Capitale nationale de l'huile de l'olive et des figues, la province de Taounate n'en demeure pas moins démunie. C'est même l'une des régions les plus pauvres du Maroc. Aux abords des montagnes du Rif, elle est l'objet d'une vaste opération de lutte contre la culture du kif. «Cette province n'a jamais bénéficié d'un véritable plan de développement local. Deux indicateurs: le taux très élevé d'abandon scolaire et l'importance des petites «bonnes» originaires de Taounate qui travaillent dans les maisons», explique un militant des droits de l'homme de la ville, Radi Ahmad. D'où l'intérêt du projet européen d'aide à l'aménagement hydro-agricole du périmètre Sahla des agriculteurs de Taounate. Financée à hauteur de 58% par un don de l'Union européenne, cette opération pilote doit améliorer la gestion des ressources en eau de la région et mettre en valeur un nouveau périmètre irrigué. Développement local Le projet cible les communes de Mezraoua et Taounate. Dans cette zone, la structure foncière caractérisée par la prédominance de la micropropriété donne une idée sur le degré de précarité des agriculteurs : 60% des exploitations sont de taille inférieure à deux hectares et 30% varient entre deux et cinq hectares. Quelque 7.400 habitants sont directement touchés par le projet pour un total de 2.942 exploitations. Le barrage de Sahla est la seule ressource d'eau pour l'irrigation des terres avec une capacité totale de retenue avoisinant les 62 millions de m2. Le projet dont le coût global tourne autour de 532 millions de dirhams (environ 50 millions d'euros) est financé à 41% par le budget général marocain et 3% par les bénéficiaires. Ces derniers participent à travers la prise en charge des frais de plantation des arbres ainsi que du coût de l'occupation temporaire des terrains au cours des travaux. Le retour sur investissement du projet est estimé à 15,5%. Le ministère marocain de l'Agriculture l'explique par le fait que la valeur de la production agricole de la région devrait passer de 28 à 115 millions de dirhams. «L'intérêt du projet est de créer non seulement de la valeur ajoutée et de l'emploi, mais aussi d'assurer une gestion décentralisée du développement en s'appuyant sur les structures locales, qu'elles soient administratives ou électives. La participation des usagers dans la définition des stratégies futures et dans la prise en charge financière de l'exploitation durable des équipements est un objectif prioritaire», estime-t-on du côté de la Direction provinciale de l'agriculture (DPA) à Taounate. Avant d'ajouter : «Dans cette démarche, deux options stratégiques ont été retenues, à savoir l'approche participative pour l'appropriation, la gestion et l'exploitation des investissements réalisés ; la promotion des structures locales (communes rurales, Chambres d'agriculture, organisations professionnelles) pour garantir une gestion décentralisée des équipements». Tous les types de cultures sont concernés : les grandes cultures, le maraîchage, l'arboriculture fruitière, les plantes aromatiques et médicinales, l'élevage bovin laitier, l'élevage bovin d'embouche, l'élevage ovin, l'apiculture et le petit élevage. Quinze coopératives sont parties prenantes du projet et sont représentatives du type de cultures qui existent dans la région. Apprendre à s'organiser Les voyages techniques en Europe sont destinés à renforcer la capacité managériale de l'ensemble des acteurs individuels et institutionnels du projet Sahla, notamment les techniciens et les agriculteurs qui se sont fédérés en associations. Objectif : communiquer un savoir-faire aux acteurs locaux afin qu'ils deviennent indépendants dans la gestion de leurs affaires. «J'ai fait partie d'un voyage dans la région de Toulouse. J'ai appris beaucoup de choses, notamment dans les techniques d'engraissement, d'exploitation. J'étais accompagné par des agriculteurs de Taounate qui ont vu comment leurs confrères en France étaient organisés en coopératives et comment ils se prenaient eux-mêmes en charge», atteste le technicien Mohammad Labrouj. D'autres ont fait un déplacement similaire, cette fois-ci en Espagne. Au total, 23 personnes dont 16 agriculteurs du périmètre Sahla et 7 cadres représentant le projet, la DPA de Taounate et les centres de travaux de Tissa et de Aïn Aïcha sont partis en voyage en Andalousie afin d'apprendre les techniques de maîtrise des ressources en eau. «Le modèle d'encadrement en Europe est totalement différent du nôtre. Les agriculteurs sont plus dynamiques en Europe et se fédèrent en association. Chez nous, c'est le pouvoir public qui doit tout faire», explique Abderrazak Ikama, chef du projet à Sahla. «On a appris que l'organisation est la chose la plus importante et qu'il fallait être entreprenant», souligne Mohammad, agriculteur. «En Andalousie, les agriculteurs sont impliqués dans la gestion et l'exploitation des eaux. Ce qui leur permet de préparer leurs propres projets pour réparer tel ou tel problème. Et c'est après qu'ils demandent à l'Etat un appui, technique et matériel», observe Ikama. «À notre retour au pays, nous avons entrepris des sessions d'évaluation et rendu compte de ce qu'on a appris», ajoute un autre agriculteur. «Ce genre de voyage est d'une importance capitale afin de changer l'état d'esprit de nos agriculteurs. D'ailleurs, à notre retour, une coopérative de tabac et une autre de cultures maraîchères telles que les fraises ont vu le jour. C'est une implication directe du voyage», conclut, enthousiaste, Ikama. Le Maroc jouit d'un statut de partenaire avancé Le partenariat entre l'Union européenne et le Maroc date de 1969 avec l'entrée en vigueur d'un accord commercial. L'accord de coopération de 1976 se compose lui de quatre protocoles financiers qui ont concerné le développement rural, les infrastructures économiques, le secteur social, le secteur privé et la formation. Les années 90 marquent un saut qualificatif dans les relations entre l'Union européenne et le Royaume avec la déclaration de Barcelone en 1995, la conclusion de l'accord d'association en 1996 et surtout le lancement du programme MEDA 1996-1999. MEDA II verra le jour en 2000. En 2003, c'est l'adoption par la Commission de la Politique européenne de voisinage suivie deux ans plus tard du plan d'action fixant les domaines prioritaires. Puis finalement, l'adoption du document stratégique pour le Maroc 2007-2013 ainsi que du programme indicatif national (PIN) 2007-2010. Depuis 2008, le Maroc jouit d'un statut avancé. La stratégie 2007-2013 identifie cinq priorités d'intervention : développement des politiques sociales, modernisation économique, appui institutionnel, bonne gouvernance et droits de l'homme, et la protection de l'environnement. Quelque 296 millions d'euros, soit 42,3% du montant total du budget, ont été dédiés au volet social. Il est suivi par le volet économique (231,67 millions d'euros), l'appui institutionnel (93 millions d'euros), environnement (50 millions d'euros), gouvernance/droits de l'homme (28 millions d'euros). L'appui de l'Europe a concerné en premier lieu l'accompagnement des réformes comme l'assurance maladie, l'eau et l'assainissement, le transport, l'administration publique, l'habitat insalubre, la fiscalité, l'éducation et la santé.