme document de mémoire au Congo. Le photographe est là pour faire un portrait, un carte, une pause, alors les gens se présentent devant l'objectif, avec l'envie qu'on leur tire le portrait.
Depuis son indépendance, la République Démocratique du Congo a connu de nombreuses années de violences, qui ont laissé le pays exsangue, sans que la démocratie ou la paix ne puissent réellement s'installer. Quelles lueurs d'espoir et quelle possibilité de changement avez-vous percu au cours de vos reportages ?
Il y a énormément d'espoir auprès des femmes, elles ont une force et une grande importance dans la société, au niveau du foyer, de la famille. J'aimerai faire preuve d'espoir, je le souhaite mais ce n'est pas simple. A la veille des 50 ans de l'indépendance, on annoncait la mort de Floribert Chebeya, défenseur des droits de l'homme. En août, le viol de masse de femmes a été fait volontairement. Il n'y a pas eu de conflit avant le viol, les gens se sont rendus sur place dans le but de violer. Ces indicateurs ne sont pas porteurs d'espoir. Il est très difficile de faire que l'Etat de droit s'impose dans des régions aussi reculées que les collines du Kivu. Les élections présidentielles de 2011 seront un bon élément pour voir comment évolue la situation.
Vous avez choisi la photographie comme mode d'écriture journalistique. Quelle place a pour vous l'image dans le récit et le témoignage du réel ?
La photographie m'a permis de travailler pour les médias à l'international, en étant totalement libre. J'ai toujours été intéressé par ce type de sujets sur lequel je travaille maintenant. Alors que j'étais encore étudiant, j'étais parti photographier dans les territoires palestiniens. Je m'intéresse au rôle de l'image fixe, par rapport à ce qu'elle peut apporter en thème de réflexion et de compréhension du monde. La photographie est un objet de partage sur une situation donnée qui permet de comprendre ce que vivent certaines personnes. Dans mon travail journalistique, je pars avec des questions, puis je construis la narration sur la base de l'image.
Biographie Cédric Gerbehaye
Né en 1977 en Belgique, Cédric Gerbehaye a suivi une formation de journaliste, avant de choisir comme média de prédilection la photographie. En 2002, il s'intéresse au conflit israélo-palestinien en tentant d'analyser la déception et la révolte que l'échec des accords d'Oslo a engendrées, en Israël comme en Palestine. Il réalise ensuite d'autres reportages à Hébron et à Gaza, puis sur la crise économique et sociale qui sévit en Israël, avant de se pencher sur la question kurde, tant en Turquie qu'en Irak.
À partir de 2007, il se rend régulièrement en République démocratique du Congo. Son travail « Congo in limbo » lui vaut sept distinctions internationales, parmi lesquelles un World Press Photo, l'Amnesty International Media Award et l'Olivier Rebbot Award décerné par l'Overseas Press Club of America. Son travail était exposé dans le cadre du Festival « Visa pour l'Image », grand rendez-vous du photojournalisme, à Perpignan, en France.
Historique de la RDC
1885: La région devient une colonie belge, sous l'égide du roi Léopold II. Elle prendra le nom de Congo belge, quelques années plus tard, en 1908.
1960: Indépendance de la République du Congo, sous la présidence de Joseph Kasavubu, et avec Patrice Lumumba en Premier ministre. Des tensions éclatent rapidement, entraînant une véritable guerre civile. Joseph Mobutu prend le pouvoir après un coup d'Etat.
1970: Sous l'impulsion de Mobuto, le Congo est rebaptisé « Zaïre ». Un régime de parti unique s'installe jusqu'en 1990.
1996: Mobutu est renversé par la rébellion menée par Laurent-Désiré Kabila. Le Zaïre devient « République démocratique du Congo » (RDC). Mobutu meurt en exil à Rabat.
1996-1998: De violents conflits éclatent avec les rebelles du Kivu, faisant plus de trois millions de morts en RDC.
2001: Laurent-Désiré Kabila est assassiné. Son fils Joseph Kabila lui succède à la tête de l'Etat.
2006: 1ères élections démocratiques depuis 40 ans. Joseph Kabila est élu président.
Pour voir le travail de Cédric Gerbehaye :
2 sites internet :
- http://www.congoinlimbo.com/
- http://www.condition-critical.org/fr/feature/
Et un livre : « Congo in limbo », Editions Le Bec en l'air, 2010.


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