L'idée du sujet d'aujourd'hui, je l'ai eue alors que j'étais dans l'avion lundi dernier, en partance pour Tunis, où votre très humble serviteur mais néanmoins très sollicité baratineur a été l'invité principal d'une grande émission de télé diffusée en direct mardi soir et dans laquelle il a été, comme d'habitude, tout simplement, très brillant. Après cette courte page de pub, je vais revenir au sujet du jour : la modernité ! Quel grand mot ! Quel gros mot, devrais-je dire ! Un mot tellement gros et tellement utilisé à tort et à travers qu'il en est devenu creux, vide, sans valeur et sans sens. Mais, avant de développer cette question, permettez-moi tout d'abord de revenir à l'avion. Comme vous le savez, avant chaque décollage, il est d'usage que l'hôtesse rappelle aux passagers un certain nombre de mesures de sécurité à respecter dont, notamment, l'interdiction d'utiliser les téléphones portables durant toute la durée du voyage. Justement, alors que le pilote avait largement entamé les préparatifs du décollage, deux des passagers de ce vol, un homme et une femme, sourds ou imbéciles ou les deux, eux, ne l'avaient pas entendu de cette oreille et avaient continué, à parler au téléphone, comme si de rien n'était. Ils n'étaient pas ensemble, du moins, apparemment. En tout cas, s'ils le sont vraiment dans la vie - mari et femme ou maîtresse et amant - là, je puis vous l'assurer, ils faisaient siège à part. Toujours est-il, ensemble ou pas, ils s'étaient mis d'accord ce jour-là pour m'empoisonner la vie, me polluer l'environnement, bref, me faire gâcher le voyage. Quant aux autres passagers, j'avais la nette impression qu'ils n'étaient nullement dérangés par ces conversations hors-ligne de ce couple de bavards. L'homme était plutôt bon chic bon genre, genre golden boy, et parlait, dans le désordre, de marchandises à livrer par bateau, de coursier à renvoyer, d'annulation de rendez-vous avec une fiduciaire, de dossier à faire signer par le notaire, et d'autres futilités du même registre. Et la femme, plutôt belle femme, très belle même, mais, chérie, je te le jure, elle n'est pas du tout mon type de femme, en plus, ça n'excuse rien, elle, ses appels étaient encore plus terre-à-terre. Il était question d'une des bonnes qui n'avait pas bien fait son boulot en cuisine, du mariage raté d'une copine, d'un manteau de fourrure oublié chez la cousine, et, enfin, d'une voiture qu'il fallait ramener au garage, mais, attention, «il faut bien surveiller le garagiste car, tu sais combien coûte cette bagnole, hein ?». Et c'est là, n'ayant pas pu me retenir, j'ai poussé une gueulante qui a semblé surprendre mes compagnons de la cabine «Business Class» ( Ah oui, votre serviteur est peut-être humble, mais exigeant question confort, surtout quand ce n'est pas lui qui casque), compagnons qui s'intéressaient plus aux conversations de ce couple malpoli et vantard qu'aux risques désastreux qu'elles étaient susceptibles d'entraîner. Tu parles d'une modernité ! Cette anecdote m'a fait rappeler un vieux souvenir de classe. J'étais en terminale. Un jour, à la fin d'un cours de philo, un élève demanda à notre prof, une grande dame de cœur et d'esprit, qu'elle était la différence entre modernité et civilisation. Elle lui avait donné cette réponse assez laconique, mais inoubliable : «Pour bien répondre à cette question, il faut beaucoup de temps, mais si je devais être très brève, je te dirais ceci : la modernité, c'est la voiture, et la civilisation, c'est le passage clouté». Et toc ! J'aurais bien voulu, lundi, raconter cette anecdote à ce couple indélicat pour leur clouer le bec.