Face à une concurrence jugée déloyale, les importateurs dénoncent les pratiques de distribution des fabricants chinois de panneaux solaires sur un marché dont le volume d'affaires dépasse les 10 milliards de dirhams. Echapper à la dépendance énergétique sans tomber dans le piège d'un dumping économique. Tel est le défi en perspective pour le marché solaire domestique. Longtemps perçu comme un secteur à potentiel modéré, ce marché est désormais dans le collimateurs des industriels chinois, avides d'étendre leurs tentacules sur le marché national. Là où ces fabricants de photovoltaïque se contentaient auparavant de livrer leurs panneaux via des circuits de distribution classiques, ils orchestrent désormais leur propre réseau commercial, écartant ainsi les intermédiaires traditionnels. «C'est une tendance qui prend une ampleur inédite dernièrement», confie Abdelkhalek Baou, directeur général chez SunQ. Une stratégie qui, au-delà de la simple optimisation des marges, traduit une lecture avertie d'un marché en pleine effervescence, dont le volume d'affaires dépasse, selon les estimations des professionnels du secteur, les 10 milliards de dirhams. Pour des géants comme Risen Energy ou Sunrise Energy, le Maroc s'impose comme un point d'ancrage stratégique. À Casablanca, ils occupent désormais d'anciens entrepôts dans des zones d'activité commerciale ou industrielle comme à Derb Omar ou Ain Sebaâ, où ils n'avaient pourtant pas pignon sur rue, il y a encore un an. «Ce n'est pas très compliqué de pénétrer le marché marocain, il suffit de monter une SARL à 10.000 DH de capital et louer un local et voilà», ironise un opérateur. Une fois installés, les fabricants chinois inondent le marché grâce à leurs dispositifs, allant des panneaux de grande capacité aux connecteurs, en passant par les onduleurs, faisant chuter mécaniquement les prix. L'écart est parfois tel que les distributeurs locaux peinent à suivre. Exemple : pour un panneau de 555 Wh vendu à environ 800 dirhams, le concurrent chinois propose un modèle similaire à 700 dirhams. «Perdre 100 dirhams par panneau, c'est une perte de 72.000 dirhams par conteneur de 720 unités», relève le directeur général chez SunQ. Une image ternie Dans un secteur où les marges se resserrent de facto, le constat est unanime : les firmes chinoises exercent une pression susceptible, in fine, de redéfinir les équilibres du marché. Au delà de nuire à la rentabilité des importateurs, c'est tout un écosystème qui risque d'en pâtir. «Pensez un peu à toutes ces lignes de métiers menacées, des revendeurs aux techniciens en passant par les agents de manutention qui assurent un service après-vente de qualité contrairement à l'offre chinoise», observe un opérateur du secteur. En contournant les barrières tarifaires et en profitant des subventions de l'Etat, les fabricants chinois gagnent rapidement du terrain. À cet avantage de coûts s'ajoute un fonctionnement qui évite largement les obligations sociales et fiscales auxquelles sont soumises les enseignes locales. «La plupart ne déclarent même pas la valeur réelle des panneaux. Ce procédé leur permet de rapatrier des devises tout en maximisant leurs marges», surenchère un acteur du secteur. Si cette situation pourrait ressembler à une aubaine pour le consommateur final, elle s'avère un calvaire pour les importateurs, acculés à vendre à perte pour maintenir leurs parts de marché. Le dumping chinois a également des implications bien au-delà des frontières commerciales. «Nos lignes de crédit se tarissent», alerte un opérateur, pointant du doigt la défiance croissante des fournisseurs à l'égard de ce marché où les prix sont continuellement sous pression. Une défiance qui pourrait, selon certains, «ternir l'image du Maroc» sur la scène internationale. Il s'y ajoute l'absence d'associations à même de défendre les intérêts des importateurs face au dumping chinois. «On manque de représentativité», confie Taha Achabbak, CEO de Chain project, en déplorant le manque d'appui institutionnel pour contrer ces pratiques déloyales. Pour autant, les enseignes marocaines ne manquent pas d'atouts. Maillage territorial dense, réseau d'installateurs réparti sur les principales villes et un service après-vente de proximité – des éléments avec lesquels les structures chinoises peinent encore à rivaliser. Toutefois, en l'absence de barrières à l'entrée, le marché du solaire demeure vulnérable. Selon certains opérateurs, le dynamisme que connaît le marché du solaire au Maroc n'est pas à l'abri des convoitises des industriels indiens ou encore égyptiens qui étudieraient, à leur tour, l'éventualité de s'y installer durablement. La Chine dicte les règles du marché solaire mondial Le marché de la fabrication des panneaux solaires connaît une expansion significative, portée par une demande mondiale croissante en énergies renouvelables et des avancées technologiques. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la capacité de production industrielle photovoltaïque devrait atteindre 1.262 GW au niveau mondial d'ici 2030 (dont plus de 80% en Chine), soit environ 35 fois la consommation électrique annuelle du Maroc, estimée à 35,28 TWh. Depuis 2011, la Chine a investi plus de 50 milliards de dollars dans la chaîne d'approvisionnement photovoltaïque, contrôlant plus de 80% de toutes les étapes de fabrication. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO