Qu'est-ce qui fait que des milliers de manifestants fustigent la gouvernance au Maroc ? De la gestion communale aux ministères, en passant par les établissements publics, tout y passait. Sûrement un sentiment de ras-le-bol, sinon de «hogra» général qui s'étend à tous les niveaux. Et c'est certainement à cause de cela que ces mêmes manifestants ont élargi, depuis le 20 février, la liste des contestés, en termes de gouvernance, à de grosses cylindrées et non des moindres. On pouvait aisément voir des pancartes demandant à Mounir Majidi, à Fouad Ali El Himma et à Abbas El Fassi de DEGAGER. Une première ! Oui, il faut reconnaître que les manifestants ont pris tout le monde de court par leur audace. Un quotidien arabophone de la place serait, d'ailleurs, toujours sous le choc à tel point qu'il a brouillé le nom de Majidi sur la photo qu'il a reprise ! Mais de prime abord, la question d'hiérarchisation des responsabilités se pose. Peut-on mettre, dans le même sac, Sajid et El Himma d'une part et Lydec et Majidi d'autre part, ou encore Fatima Zahra Mansouri et Abbas El Fassi ? Certes, chacun des manifestants a ses propres doléances, il y en a même ceux qui ont profité de l'occasion pour descendre leur patron, mais la classification des responsabilités devrait commencer par celles qui ont un impact national plutôt que régional. Focalisons-nous donc sur les personnalités qui impacteraient, d'une manière ou d'une autre, la gouvernance sur l'échelon national et les causes de leur descente par les foules. Abbas El Fassi, Premier ministre, est critiqué pour le clientélisme décrié et notamment la mise en avant de plusieurs membres de sa grande famille. La liste des ministres, des directeurs d'établissements publics et d'autres postes importants est là pour le désavouer. Le Premier ministre n'avait pas besoin de cela, et au lieu d'assurer le rôle d'arbitrage et d'assumer pleinement son rôle à la tête de l'Exécutif, on dirait qu'il n'avait d'autres pensées que de placer les siens avant qu'il ne soit évincé. Nous sommes très loin du grand Abderrahmane Youssoufi. Fouad Ali El Himma, proche du Roi et véritable patron du PAM, est décrié pour avoir semé des troubles dans la vie politique au Maroc. Personne ne pourrait empêcher El Himma, ou n'importe quelle autre personnalité, de constituer un parti. Mais ce projet politique ne pourrait être du sur-mesure. On suspend un article, du code des partis, qui interdit la transhumance pour permettre au PAM de ramasser à la pelle des députés afin de devenir la première formation politique au Maroc en quelques mois. Une exception vraiment marocaine ! On forme des majorités dans les mairies des grandes villes de façon à avoir la mainmise directement ou indirectement, quitte à limoger des walis qui n'auraient pas compris « ce jeu » politique comme ce fut le cas pour Mounir Chraïbi, ex-wali de Marrakech ! On décrédibilise les autorités locales dans certaines villes quand les gouverneurs ou walis se passent de leur neutralité pour faire plaisir au tout-puissant El Himma ou son parti. Difficile de faire adhérer les jeunes ou d'attirer grande foule vers la politique avec ce cocktail d'hégémonie et de discrédit de l'acte politique. Mounir Majidi, secrétaire particulier du Roi, est quant à lui, dénoncé pour son rattachement disproportionnel aux affaires, son hégémonie sur le business et sa mainmise sur certains établissements publics. Sans revenir sur l'historique de Majidi avec les affaires, il est connu que son emprise sur le marché publicitaire, notamment l'affichage, constitue toujours un choc aussi bien pour les publicitaires que pour les communes. Chacun a ses propres raisons. Dernier exemple qui remonte à, à peine, un mois et demi : l'adjudication, en faveur de son entreprise FcCom, de l'équipement et l'installation de centaines d'abris bus à Casablancaqui s'ajoute à son exclusivité sur les aéroports et les gares de train. Par ailleurs, son empreinte, et celle de son bras droit, Hassan Bouhemmou, sont apparentes dans la nomination de plusieurs hauts fonctionnaires et responsables d'établissements bancaires. C'est pour l'ensemble de ces raisons que des manifestants, de plus en plus nombreux, demandent à El Fassi, El Himma et Majidi de partir. Et ce ne sont pas que de jeunes manifestants du 20 février qui le réclament. Les déclarations de Noureddine Ayouch, Driss Benali et d'autres, relayées par des membres influents dans certains partis politiques, notamment à l'USFP et au PJD, témoignent du ras-le-bol général qui prévaut vis-à-vis de la haute sphère de gouvernance au Maroc. D'autres élites, plus modérées, s'accordent à dire qu'il ne serait pas nécessaire que El Himma et Majidi partent pourvu qu'ils se retirent de toute activité politique ou économique. En tout état de cause, l'attentisme se fait de plus en plus insistant. L'annonce d'une décision, d'une nomination, d'un changement, ne seraient-ce que les prémices d'une réforme, sont chaque jour attendues par tous les Marocains. D'ailleurs, l'audimat des JT de nos chaînes télévisées crève le plafond, tant l'attentisme est sans précédent ! Samir Chaouki