Une campagne de boycott, lancée sur les réseaux sociaux, dénonce les marges abusives des intermédiaires et entend mettre fin à l'opacité du marché du poisson. La grogne collective révèle les failles d'un secteur livré à lui-même, un paradoxe dans un pays bordé par 3.500 kilomètres de littoral. Le débat attisé par l'affaire «Abdou», ce jeune poissonnier de Marrakech sanctionné pour avoir défié les règles du marché, a rapidement embrasé les réseaux sociaux. Sous le hashtag «boycott» ou encore «laisse-le pourrir», la contestation s'est amplifiée, alimentant des foyers de grogne et faisant planer le spectre d'une campagne de boycott des produits de la mer. En cause, la flambée des prix du poisson, qui suscite un malaise croissant à l'approche du mois de Ramadan, dans un pays dont le littoral s'étend pourtant sur près de 3.500 km. Symbole de cette inflation galopante, les prix du poisson atteignent des sommets inaccessibles pour une grande partie de la population. Une aberration économique, alors que la filière halieutique représente un pilier essentiel du pays et que le Maroc est le premier pays producteur de poissons en Afrique. Marges arbitraires De la mer aux étals, le poisson change plusieurs fois de main, chaque intermédiaire prélevant sa part et faisant grimper les prix. À peine sorti des eaux, il est livré aux criées portuaires, où mareyeurs et grossistes imposent leur loi. De là, il transite vers les marchés de gros avant d'être redistribué aux poissonniers et détaillants. Chaque étape alourdit la facture : commissions, frais de transport et marges arbitraires s'additionnent, au point de faire grimper les prix à des niveaux insoutenables pour le consommateur final. L'exemple des sardines est révélateur à cet égard. Poisson le plus prisé des classes populaires, il quitte le port à trois dirhams le kilo avant d'être proposé au consommateur final à 15 dirhams! Un écart qui illustre à lui seul les distorsions du marché et l'opacité des circuits de distribution. Cette situation est d'autant plus déconcertante que le Royaume est le 1er producteur et exportateur mondial de sardines (sardina pilchardus) ! Ce maillage complexe laisse place à un laisser-faire généralisé. Les circuits de distribution échappent à une régulation efficace et les marchés de gros fonctionnent selon des règles obsolètes, datant de plus d'un demi-siècle. C'est ce que souligne Ouadih Madie, président d'une association de défense des consommateurs. Et d'ajouter que «la traçabilité du poisson est assurée jusqu'à son entrée sur le marché, mais au-delà, plus rien ne permet de suivre son prix une fois qu'il quitte le port. Ce qui montre bien que le problème ne réside pas dans l'absence de solutions, mais dans le manque d'application sur le terrain». Cette opacité alimente une spéculation effrénée, à tel point que certains appellent aujourd'hui à un audit en profondeur de l'Office national des pêches (ONP). Un secteur gangréné par des dysfonctionnements structurels, où des monopoles informels et des marges excessives faussent le jeu de l'offre et de la demande. L'absence de contrôle favorise des pratiques peu scrupuleuses, rendant la formation des prix totalement insaisissable. Faute d'un encadrement efficace, l'augmentation des prix devient un phénomène récurrent, particulièrement en période de forte demande, comme à l'approche du Ramadan. «Réformer le cadre légal des marchés de gros, vieux de plus de soixante ans, est une priorité», plaide encore Madie. «Ensuite, il faut imposer un contrôle effectif sur les intermédiaires, dont les marges excessives faussent complètement le marché. Enfin, assurer une transparence totale sur les prix, depuis le producteur jusqu'au consommateur. Sans ces réformes, les hausses de prix continueront d'étrangler les ménages, et le Ramadan deviendra, chaque année, un test de résistance pour le pouvoir d'achat des Marocains.» L'Etat dispose pourtant des outils nécessaires pour agir : cadre législatif, moyens techniques, instances de contrôle. Ce qui fait défaut pour de nombreux observateurs, c'est une volonté politique claire. «Tant que la régulation se bornera à de simples ajustements ponctuels sans réelle refonte structurelle, la situation risque de perdurer», conclut Madih. Et avec elle, la colère des consommateurs, désormais déterminés à faire entendre leur voix par le boycott. Affaire "Abdou" : la précision de l'ONSSA L'affaire du jeune poissonnier marrakchi, sommé de cesser son activité, a relancé le débat sur les conditions dans lesquelles opèrent de nombreux petits commerçants. Contacté par Les Inspirations ECO, l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) précise que l'inspection menée par une commission mixte, présidée par le gouverneur et composée des services d'hygiène ainsi que des autorités locales, a conclu qu'il ne s'agissait pas d'un problème d'entreposage ou d'hygiène, mais d'une absence d'autorisation. Une mise au point qui contredit certaines informations, relayées notamment dans les réseaux sociaux, évoquant une non-conformité sanitaire. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO