Les mots et les moules de la pensée de Taoufik Izzediou ne déhanchent pas. Imprégné d'un état de transe permanent, il voit la danse partout. Pour lui, les simples gestes de la vie quotidienne, les cliquetis des bijoux de la femme,... rappellent allégrement que les tous rites cérémoniaux et toutes traditions au Maroc sont des lieux de danse. Et Taoufik Izzediou ne s'arrête jamais là où la danse n'est pas la bienvenue. Artiste, malgré les autres ! Homme de théâtre, slameur quand l'inspiration le tient, acteur par pige, boxeur, footballeur et architecte de formation,...Izzediou est tout cela à la fois. Trentagénaire, il danse depuis déjà 15 ans et ose faire de sa passion une plateforme aux paramètres réfléchis. De retour au Maroc, après un séjour à Tours, où il était chorégraphe salarié au Centre chorégraphique national, Izzediou est aujourd'hui au plus prés de Marrakech, sa ville natale. «J'ai envie de faire un solo, de porter ma danse tout seul et que tout cela se fasse au Maroc». Mais, comment vivre de la danse ? Pis, d'un festival dont les aides et la considération sont des perles plutôt rares ? «J'étais salarié au Centre chorégraphique de Tours. J'ai eu de la chance, ce qui n'était pas forcément le cas des autres». Le festival «On marche», en cours à Marrakech et dont il est le directeur, est un véritable vivier de toutes les expressions du corps. La danse contemporaine n'y est pas en rupture avec un public habitué aux arts vivants. Ce jeune Marrakchi au gabarit condensé, éternellement souriant et débordant d'humour, a fait un long trajet avant d'arriver à réaliser un événement autour de la danse et de voir ses confrères de partout dans le monde. Il y a au moins 15 ans, il se projetait dans l'avenir où le hasard lui envoyait un pinceau de lumière. «Par hasard», c'est ce qu'il s'amuse à placer au début, au milieu et à la fin de toute phrase. Il s'imaginait tantôt footballeur, tantôt boxeur, pour ensuite parvenir au théâtre. Des occasions de se produire à la pige dans des productions cinématographiques le tirent d'une léthargie où il ne voit guère la lueur de ce qui pourrait être sa vraie vocation. Avant de se passionner pour la danse contemporaine, il fallait alors qu'il prenne vent de l'existence de cette danse. «La fameuse danseuse Hélène Cathala était en 1997 à Marrakech pour un stage de danse contemporaine. C'était le déclic de ce mot qui me paraissait de loin ambigu et profond». Le hasard fait bien les choses À son père qui le couvait pour le diriger vers une carrière de «tâcheron» dans le bâtiment, Izzediou répond sur un ton amusé : «Je peux lui dire aujourd'hui que je fais au moins de l'architecture». Le danseur-chorégraphe a plus que la maîtrise de l'œuvre. Sans avoir à poser un croquis ou à dessiner un plan de la bâtisse. La mise en scène, la scénographie, la lumière, le rapport à l'espace intérieur et extérieur, tant de paramètres entre lesquels Taoufik valse avec sensualité. Contre vents et marées et avec l'expertise et la sensibilité d'un architecte mélomane, Izzediou multiplie les stages de danse à Marrakech. Ils sont tous différents, mais aucun d'eux ne l'intéresse en tant que tel, sauf parce que ça lui permet de bouger. Il faudra attendre 2001 pour qu'il s'avoue sa vocation. Alors qu'il est de nouveau en stage de danse, il rencontre Bernardo Montet. Chorégraphe français, de mère Guyanaise et de père Vietnamien, l'actuel directeur du Centre chorégraphique de Tours (France) le prend sous son aile et lui confie «Danse Nord», un solo de l'éminente américaine Susan Buirgue, que Taoufik aura la charge à son tour de transmettre. Avec «Danse Nord», Taoufik remue ciels et terres. Il se produit partout dans le monde et confirme davantage sa prédestinée d'une carrière de danseur. Transmettre, voilà un mot qui l'a promu et qui devient désormais son leitmotiv. Alors qu'en 2002 il fonde avec Bouchra Ouizguen et Saïd Aït El Moumen la compagnie Anania (tous deux brillants danseurs-chorégraphes), il chorégraphie une première performance «Fina Kenti». Voilà qu'il se dote d'un médiateur pour que cette transmission se réalise. Ils mettent alors ensemble en place des cours de danse, des ateliers et des laboratoires. The man who never sold the dance Cinq années se sont écoulées depuis l'arrêt du Laboratoire 1. Taoufiz Izzediou est déjà au labeur, en vue d'en enchaîner un second. Comme son appellation le laisse entrevoir, c'est un espace sans frontières, où la pédagogie et l'apprentissage de la danse sont les piliers. C'est aussi une réponse à une première problématique que l'artiste a découvert il y a une dizaine d'années : le manque de danseurs, mais pas le manque de potentiel. Epaulé par le peu de confères qu'il a, il réalise un travail de six mois de réception et sélection d'artistes venus de partout du Maroc pour danser. Résultat : «Le vivier» était une programmation de danse où des danseurs venaient tous les jours. Quant aux «extras», ils ne venaient que le soir et les «flottants», eux, ne venaient qu'une fois par semaine. Après deux ans et demi de dur labeur dans de petites conditions, huit personnes pouvaient devenir des danseurs professionnels. Deux d'entre elles sont parties parfaire leur formation en France, deux autres à Bruxelles. Kamal Adissa, formé à ce laboratoire présente son spectacle à l'édition du festival «On marche». En 2004, huit danseurs du vivier montent avec Taoufik Izzediou «Cœurs dans corps». Une tournée au Maroc et en Espagne s'ensuivra. Et ce n'est que le début! «Clandestins», une chorégraphie qui regroupe14 danseurs, acteurs et chanteurs et qui a tourné partout en Europe. Et depuis, c'est le silence radio ! Avec toute la bonne volonté du monde, Izzediou ne peut de continuer l'aventure par manque de moyens. «Le Maroc a besoin de danser et de voir de la danse ! Il faut laisser à l'artiste sa liberté et en même temps faire attention au public. C'est là, la pédagogie. Faire attention à la sensibilité des gens». Cinq ans plus tard - c'est aussi l'âge du festival «On marche»-, Izzediou pense avoir le recul nécessaire pour se pencher sur le laboratoire 2: «Il ne suffirait pas uniquement d'une chimère! Le mettre en place impliquerait de ma part beaucoup d'efforts et surtout de patience. Combien de rendez-vous avec les ministères, avec les autorités chargées de lieux culturels à Marrakech, se font vains», regrette profondément Taoufik Izzediou. Mais, il se ressaisit : «Je leur parlerai de formation, de création, du festival On marche. Pourvu que ça ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, sinon je partirai très loin cette fois-ci, très loin du Maroc et au plus près de la danse contemporaine».