Quand Yves Saint Laurent quitte la cité ocre pour rejoindre la ville blanche, c'est en bleu Majorelle qu'il s'habille. Celui qui a habillé, et continue d'ailleurs d'habiller, des centaines de milliers de femmes «modernes» à travers le monde, se pare de ses plus beaux atours pour se donner à voir aux Casablancais... aux Marocains. Depuis mardi dernier et jusqu'au 17 juillet, le style de cet artiste de la mode, qui, derrière la grille de l'immense édifice, habituellement blanc se laisse percevoir derrière un rideau jaune-orange, a déjà conquis les premiers passants du boulevard Roudani. Vous l'avez compris, la fameuse exposition «Yves Saint Laurent et le Maroc» débarque à Casablanca. Maculée de ce célèbre bleu, la villa historique reproduit l'ambiance Majorelle tant appréciée par le styliste français pour le plus grand plaisir des amoureux de YSL, et bien plus encore. «Nous voulons que le plus grand nombre de Marocains découvrent YSL», espère Pierre Bergé, directeur de la Fondation Pierre Bergé-Yves-Saint-Laurent, lors de l'inauguration de cette deuxième étape de l'impressionnante série de collections. Baptisées «Une passion marocaine», «Inspiration marocaine», «L'Afrique rêvée» et enfin «Couleurs du Maroc», ces quatre «extraits» du travail d'YSL retracent brièvement les grands moments de création du maître de la mode depuis sa découverte du Maroc... en 1966. Tout y est, la couleur, les coupes et les longueurs, le style YSL que le monde entier lui a reconnu dès ses premiers coups de crayons témoignent de cette histoire qu'il a tissée entre lui et ce pays qu'il a adopté et qui l'a adopté. Au fil de ses moments passés à observer la femme marocaine, YSL a «découvert la couleur». Mieux encore «il a appris à créer en couleurs», ajoute celui qui a partagé sa vie pendant cinquante ans. Tout différemment... Pour la présentation de cette exposition, le compagnon et longtemps associé du défunt créateur a tenu à inviter deux personnalités qui ont connu de très prés YSL. Parmi elles, Loulou de la Falaise, son assistante pendant une quarantaine d'années. Lorsqu'on lui demande ce que YSL aimait faire le plus avant de créer, son rituel, Loulou de la Falaise se rappelle que derrière le podium, en coulisses, dans son bureau, devant ses feuilles blanches, avant que ces tenues ne prennent vie, YSL «faisait tout différemment». «Bien que le public retrouvait à chaque nouvelle collection le même style, pour nous, chaque collection était une nouvelle aventure», raconte-t-elle. Le moment le plus trépidant dans ces souvenirs est «le déballage des dessins». Le témoignage de Pierre Bergé, lui, raconte un homme souvent tourmenté, pratiquement jamais en paix avec lui-même qui, de plus, s'est «enfoncé» par la force du succès. YSL était sans aucun doute un de ces artistes qui se nourrissent de l'art pour survivre à son mal-être. Un art qui, toutefois n'en n'est pas vraiment un aux yeux de celui qui le pratiquait tout en couleurs, puisqu'il répondait aux diktats de la mode. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il «n'a jamais aimé la mode», comprend-on en écoutant le témoignage de Pierre Bergé. Le génie créatif de ce «démocrate» du vêtement féminin aura en effet eu raison de l'esbrouffe esthétique de la «fashion-mania» qui, depuis prés d'un siècle de mode fait, défait et refait les signatures et les tendances. C'est du coup grâce à cette force de caractère créative, qu'aujourd'hui, d'une manière ou d'une autre, toutes les femmes «modernes» portent l'expression YSL. Pierre Bergé lui, qui confesse ne jamais s'être habillé YSL, porte pour sa part l'histoire de tout un personnage. Et c'est cette histoire qu'il aime à raconter et faire partager aux autres, à travers cette majestueuse exposition : «Mes souvenirs, je les transforme en projets», déclare-t-il, la voix à moitié brisée par le chagrin de ce souvenir. Et des souvenirs, il est loin d'en être avare. D'autant plus qu'écouter l'histoire de YSL de la bouche celui qui la vu devenir l'emblème de la mode féminine contemporaine, c'est en quelque sorte revivre les premières grands moments de la libéralisation de la femme moderne. C'est à ce titre que la Fondation a décidé d'agrémenter l'exposition de projections de films documentaires portant sur le parcours artistique, mais également biographique du grand couturier. Et comme une éternelle révérence à ce qu'il a été, les visiteurs auront même droit aux images de son dernier défilé. Près de trois ans après sa disparition, Yves-Saint-Laurent, est bien plus qu'un souvenir, il reste une réalité.