Il y a une phrase un peu bateau et que tout le monde connaît, même ceux qui n'y connaissent rien : «La critique est facile, mais l'art est difficile». Si je vous la sers à l'entrée et pas au dessert, c'est parce que je veux l'évacuer tout de suite. Je vais peut-être vous étonner, mais je ne suis d'accord qu'à moitié avec ce proverbe. Et vous allez bientôt savoir de quelle moitié il s'agit. On me demande souvent où je puise mes idées pour pouvoir vous livrer un papier pratiquement par jour. Et je donne toujours la même réponse : je n'ai jamais aucun problème d'inspiration, pour la simple raison que je trouve tout ce que je veux chaque jour sous mes yeux. Comme il m'arrive souvent de dire en plaisantant à peine, il me suffit de sortir sur mon balcon, de regarder à travers la vitre de ma voiture ou de mon bureau, de m'attabler à une terrasse de café, de marcher dans la rue, et bien sûr, de regarder nos télés et d'écouter nos radios, et mon billet est quasiment écrit. Si je ne craignais pas que mon patron n'en profite pour baisser mes émoluments, je vous aurais confié que je n'ai aucun effort à faire. Bon, pour être honnête et pas forcément modeste, je dois dire qu'on a besoin quand même d'un peu de talent - et ça, comme vous le savez, j'en ai à revendre - d'un peu de technique - et ça, avec le temps, ça devient mécanique - et, enfin, il faut du baratin - et ça, quand on ne l'a pas, on l'a dans le baba. Moi, le bagout, c'est mon capital-risque. Dès que je suis dans l'embarras, c'est-à-dire presque toujours, je sors mon arme favorite : la parlote. C'est vraiment une arme de persuasion massive. Ça tire (satire ?) dans tous les sens et ça marche à tous les coups. C'est ainsi que, muni de tout cet arsenal – que je rappelle pour les étourdis : génie, méthode et bavardage – je m'en donne à cœur joie. Eh oui ! Parce qu'en plus je me marre ! Et plus je me marre, et plus vous avez des chances de vous marrer vous aussi. A contrario, quand il y a un truc qui m'agace, je n'aime pas le laisser pour moi tout seul, et le jour même, je m'empresse de vous le servir tout chaud. J'ai le sens du partage. Mais quelle que soit l'info que je vous ramène, agréable ou déplaisante, je fais toujours en sorte qu'elle vous fasse marrer. J'en fais une affaire d'honneur et... d'orgueil. En vérité, j'essaye de jouer jusqu'au bout mon rôle de clown de service pour lequel j'ai été engagé. Et croyez-moi, c'est loin d'être toujours marrant. Je vais vous donner un exemple. Ça ne se voit pas du premier coup et ça ne se devine pas quand on ne me connaît pas, mais je suis un grand amateur d'art. Alors, naturellement, je suis de toutes les expositions et de tous les vernissages. Justement, tout à l'heure j'ai accouru pour découvrir et admirer les œuvres d‘un jeune peintre dont j'avais entendu le plus grand bien (Il s'agit de Youssef Douieb, c'est à la galerie Alif Ba, et ça vaut vraiment le détour). Arrivé sur place, j'ai trouvé la galerie archi pleine, et il y avait plein de monde dehors. Je me suis frayé tant bien que mal un chemin pour me retrouver enfin à l'intérieur, bousculé par les uns, écrasé par d'autres et regardé de travers par tous. J'étais un des rares pour ne pas dire le seul à m'intéresser aux superbes tableaux accrochés aux murs. Je vous rappelle en passant que c'est un peu pour ça que j'étais venu. Et c'est toujours comme ça. On arrive, on salue les convives, on regarde à droite et à gauche qui on n'a pas envie de voir, on s'assure qui nous a vu et qui doit obligatoirement nous voir, et après, va que je papote, va que je radote et va que je tape sur les potes. Et la peinture ? Quelle peinture ? Ah ! Les tableaux ? Ne vous en faites pas, j'enverrai mon chauffeur les chercher...