Entre incertitudes géopolitiques, fluctuations des prix de l'énergie et sécheresses récurrentes, le Maroc se prépare à affronter de nombreux défis économiques en 2024. Malgré des hypothèses macroéconomiques réalistes, la réalisation des objectifs budgétaires reste tributaire de nombreux facteurs. Dans cette interview, Abderrahim Oubrahim, professeur-chercheur du département Economie et gestion à l'Université Abdelmalek Essâadi de Tanger, commente les hypothèses de base des prévisions économiques et fiscales du gouvernement, pour l'année à venir. Trouvez-vous les hypothèses macroéconomiques du projet de loi de Finances 2024 réalistes, étant donné le contexte économique actuel et les incertitudes géopolitiques mondiales ? Les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes au PLF sont réalistes si on se fie au contexte actuel du marché des produits énergétiques et aux tendances baissières des cours du pétrole et du gaz naturel. Durant le 1er semestre 2023, le prix du baril du pétrole a varié de 86 $ à 72 $ et pour le gaz butane, on a remarqué un ralentissement de son prix, avec une baisse de 30% par rapport au niveau observé durant l'année 2022. Depuis février 2023, on a une stabilité des prix, dans une fourchette entre 520 $ et 600 $ la tonne. Concernant la production céréalière, le gouvernement a tablé sur un scénario moyen (selon le nombre d'années retenues, la production céréalière moyenne varie entre 70 et 75 millions de quintaux), sachant que cette production reste tributaire des conditions climatiques. Concernant le taux d'inflation, il devrait ressortir à 6,2% en moyenne en 2023, avant de s'établir à 3,9% en 2024, prévoit Bank Al-Maghrib (BAM). En termes de prévision, BAM a annoncé un taux plus élevé par rapport au gouvernement. La réalisation de cet objectif reste tributaire d'un ensemble de facteurs : une campagne agricole favorable, la tendance de l'évolution des prix énergétiques, la stabilité des prix des produits alimentaire (si la tendance de ses derniers mois se confirme et perdure). À cela s'ajoute les différentes mesures relatives au relèvement des taux d'intérêt. Le cumul de ces facteurs aura un impact sur la réduction du taux d'inflation, mais qui restera aux alentours de 4% à 4,5% pour l'année 2024. Quelles sont les principales sources de risques qui pourraient peser sur la croissance économique en 2024 et les années suivantes ? Les principales sources de risques sont d'ordre géopolitique et environnemental. Sur le volet géopolitique, la guerre en Ukraine est un choc inédit depuis la fin de la guerre froide. En 2023, l'incertitude autour de la guerre et de ses conséquences restera très élevée, avec des impacts politiques et économiques régionaux et mondiaux importants. Ce conflit continuera de stimuler l'inflation à l'échelle mondiale, et par conséquent, le maintien des taux d'intérêt à des niveaux élevés plus longtemps pour contenir l'inflation. Dernièrement, la Russie a mis fin à son accord céréalier. Un non-renouvellement de l'accord pourrait conduire à l'augmentation du prix des denrées alimentaires. L'autre source de risque est environnementale : au Maroc, la sécheresse est devenue, ces dernières années, une donnée structurelle. La succession des années sèches a impacté le taux de remplissage des barrages, ce qui limite les marges de manœuvre pour les années à venir. Pouvez-vous fournir une analyse de la manière dont l'économie actuelle et les politiques monétaires en place pourraient affecter les projections du taux d'inflation, du cours du gaz butane et du taux de change dollar/dirham pour les années à venir, compte tenu de l'instabilité des prix du pétrole sur les marchés mondiaux et des incertitudes politiques et économiques mondiales ? L'inflation devrait ressortir à 6,2% en moyenne en 2023, avant de s'établir à 3,9 % en 2024, prévoit BAM. Déjà entre les prévisions de Bank Al-Maghrib et le gouvernement et malgré les mesures mises en place par BAM consistant en un relèvement des taux d'intérêt, cela n'aura qu'un faible effet sur l'inflation, à cause de la prédominance de l'inflation importée dans la formation des prix, en lien avec la persistance de la dépendance énergétique. À cela s'ajoute la sensibilité des prix des matières premières et des produits alimentaires au conflit russo-ukranien. En 2024, l'inflation persistera à un niveau supérieur par rapport au taux de 3,4%. L'évolution de ce taux en 2025 et 2026 sera dépendante de la campagne agricole 2024/2025, du niveau des prix des produits énergétiques (pétrole et gaz) et des taux d'intérêt. Les prévisions de production céréalière pour 2024 sont-elles réalistes, selon vous ? En termes de production agricole, et plus particulièrement la production céréalière, le gouvernement a tablé sur 75 millions de quintaux. Ce chiffre représente la moyenne de la production céréalière sur les dix dernières années (c'est aussi le même chiffre retenu pour le projet de loi de Finances 2023). Cependant, la production céréalière connaît une volatilité selon la pluviométrie. Elle peut varier entre 32 millions de quintaux comme minimum en 2020/21 et 115 millions de quintaux en 2014/2015 comme production la plus importante. Les campagnes agricoles 2017/2018 et 2020/21 ont été bonnes avec 103 millions de quintaux. Le choix de la moyenne, par souci de prudence, pour établir la prévision, alors que l'analyse de l'historique de la pluviométrie montre une alternance entre année humide et année sèche. Avec l'évolution du climat et la position du Maroc dans une zone semi-aride, nous allons subir une fois tous les trois ans, en moyenne, une grande sécheresse. Dans le contexte climatique marocain, la sécheresse est devenue structurelle. Et le taux de remplissage des barrages ne dépasse guère les 33%. Ces derniers peuvent atténuer l'effet d'une sécheresse en cours après une année humide. Mais les marges de manœuvre se resserrent quand il y a succession des années sèches. Quels sont les obstacles majeurs susceptibles de compromettre la réalisation des objectifs de réduction du déficit budgétaire à l'avenir ? La réduction du déficit budgétaire reste tributaire de l'évolution des recettes et des dépenses. Les risques qui pèsent sur la réalisation des objectifs de réduction sont les suivants : – Risque de flambée des prix du pétrole et du gaz butane, ce qui va impacter la charge de la compensation d'un côté, et de l'autre, mobilisera des charges supplémentaire sous forme de subvention pour des entreprises de transport et logistique. – Risque d'augmentation de la charge d'intérêt, suite à l'augmentation de la dette et des taux d'intérêt. Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO