Le spectre du fameux bug boursier de 2008 plane toujours. Il ne s'est pas encore fait oublier qu'une autre affaire avec des relents similaires se précise. Toutefois, même s'il est question de défaillance informatique, on aurait tort d'assimiler le «dossier» en cours à celui qui a coûté sa place à tout le directoire de la Bourse de Casablanca (BVC). L'incident remonte à fin décembre 2009, le vendredi 25, plus précisément. Vers 10h, peu de temps après l'ouverture du groupe de cotation en continu 01, la société de Bourse Attijari Intermédiation a contacté la Bourse de Casablanca, pour signaler que des ordres introduits avant l'ouverture, sur la valeur Attijariwafa bank n'ont pas été pris en considération par le système lors du fixing d'ouverture. Selon un rapport émanant de la Direction des systèmes d'information de la BVC, «les ordres ont été introduits avec le type de prix ATP. Parmi les 1.230 ordres saisis dans deux paniers, 412 ordres seulement ont été acquittés». Suite à quoi Attijari Intermédiation a demandé l'annulation des transactions concernant les ordres de vente exécutés. Néanmoins, la Surveillance de la BVC, brandissant les articles 12 quater de la loi (1-93-211), ainsi que le n° 3.3.43 du règlement général de la Bourse, a répondu que les transactions ne pouvaient être annulées. En effet, ce dernier article stipule que «la Bourse de Casablanca peut annuler des transactions en cas d'incident technique ou d'erreur de la société gestionnaire, sur les paramètres de cotation d'une ou de plusieurs valeurs, ou suite à une erreur ayant conduit à la cotation d'un cours aberrant, ou portant sur une valeur cotée au fixing». Or, selon un autre rapport en provenance de la direction des marchés de la BVC, «aucune trace d'ordres rejetés ou de problème technique n'a été trouvée. Le motif d'incident technique ne pouvait donc être retenu à ce moment pour procéder à l'annulation des transactions». En outre, toujours selon la direction des marchés, l'ordre d'achat de 320.000 titres ATW et 834 ordres de vente, représentant un total de 208.500 actions ATW ne sont jamais parvenus à la plateforme de cotation NSC de la BVC et n'ont d'ailleurs pas fait l'objet d'un acquittement de la part de ce système. Une saturation de mémoire vive Il importait dès lors de déterminer l'origine de ladite erreur. A cet égard, une équipe de la BVC s'est déplacée chez Attijari Intermédiation afin de recueillir toutes les informations nécessaires et consulter les postes à partir desquels les ordres avaient été transmis. Ces informations ont été transmises à la DSI de la BVC qui, après une première analyse, a transmis son rapport à la société Sungard, éditrice du logiciel de négociation GL Win, qui a servi à la transmission des ordres sujets à discorde. Verdict : l'incident serait dû à une saturation de la mémoire tampon (spooler) de GL Win, du côté d'Attijari Intermédiation. Un manque à gagner de plus de 10 MDH Cette saturation serait due au fait que le nombre d'ordres était très important. «L'excès d'ordres par rapport à la mémoire de GL n'est ainsi pas pris en compte par le système et ne peut donc parvenir à la plateforme NSC », peut-on lire dans le rapport de la direction des marchés de la BVC. L'éditeur a également transmis la procédure pour corriger le bug. A ce stade, on pourrait penser que tout est bien qui finit bien. La réalité est cependant toute autre, puisque Attijari Intermédiation réclame pas moins de 10,109 millions de DH à la BVC. Motif : du fait de la non-prise en compte de ses ordres d'achat et de vente, la société de Bourse a réinitialisé ces ordres, le jour même de l'incident, à partir de 11h51. Elle aurait ainsi procédé à l'achat, pour le compte de son client, de 341.286 titres ATW au cours moyen de 244,93 DH. Selon les informations circulant sur le marché, les donneurs d'ordres ce jour-là (25 décembre) faisaient partie du personnel d'Attijari, et devaient acheter des actions ATW au prix de 231 DH l'unité. Or, suite à la congestion du système à l'ouverture de la cotation, ces actions ont été payées 245 DH l'unité, d'où un manque à gagner évalué par Attijari Intermédiation à 4,49 millions de DH. En outre, la société de Bourse a procédé à la vente, pour le compte du personnel, de 307.500 titres ATW au cours de 245 DH, ainsi qu'à l'affectation au compte propre des ventes effectuées à l'ouverture, soit 99.000 titres. Le résultat comptable de ces différentes opérations serait une perte qui s'élève au montant réclamé par la société de Bourse en remboursement par la Bourse de Casablanca. Sur le marché, l'incident provoque toujours des réminiscences chez les professionnels. «Tout le monde se rappelle ce qui s'est passé ce jour-là. Mais il est difficile de déterminer à qui incombe la responsabilité du bug», exprime un trader. Un nouveau contrat entre la BVC et les sociétés de Bourse ? En tout état de cause, si l'incident n'est pas passé inaperçu, en revanche, le marché ignore les suites qui y ont été données. Le management d'Attijari Intermédiation est resté difficilement joignable, avant de déclarer «tomber des nues» à propos de cette affaire. Ce qui, du reste, n'est guère étonnant, le terrain étant des plus minés. De son côté, Karim Hajji, DG de la BVC, n'a pas voulu faire de commentaires. Néanmoins, selon d'autres sources, la société gestionnaire de la place a d'ores et déjà pris les choses en main. Un comité d'audit, composé de professionnels de la place, aurait été constitué ad hoc, et devrait rendre ses conclusions dans quelques semaines. En attendant, un troisième document synthétique, toujours en provenance de la Bourse, «recommande de ne pas donner une suite favorable à la réclamation» d'Attijari Intermédiation. Plusieurs arguments sont avancés pour étayer cette décision. En premier lieu, la BVC a procédé à un benchmark des pratiques internationales, en matière de litiges entre Bourses et intermédiaires. La conclusion qui s'en dégage est que «les Bourses ont une obligation de moyens et non de résultat, qu'elles ne peuvent s'engager sur une disponibilité à 100% de leurs systèmes et qu'elles ne peuvent en aucune manière assumer les risques liés à des bugs informatiques». D'autant plus que le bug informatique à l'origine de l'incident a été relevé au niveau d'un logiciel qui n'a pas été développé et n'est pas la propriété de la BVC. En outre, celle-ci estime qu'elle n'a commis aucune faute grave, les ordres sujets à discorde n'étant jamais parvenus à sa plateforme de cotation. Au final, la BVC a invoqué son règlement général, ainsi que le contrat la liant aux sociétés de bourse. Celui-ci stipule que «l'utilisation des stations de négociation s'effectue sous la responsabilité de la SDB, et qu'en cas de défaillance physique ou logique des stations de négociation délocalisées, la BVC doit assurer la maintenance du matériel dans la limite de ses moyens». Celle-ci se propose même d'élaborer un nouveau contrat type entre elle et les sociétés de Bourse, et qui préciserait clairement les limites de sa responsabilité.