Portée par une hausse record et le lancement imminent du marché à terme, la Bourse de Casablanca amorce un tournant décisif. Simple effet conjoncturel ou véritable retour aux fondamentaux? Clôturant l'année sur une dynamique haussière, la Bourse de Casablanca enregistre des performances remarquables qui suscitent autant d'interrogations que d'espoirs. Au cours de la séance du 30 décembre 2024, l'indice MASI (Moroccan All Shares Index) de la Bourse de Casablanca se situe au-dessus du seuil des 14 680 points, enregistrant une progression de 21,13% en glissement annuel. Une performance qui s'inscrit dans la lignée du «bull run» amorcé début 2024, où l'indice évoluait à 12 141 points. Cette trajectoire ascendante a permis au MASI de franchir, en novembre, la barre symbolique des 15.000 points, confortant ainsi sa position parmi les benchmarks les plus performants de la région. À titre de comparaison, il devance l'EGX 30 égyptien (+20 %) et le JSE All Share d'Afrique du Sud (+15,74 %). L'année 2024 a également été marquée par une reprise sectorielle contrastée, où certains secteurs se sont nettement distingués. Le secteur immobilier a connu une envolée spectaculaire de 209,61%, soutenu par les incitations du programme d'aide au logement. Le secteur minier, après une année difficile, affiche un rebond significatif de 58,17%, porté par la hausse des cours des métaux et les initiatives telles que le plan Maroc Mine. Dans le même élan, le secteur de la santé poursuit son expansion avec une envolée de 109,68%, promu grâce à la croissance du groupe Akdital. En revanche, certains secteurs peinent à maintenir le rythme, à l'instar des télécommunications (-16,40%), affectées par des litiges, et de la technologie qui affiche, au 30 décembre 2024, un net repli de 3,84%. Confiance retrouvée Ces performances sectorielles s'accompagnent d'une hausse notable des indicateurs de la place. La capitalisation boursière s'est établie à 742 milliards de dirhams à fin septembre 2024, en progression de 21,7% par rapport à l'année précédente, tandis que le volume transactionnel sur les marchés central et de blocs a atteint 49,8 milliards de dirhams sur les neuf premiers mois de 2024, soit une augmentation spectaculaire de 106,6% par rapport à une année auparavant. Ces résultats traduisent une confiance accrue des investisseurs, renforcée par une dynamique macroéconomique favorable, notamment une inflation maîtrisée (0,8% en septembre) et une baisse des taux obligataires. L'un des piliers de cette dynamique est le rôle des Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), qui continuent de drainer des volumes significatifs sur le marché. À fin septembre 2024, l'actif net des OPCVM a atteint 636,5 milliards de dirhams, marquant une hausse de 13,7% depuis le début de l'année et de 14,2 % en glissement annuel. Les OPCVM de type «obligations moyen et long terme» dominent, avec une collecte nette de 33,9 milliards de dirhams sur les neuf premiers mois, suivis par les fonds diversifiés (+4 milliards de dirhams) et monétaires (+2,9 milliards de dirhams). Cependant, les fonds actions, malgré un contexte boursier haussier, ont enregistré une légère décollecte nette de 0,4 milliard de dirhams, révélant une préférence des investisseurs pour des stratégies plus prudentes. Cette montée en puissance des OPCVM contribue à l'amélioration de la liquidité globale, un point longtemps critiqué sur la place casablancaise. Le retour en grâce des investisseurs locaux, dont les volumes ont été multipliés par cinq au deuxième trimestre 2024, témoigne également de cette effervescence. Toutefois, la conjoncture reste marquée par des défis persistants. La croissance économique, limitée à 2,4%, et un taux de chômage encore élevé à 13,1% rappellent les fragilités structurelles du tissu économique marocain. Malgré cela, les analystes s'accordent à dire qu'il n'y a aucun signe de surchauffe, soutenus par un ratio cours-bénéfice (PER) stabilisé autour de 22, un niveau modéré comparé à d'autres places comme le Nasdaq, où ce ratio dépasse les 46. Par ailleurs, un rendement de dividende moyen de 3% continue d'attirer les investisseurs locaux, bien que la perte du statut de marché émergent limite l'apport des capitaux étrangers. Par ailleurs, l'année a été marquée par l'introduction en bourse de CMGP Group, acteur majeur dans le domaine des systèmes d'irrigation et des solutions d'agrofourniture. Cette opération, réalisée le 16 décembre 2024, a levé 1,1 milliard de dirhams, avec une demande de 40,69 milliards de dirhams, soit une sursouscription de 37 fois, reflétant un engouement exceptionnel des investisseurs, notamment des petits porteurs. Cette introduction, la troisième plus importante de l'histoire de la Bourse de Casablanca, a permis à CMGP Group d'atteindre une capitalisation boursière de 3,4 milliards de dirhams, se positionnant ainsi parmi les 34 plus grandes sociétés cotées. Retour aux fondamentaux ? La dynamique retrouvée sur les marchés financiers n'est pas sans rappeler le franchissement du seuil psychologique des 15.000 points franchi par l'indice vedette qui marque ainsi un retour progressif vers un développement plus équilibré, après plus d'une décennie de stagnation post-crise de 2008. S'y ajoute le lancement imminent du marché à terme qui joue en faveur de l'attractivité de la place casablancaise. Une étape structurante décrite par l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) comme un point d'inflexion important vers l'opérationnalisation de ce nouveau marché, dont les composantes essentielles sont désormais mises en place. Reste à transformer cet élan en moteur durable, capable de redéfinir le rôle de la bourse comme catalyseur stratégique de l'économie. Le marché à terme, un levier stratégique pour les investisseurs L'imminence du lancement du marché à terme d'instruments financiers marque une étape cruciale dans la modernisation des infrastructures financières. Avec un cadre législatif et réglementaire quasiment finalisé, s'accompagne la réorganisation capitalistique des entreprises de marché, désormais structurées autour d'un modèle intégré en silo, ayant pour pilier central une chambre de compensation. Conçu comme un pivot stratégique, ce dispositif introduit des outils de couverture avancés, consolidant ainsi la résilience des acteurs économiques face aux fluctuations des marchés. Soutenu par ce cadre réglementaire rigoureux et cette chambre de compensation, véritable cœur de l'architecture, ce marché promet d'insuffler une nouvelle dynamique à la liquidité et à l'innovation financière, tout en affirmant une ambition régionale dans un environnement de plus en plus compétitif. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO