Cinq géants américains du numérique – Alphabet, Amazon, Apple, Meta et Microsoft – ainsi que le chinois ByteDance, propriétaire de TikTok, seront soumis à de nouvelles règles de l'UE plus strictes pour endiguer les pratiques anticoncurrentielles, selon une liste dévoilée mercredi. Le règlement sur les marchés numériques (DMA) doit modifier profondément les modèles économiques des mastodontes de la tech, accusés d'évincer la concurrence en abusant de leur position dominante. Cette législation ouvre un nouveau front entre l'UE et la big tech, avec de nouvelles batailles judiciaires en perspective. 22 enseignes dans le collimateur La Commission a désigné au total 22 plateformes clé appartenant à ces six groupes : quatre réseaux sociaux (TikTok, Instagram, Facebook, LinkedIn), deux messageries instantanées (WhatsApp et Messenger), trois systèmes d'exploitation (Android, iOS, Windows), un moteur de recherche (Google), et deux navigateurs (Chrome, Safari). La liste comprend également six services d'intermédiation (Google Maps, Google Play, Google Shopping, Amazon Marketplace, App Store et Meta Marketplace), le site de partage de vidéos Youtube ainsi que les services publicitaires de Google, Amazon et Meta. À l'initiative du texte, les commissaires Margrethe Vestager et Thierry Breton espèrent favoriser l'émergence de startups européennes et améliorer les services offerts aux consommateurs. 20% du chiffre d'affaires en pénalités Après des années à courir après les infractions dans des procédures judiciaires interminables, Bruxelles veut agir plus vite et plus fort. Le DMA impose aux acteurs les plus puissants un carcan d'obligations et d'interdictions à respecter sous peine d'amendes dissuasives qui pourront atteindre 20% de leur chiffre d'affaires mondial en cas de récidives. «Nous avons déjà commencé à discuter avec les entreprises qui ont compris que les règles du jeu ont changé», explique Thierry Breton. Il affirme que la Commission européenne, qui détiendra le pouvoir de contrôle et de sanctions, «n'hésitera pas à prendre des mesures fortes». L'objectif est d'agir avant que les comportements abusifs n'aient déjà détruit la concurrence et engendré un quasi-monopole comme celui de Google dans les moteurs de recherche. Nouvelles règles La législation «change l'industrie du numérique en Europe et transforme un secteur non réglementé en un secteur profondément réglementé», souligne Alexandre de Streel, directeur académique du Centre on Regulation in Europe (CERRE). Parmi les nouvelles règles, l'UE va imposer l'interopérabilité des services de messagerie visés. Ainsi WhatsApp et Messenger, toutes deux propriété de Meta, devront permettre à leurs utilisateurs de communiquer avec les produits concurrents comme Signal. Le règlement s'appliquera à partir du 6 mars à ces firmes désignées mercredi comme des «contrôleurs d'accès» («gatekeepers»), en raison de leur taille qui les rend incontournables dans leurs activités respectives. D'ici là, les groupes concernés devront soumettre un rapport détaillant la manière dont ils se sont mis en conformité. Quelques règles entrent en vigueur immédiatement. C'est le cas de la nouvelle obligation pour ces plateformes d'informer la Commission de toute opération de rachat, quelle que soit la taille de la cible. Par ailleurs, Google se verra interdire tout favoritisme envers ses propres services dans les résultats de son moteur de recherche, comme il a été accusé de le faire avec son site de vente en ligne Google Shopping. La nouvelle loi empêchera également le géant du e-commerce Amazon d'utiliser les données générées sur ses sites par des entreprises clientes pour mieux les concurrencer. Le DMA contraindra Apple à autoriser sur ses produits, comme ses célèbres iPhone ou iPad, d'autres boutiques d'applications que l'Apple Store. Levée de boucliers Des contestations et recours en justice sont attendus, vu l'importance des intérêts en jeu. Le nouveau règlement «est une loi complexe dans un environnement complexe, il est inévitable d'avoir des contestations juridiques au début », estime M. de Streel : «je m'attends à ce que certaines entreprises veuillent contester la désignation de certains de leurs services». La liste des «contrôleurs d'accès» sera régulièrement revue pour tenir compte des évolutions du marché. Trois services de Microsoft (le navigateur Edge, le moteur de recherche Bing ainsi que Microsoft Advertising) font l'objet de recherches supplémentaires par la Commission pour une éventuelle désignation ultérieure, tout comme le service de messagerie iMessage et le système d'exploitation iPadOS d'Apple. Microsoft s'est réjoui que ses trois services remplissant des critères pour être ciblés par la législation en soient pour l'instant exemptés. «Nous nous félicitons de la décision de la Commission d'ouvrir une enquête de marché pour examiner notre demande d'exemption de Bing, Edge et Microsoft Ads – qui opèrent en tant que challengers sur le marché», a déclaré un porte-parole. «Nous continuerons à travailler en étroite collaboration avec la Commission européenne pour nous conformer à la loi», a réagi Oliver Bethell, directeur des affaires juridiques de Google. Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ECO