Les Echos : Quelle analyse faites-vous de l'évolution de l'urbanisation au Maroc ? Eduardo López Moreno : Le taux d'urbanisation au Maroc est toujours élevé, aux alentours de 2,5% par an selon nos prévisions pour la période 2000-2010, même si l'urbanisation y est décroissante, comme dans la plupart des pays en voie de développement. Le Maroc a démarré son processus urbain très tôt. Le pays a atteint le point de rupture -moment où la population urbaine dépasse la population rurale- entre 1990 et 1995. À la même époque, l'Afrique était à majorité rurale. Le Maroc était, avec l'Algérie et la Tunisie, le premier pays d'Afrique à avoir plus d'urbains que de ruraux. Le fait qu'il ait connu sa transition urbaine si tôt a contribué de façon positive à son développement. Personne ne peut nier que le développement est lié à l'urbanisation. C'est dans les villes que l'innovation, la créativité et le développement économique ont lieu. Les villes sont des éléments clés pour que les pays deviennent plus riches. Si les bénéfices de cette richesse sont équitablement répartis, l'urbanisation peut amener une réduction de la pauvreté et pas seulement dans les zones urbaines. Je n'ai aucune raison de penser que ce n'est pas le cas du Maroc. Quelles sont les prévisions pour les années à venir ? On estime qu'en 2030, le taux de croissance d'urbanisation du pays sera autour de 1%. Les prospectives pour le Maroc montrent qu'en 2030, la population sera à 73% urbaine. Il est intéressant de noter que les villes secondaires comme Saïdia, Taghazout, Mogador et El Haouzia expérimentent les taux de croissance démographique les plus élevés du pays, et l'un des plus rapides du continent. Cela s'explique par une meilleure qualité de vie qui propulse la croissance démographique et économique. Ces villes mettent en place des stratégies de développement localisées, qui permettent une augmentation de la qualité de vie, par la mise en place d'infrastructures économiques et d'installations sociales. Plus spécifiquement, le «programme de développement durable des zones côtières» au Maroc a prouvé être une stratégie gagnante en termes de développement régional et urbain, en fournissant eau, électricité et infrastructures de télécommunication au nouveau développement immobilier côtier. Quelle est la place du Maroc dans la fracture urbaine ? Le Maroc est un pays porteur d'espoir pour les pays subsahariens, mais également pour les pays d'Asie et d'Amérique latine, qui sont à la traîne en matière de diminution des bidonvilles. C'est le pays qui a connu le plus grand succès en Afrique en matière de réduction de son taux d'habitations insalubres. Le Maroc a montré qu'il est possible de couper en deux la proportion de bidonvilles existants. Entre 2000 et 2010, selon nos prévisions, le pays aura réussi à améliorer la vie de 2,4 millions de personnes. L'initiative «Villes sans bidonville» lancée par le Royaume en 2002 montre actuellement des résultats très positifs. Le Maroc arrive en deuxième position après l'Indonésie, avec un taux de 45,8% de diminution de ses bidonvilles. Mais il reste cependant 2,2 millions de personnes, soit plus d'un habitant sur 10, vivant dans les bidonvilles au Maroc. Nous sommes à mi-chemin de la deadline pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement (2020) et le rapport sur «l'état des villes du monde 2010-2011» montre clairement que si aucune action corrective n'est entreprise dans les pays en développement, le monde connaîtra une augmentation annuelle de 6 millions d'habitants en logement informel. Heureusement, au Maroc, la tendance est positive. Qu'en est-il des autres facteurs d'un urbanisme durable ? Concernant les inégalités de revenus, elles sont faibles au Maroc. Le coefficient Gini pour le Maroc est 0,38. Ce chiffre est assez ancien, puisqu'il date de 1999. Comparé à la moyenne régionale qui est de 0,58 (la plus élevée des pays en voie de développement), la distribution des revenus au Maroc apparaît comme un facteur de développement. Le coefficient Gini pour les zones urbaines au Maroc est en dessous du seuil des inégalités, qui est de 0,40. Malheureusement, les données que nous possédons ne sont pas actualisées et datent de la période allant de 1990 à 1999. Mais des données plus récentes concernant Casablanca, l'une des villes qui font partie de l'échantillonnage d'étude mondiale d'ONU Habitat, indiquent que les inégalités de revenus sont assez élevées en 2006, avec un coefficient de 0,52. Nous n'avons pas plus d'information, mais je pense que d'autres grandes villes dans le pays doivent avoir également un coefficient élevé. Je voudrais saisir cette occasion pour inviter le Haut commissariat au Plan à travailler sur ce point afin de produire un coefficient Gini pour chaque ville marocaine. Nous pourrions également étudier les autres aspects de l'inclusion/exclusion en lien avec la culture et la participation politique. Nous pourrions travailler ensemble à la production d'un rapport sur «l'état des villes marocaines».