Attendue depuis un bon moment par les professionnels du droit des affaires, la modernisation du registre du commerce fait enfin l'objet d'un projet de loi. Et de l'avis de nombreux juristes, il était plus que temps. Le chantier en lui-même n'est pas récent. En effet, dans le cadre de l'amélioration du climat des affaires, un travail de longue haleine a été entamé depuis 2006, en partenariat avec l'USAID. La réforme du registre devait se faire par étapes, avec un cahier des charges comprenant l'évaluation de divers paramètres. Parmi ceux-ci, l'évaluation juridique du système d'enregistrement des sûretés mobilières, ou la nécessité de renforcement de la formation judiciaire, pour ne citer que ceux-ci. En tout cas, de l'avis de plusieurs juristes, le chantier est des plus ardu. «Pour mener à bien cette réforme, je souhaite la plus grande force morale au nouveau ministre, Mohamed Naciri», commente un professionnel. C'est dire combien ce projet tient à cœur au milieu du droit des affaires. En principe, le registre du commerce constitue l'unique source d'informations légales sur les entreprises commerciales au Maroc. Il est également censé être un indicateur fiable de la santé financière d'un partenaire commercial. Néanmoins, dans la réalité, ce n'est pas toujours le cas. Les services inhérents au registre du commerce font l'objet de nombreuses critiques. Parmi celles-ci, les professionnels évoquent des problèmes relatifs à la cessation partielle ou totale de l'activité de l'entreprise et ce sans que cela ne soit notifié dans le registre du commerce. «Une fois, en défendant un client étranger, nous nous sommes aperçus que le partenaire local avait demandé la dissolution de sa société six mois plus tôt, et ce n'était même pas mentionné dans le registre du commerce», commente Amine Hajji, avocat d'affaires. Afin de pallier à ce genre de situations, l'un des axes de la réforme concerne justement ce point. Le texte prévoit l'obligation des gérants de l'entreprise d'informer de cette cessation à travers une inscription modificative. Si au bout de deux ans aucune autre inscription modificative de reprise de l'activité de l'entreprise n'a été faite, le secrétaire greffier devra procéder à la procédure de radiation, avec la coordination du juge désigné pour contrôler le registre du commerce. Ce magistrat devra être issu du tribunal de commerce, ce qui rend la compétence de contrôle exclusive aux juridictions commerciales. «Un instrument d'escroquerie» Cependant, le défaut de mise à jour n'est pas le seul reproche adressé au service en charge du registre. «Le registre du commerce est censé être accessible à tout le monde. Or, souvent, pour obtenir l'information, le demandeur se trouve obligé de soudoyer l'employé», souligne un juriste. Et la liste s'allonge: fermeture du service le vendredi pour cause de mise à jour ou de prière, retard dans l'automatisation du processus par manque de volonté de réforme... Si les doléances des avocats sont nombreuses, celles des entrepreneurs ne sont pas en reste. Certains ont même parlé du registre du commerce comme d'un «instrument d'escroquerie», du fait que les informations qui y sont disponibles sont bien souvent obsolètes. Rien d'étonnant dès lors à ce qu'un recueil spécial soit également au menu. Celui-ci portera sur la situation réelle de l'entreprise, via la constitution d'une base d'informations servant à délivrer les certificats. Ceux-ci comporteront toutes les opérations inscrites au registre du commerce, à savoir les inscriptions modificatives, nantissement ou sentences judiciaires.Le patronat marocain a également apporté son grain de sel, relevant qu'«actuellement, la base de données du Registre central du commerce est gérée à Casablanca par l'Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC), mais elle n'est pas connectée aux tribunaux qui reçoivent les demandes d'inscription au registre du commerce». Le diagnostic de la CGEM a révélé que «la voie de cette modernisation n'est pas seulement technique mais aussi légale, puisque certains formulaires sont figés dans la loi et que les pratiques ne sont pas harmonisées». Le projet de modernisation comblera-t-il ces lacunes ? Sur le papier en tout cas, le législateur semble en avoir pris conscience. C'est dans ce but que s'inscrit le projet de réforme du chapitre II du titre IV du premier livre du Code de commerce, relatif à la publicité dans le registre du commerce. Le projet de loi est également en cours d'examen par le patronat, qui a d'ailleurs fait de cette réforme l'un de ses chevaux de bataille. L'informatisation S'agissant des autres principaux apports de la réforme, celle-ci s'articule autour de plusieurs points. Le premier concerne la centralisation des services de registre du commerce au sein des tribunaux de commerce. Cet impératif va de pair avec l'annulation de ce qui se fait actuellement, à savoir leur répartition entre les services des tribunaux de première instance et les tribunaux de commerce. Un autre point à noter est relatif aux nouvelles technologies. Longtemps négligées dans le champ juridique, les NTIC prennent pied dans la modernisation des services de registre du commerce. Ainsi, l'informatisation et l'introduction de nouveaux moyens de technologie et de communication constituent un des axes majeurs de la réforme. L'instauration d'un lien électronique entre ces services et les points de contact qui vont être créés dans les juridictions de première instance est également préconisée, et ce pour optimiser le rapprochement des services de registre du commerce. Le projet de loi introduit une autre innovation, à savoir la distinction entre les inscriptions effectuées sur la base d'une déclaration faite par le commerçant lui-même, et celles qui se font par le secrétaire- greffe, et qui interviennent dans des cas déterminés comme l'ouverture de la procédure de cessation de paiement. Une autre distinction sera à opérer entre les immatriculations qui se font pour la première fois, celles enregistrées en cas d'ouverture d'une succursale ou agence d'entreprise, et les inscriptions modificatives intervenant suite à toute modification dans les inscriptions précédentes. Au niveau des sanctions de l'inobservation de la loi relative à la publicité au registre du commerce, aucune modification n'a été portée par le projet de réforme. Néanmoins, «une uniformatisation des procédures devant les services de registre du commerce à travers l'ensemble des juridictions du Royaume s'impose, afin d'éviter la multiplicité des interprétations des textes relatives au registre du commerce», commente-t-on au sein de la CGEM. À cette fin, un guide devrait être publié par le ministère de la Justice. L'importance de la mise à jour du registre du commerce est d'autant plus notable quand on sait que les banques y ont souvent recours. En effet, en vue de la constitution du dossier juridique des entreprises, les banques leur réclament, en plus des statuts, les modèles d'immatriculation au registre du commerce. Ce qui permet à la banque de vérifier la date légale de création des entreprises, et également de retranscrire fidèlement dans ses fichiers les informations légales sur les entreprises commerciales. Dans un second temps, les établissements bancaires s'intéressent aux modèles modificatifs en vue de suivre fidèlement l'évolution de l'entreprise et bien défendre leurs intérêts lorsqu'elle effectue des transactions bancaires avec eux. «À titre d'exemple, la banque ne débloque les fonds correspondant à une augmentation de capital qu'après avoir reçu une copie du document légal justifiant l'augmentation en question», soulève-t-on à l'USAID.L'attribution du crédit se base également sur des documents provenant du registre du commerce, surtout les états de synthèse. Finalement, en cas de litige, le service des contentieux de la banque a recours au registre du commerce pour avoir des documents légaux, opposables aux tiers.Par exemple, en cas de déclaration d'un régime patrimonial non conforme à la situation inscrite sur le registre du commerce,le client peut être poursuivi en justice.