R ien n'est moins surprenant que l'existence et la vitalité de l'association des amis dAbdelmalek Sayad car l'apport, la vision, lestyle tout empreint de loyauté intellectuelle et de perspicacité politique de ce chercheur furent vraiment fondateurs et restent indépassés. Quant au souvenir laissé par l'homme, il est si vivace que ses amis, collègues ou disciples, en parlent comme d'un contemporain capital qui a enrichi la comréhension du phénomène migratoire, son analyse et, pourrait-on dire, sa mise en circulation dans la pensée sociale, politique et historique sans jamais perdre de vue le destin privé des hommes et des femmes rendus à leur individualité malgré les bourrasques collectives. Avec Pierre Bourdieu et son équipe, il a en outre contribué à renouveler la réflexion et le regard sur la fabrication de la pauvreté. On ne peut donc que se réjouir de la publication, l'hiver dernier, aux éditions Le Fennec d'un beau volume d'études et de témoignages permettant de prendre toute la mesure des travaux de ce grand sociologue algérien dont un lycée français devait prendre le nom avant qu'un conseil municipal particulièrement obtus y mette le hola dans un grand accès de bêtise. Le Conseil de la communauté marocaine à l'Etranger et le Ministère chargé de la Communauté marocaine résidant à l'étranger se sont heureusement associés aux amis d'Abdelmalek Sayad et à l'Agence française pour la cohésion sociale et légalité des chances afin de donner à lire les actes du colloque international qui,les 15 et 16 juin 2006 à Paris, avaient réuni la crème des chercheurs. Mohammed Boudoudou clôt ce volume de façon si frappante et probante qu'on le citera d'emblée: «Et c'est là qu'il m'annonça, sur un ton ''hyper sérieux» (que je ne lui connaissais pas encore): «Tu sais … Tu te dois à la fois d'oublier que ton père est un émigré- immigré et, en même temps, de l'inviter dans tes analyses, sur le mode du cas exemplaire de sa catégorie d'absence dans la présence et de présent dans l'absence». « Et il ajouta» au lieu d'écrire n'importe comment, «plupart des pages étaient d'ailleurs traversées de ratures…» commence d'ailleurs par lire quelques pages des classiques de la sociologie comme de la recherche en sociologie des migrations internationales. Alors, renvoyons-nous ce conseil et veillons à lire et à faire lire Abdelmalek Sayad. Réclamons à nos libraires de tenir à la disposition des lecteurs son ouvrage intitulé La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré (Seuil, 1999) que Pierre Bourdieu préfaça. De Sayad partageur de savoirs et de questions, Christian de Montlibert estime que la legs consiste à inviter à entendre que «les outils et les manières proprement sociologiques d'analyser (le fait migratoire) contribuent à plus de raison et peuvent ainsi mettre à distance les nombreuses représentations collectives» construites le plus souvent sur des positions défensives contre un étranger si étrange qui encombrent aussi bien la pensée politique de l'immigration que les réactions personnelles des immigrés. Dimitri Fazito a rappelé l'originalité avec laquelle Sayad envisagea les mouvements migratoires comme «d'authentiques projets collectifs» comme un »facteur social total». L'arrachement d'une main- d'oeuvre à ses biens sociaux traditionnels, tel qu'étudié par Sayad a nourri jusqu'au Brésil l'attention des sociologues et des anthropologues et c'est ainsi que le chercheur algérien fut traduit à Sao Paulo où on lit encore aujourd'hui Aimigraçao ou os paradoxos da alteridade. Fazito y réfléchit à son tour: '' Entre janvier et mai 2004, environ 1000 émigrés brésiliens ont été renvoyés par les autorités nord-américaines… il note ceci:''En fin de compte, l'échec individuel de ces illégaux (…) sert à maintenir l'illusion d'un projet d'émigration, à préserver la logique et le fonctionnement d'un jeu des forces sociales, responsable du renforcement des representations mythiques du succès d'une classe sociale sur les autres''. L'article fondateur de Sayad ''Immigration et pensée de l'Etat'' est sollicité par Laurence Fillaud-Jirari dans sa propre étude consacrée à ''Immigration et pensée d'Etat au Canada et au Québec''. Abdelhafid Hammouche, quant à lui, montre comment la ''banlieue'' depuis les années 1970 et le débat sur la torture durant la guerre d'Algérie dans les années 2000 permettent de questionner la remise en question des ''frontières intérieures». Les indications bibliographiques présentées dans Actualité de la pensée d'Abdelmalek Sayad sont nombreuses à exciter l'intérêt. Par exemple, tel colloque à l'ENS de Lyon «Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l'histoire franco-algérienne». On se souviendra et on invitera autrui à se souvenir de cette phrase de Sayad dans L'immigration ou les paradoxes de l'altérité: «on ne peut écrire innocemment sur l'immigration et les immigrés». La richesse des contributions au colloque Actualité de la pensée d'Abdelmalek Sayad est telle qu'on ne peut ici qu'être allusif. Néanmoins, on s'en voudrait de ne pas saluer une étude qu'on aimerait voir développée, celle d'Abdellatif Hajjat: De l'Etoile nord-africaine au moment des travailleurs arabes: apport et actualité de Sayad pour une sociologie des mouvements politiques de l'immigration postcoloniale. L'Italien Salvatore Palidda fut sans doute en 2006 le plus radical des intervenants lorsqu'il mit au défi la science de la migration de rendre compte des pratiques de la guerre aux migrants. Sayad, nullement obsolète, continue d'enseigner la vigilance à ceux dont les travaux succédent aux siens et qui ont voulu marquer nettement leur gratitude à celui qui martetait le droit d'avoir des droits.