Les Echos : Dans l'exercice de ses fonctions, le notaire passe par la conservation foncière. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ? Houcine Sefrioui : La conservation foncière est un passage obligé en ce qui concerne les investisseurs. Elle a la mainmise sur les dossiers des sociétés de capitaux et les sociétés de personnes. À ce jour, les écrivains publics, les fiduciaires, les adouls et les notaires ont tous accès à ces dossiers. Du coup, ces derniers sont, dans leur quasi-majorité, tronqués de leur contenu. Ceci est le résultat d'un accès aléatoire et non réglementé. N'importe quelle pièce peut être retirée du dossier sans aucune traçabilité. Je vous laisse imaginer la situation si un dossier se trouve amputé d'une délégation de pouvoir ou d'une autre pièce importante du dossier, la cession, ou toute autre opération, peut tout simplement être bloquée. Avez-vous essayé de proposer des alternatives? En mai 1989, le Maroc, étant rapporteur général des transactions immobilières et de la vie des sociétés, a proposé deux amendements, à savoir toutes les transactions immobilières doivent faire l'objet d'un acte authentique notarial ou adoulaire avant d'être enregistrées à la conservation foncière. La deuxième proposition concernait la vie juridique des sociétés. Un acte de dépôt du dossier permettant une meilleure traçabilité doit être fait par le notaire qu'il gardera pendant 130 ans. Le 1er janvier 1990, l'ensemble des membres de l'Union internationale des notaires et les pays observateurs ont adopté ces deux propositions, mais pas nous qui étions à l'origine de ces amendements. Le notaire est le délégataire du pouvoir judiciaire dans le cadre de la juridiction volontaire. À titre d'exemple, le greffe de Casa-Anfa qui concentre une grande partie des notaires basés à Casablanca est submergé, du fait du nombre restreint des agents d'autorité qui procèdent aux différentes opérations. Quatre personnes pour plus de 250 notaires, rien que pour Casa-Anfa. Il ne peut y avoir de vérification efficiente dans ces conditions-là. La situation parle d'elle-même. La réforme que contient le projet de loi 32-09 n'est pas un texte technique, mais politique. Les notaires n'ont pas été consultés, ce qui est à l'opposé de la démarche gouvernementale qui est dans cette logique de concertation dès qu'elle veut introduire des réformes. Ceci a été le cas dans plusieurs dossiers. Par conséquent, ce que la réforme propose en substance, c'est d'enlever aux notaires leurs attributions et leurs droits acquis à travers des mesures d'un autre âge en total déphasage avec la pratique notariale internationale et des lois très avancées qui caractérisent cette mutation de la profession dictée par la mondialisation des échanges et par le flux des investissements étrangers vers les pays émergents attirés par la logique de marché basée sur la réduction des coûts. C'est un frein à l'investissement. Concrètement, quels sont aujourd'hui les aspects qui font l'objet de contestations ? La loi-cadre de 1925 qui a servi de base de travail au projet de loi 32-09 est la même que celle approuvée par Napoléon le 16 mars 1830. Tout cela pour dire que depuis le 18e siècle, la langue française a évolué. L'interprétation qui a été faite de l'article 1 et qui stipule que le notaire est fonctionnaire du service public ne peut être interprétée de la même manière au 21e siècle. Restituée dans son contexte historique, le notaire a des tâches et des fonctions d'intérêt public et non un fonctionnaire public. Cela traduit d'emblée une méconnaissance de la pratique notariale dans son contexte historique par les auteurs de cette réforme qui est un véritable gâchis, au vu de ce que le Maroc a réalisé au niveau international et au statut très respecté dont il jouit au sein de la communauté notariale internationale. Donnez nous un aperçu sur la communauté notariale marocaine et son organisation... Il y a d'abord la chambre qui a été érigée en association selon les dispositions de la loi du 15 novembre 1958 et qui a adhéré à l'Union internationale du notariat latin (UINL). Il y a aussi le Conseil national des notaires (CNC) qui est régi par la même loi sur les associations. Il y a également la coordination internationale et elle regroupe une représentativité de la chambre et du CNC. Cet état de division est la conséquence de la subjectivité que les notaires ont empruntée aux politiques. Le CNC a nouvellement été créé et son comité a été élu par vote, est-ce de bon augure pour la profession ? Ce vote est contestable à plusieurs égards et cela il faut le dire. La raison est toute simple. Une mesure cocotte-minute très contestable a été introduite pour servir des intérêts particuliers. Cette mesure a autorisé les notaires à procéder à un vote par procuration. Du coup, on avait des personnes qui détenaient cinq procurations voire sept dans certains cas. C'est inadmissible et c'est contraire à tout ce qui se pratique au niveau international. D'ailleurs la loi internationale 27.2 stipule que le droit au vote ne peut en aucun cas être délégué. Un autre aspect qui a caractérisé ce vote est le ballet lobbyiste qui a précédé celui-ci. Une ambiance électorale a prévalu, faussant la donne. C'est regrettable, car les notaires, qui sont tenus dans l'exercice de leurs fonctions à être impartiaux, ont agi contre-nature lors de ce vote. Que proposez-vous comme solutions ou ajouts pour que ce texte reflète mieux un climat d'affaires sain et attractif ? Pour remédier à cette situation, les parlementaires doivent avaliser les amendements techniques que les notaires ont proposés. Le texte est plus politique que technique et c'est de là que naissent les contestations. Le parcours du notaire qui s'apparentait à un parcours de combattant sera durci davantage par ce texte de loi. Nous attendions également l'introduction de la fenêtre technologique à travers l'«électronisation», surtout que le gouvernement est engagé dans plusieurs chantiers de modernisation. Les efforts de dématérialisation des transactions sous la férule de l'Etat sont en bonne marche, à l'exemple de la TGR. Pour le notariat c'est resté lettre morte. Nous avons encore une fois introduit cette recommandation qui a été prise en considération par la communauté notariale internationale et complètement snobée par le Maroc. Nous espérons un changement.