En seize épisodes, Le Soir échos reprend les extraits de «1956: ombres et lumière», un travail de recherche accompli, où ses auteurs A. El Ghazouani et K.H. Loudiyi, reviennent sur une des pages les plus marquantes de l'histoire du Maroc. L'objectif des auteurs de cet ouvrage est de jeter quelque lumière sur une période de notre histoire, à la fois proche et lointaine, mais néanmoins encore mal connue, celle de l'aube de l'indépendance du Maroc. L e Maroc moderne ne commence pas le 16 novembre 1955, avec le retour d'exil de Sidi Mohammed Ben Youssef. Ni même le 30 mars 1912, avec le traité instituant un protectorat français au Maroc. Non. Le Maroc moderne, celui que nous connaissons, celui que nous vivons dans notre chair, celui que nous pressentons inquiet, fiévreux, traversé par des mouvements de houles profonds, un Maroc qui se cherche, qui se remet en question et qui, peu à peu prend conscience de la nécessité d'emprunter la grande route de l'histoire, ce Maroc-là est né en août 1844, au bord de l'Isly, d'une défaite militaire sans appel. L'historien Naciri, observateur perspicace, écrira à la fin du XIXe siècle que, progressivement, mais irrémédiablement, pour les Européens «se trouva ouverte une porte qui leur était fermée auparavant». Porte ouverte, porte forcée. Ainsi le monde moderne fit-il irruption dans notre pays. De la défaite militaire … La colonisation de l'Algérie par les Français avait commencé en 1830. Miège raconte : «…Les expéditions punitives contre les tribus frontalières marocaines qui prêtaient main-forte aux Algériens finirent par accentuer l'implication du Sultan dans le conflit et à l'acculer à une confrontation directe avec les Français. Le choc décisif se produisit le 14 août 1844 sur les bords de l'Oued Isly. Les Marocains se portèrent à la rencontre de l'ennemi selon des méthodes ancestrales de combat. Leurs forces furent disloquées par l'artillerie ennemie». A partir de cette date, une transformation des rapports entre le Maroc et l'Europe va s'opérer. Car, «ce qui s'était effondré à Isly, c'était bien plus qu'un corps d'armée : la réputation militaire du Maroc». Par le Traité de Lalla Maghnia, le 18 mars 1845 , le Makhzen s'abstient dorénavant de porter assistance aux combattants de l'émir Abdelkader ; il est tenu pour responsable du comportement des tribus frontalières. A l'assujettissement économique Le Traité de commerce signé avec l'Angleterre en 1856 va ouvrir le Maroc aux entreprises européennes. Mais ce traité favorise les nations européennes, fortes de leurs capitaux, de leurs techniques et des exemptions d'impôt dont elles vont bénéficier. Leurs firmes s'accaparent du commerce maritime et rejettent dans le rôle d'intermédiaire les négociants marocains. L'abaissement des droits de douane stimule les importations, alors que les hauts droits freinent l'exportation. L'artisanat est frappé de plein fouet par la concurrence européenne. En outre, les Européens ont des «protégés» marocains, associés commerciaux ou agricoles, qui échappent, de fait, aux lois marocaines, et qui, comme les Européens, sont exempts de taxes et de saisies. Le gouvernement marocain abandonne en fait son droit de justice à l'égard des Européens et d'une partie de ses sujets. La fin de la souveraineté de l'Etat marocain Devant l'extension de la protection, le Makhzen souhaite qu'en soit revu le principe. Une conférence se tient à Madrid du 19 mai au 3 Juillet 1880. L'objectif principal, à savoir les restrictions sur la protection des agents commerciaux n'est pas atteint. Citant Miège : «Le fait d'avoir réuni la conférence hors du Maroc, d'y avoir discuté non seulement de protection, mais de propriété, de naturalisation, de taxes, de liberté religieuse, signifiait que le Makhzen n'était plus libre de ses actes». En germe, Madrid 1880 contient Algésiras 1906. La conférence d'Algésiras se tient du 16 janvier au 7 avril 1906. Treize pays sont représentés : en plus de l'Empire chérifien, onze pays européens, ainsi que les U.S.A. La France et l'Espagne obtiennent des «droits particuliers» sur le Maroc. Le 8 avril 1904, déjà, avait été signé, à Paris, un accord entre la Grande–Bretagne et la France, accord qui comportait des clauses secrètes : Londres «renonçait» au Maroc, et Paris à l'Egypte. Au Quai d'Orsay, c'est l'euphorie. : «La partie capitale de l'arrangement qui vient d'être conclu concerne le Maroc. De toutes les questions où sont engagés les intérêts de la France, aucune, en effet, n'a une importance comparable à la question marocaine. Le Maroc a une population, de beaucoup, supérieure à celles de l'Algérie et de la Tunisie réunies, par conséquent une main-d'œuvre plus abondante ; et il possède ce que n'ont ni la Tunisie ni l'Algérie : l'eau». Le 30 mars 1912, est signé à Fès par le Sultan Moulay Hafid et le représentant de la France, Eugène Regnault, le traité instituant un protectorat français au Maroc. Le 27 novembre 1912, à Madrid, est signée une convention destinée à «préciser la position respective de la France et de l'Espagne à l'égard de l'Empire chérifien». En 1853, sous la menace des canonnières du commodore Perry, celui-ci au nom des U.S.A., le Japon est contraint de s'ouvrir au commerce occidental. Mais, ensuite, les choses au pays du Soleil Levant ont été bien différentes. En 1868, débute l'ère du Meiji, le gouvernement éclairé. Et, en 1905, à la stupéfaction générale, les Japonais écrasent la Russie. Quant au pays du Soleil Couchant, par le Traité de Fès, il est en fait démembré et «protégé».