Les PME constituent une proportion importante du tissu économique marocain(plus de 80%). Leur apport à l'économie nationale est, donc, très important. Néanmoins, leur force de frappe reste limitée, et notamment sur le marché extérieur. La taille de ces entreprises plombe en effet leur poids dans le marché et limite, de fait, leur domaine d'action. D'où l'importance de la fusion pour ce type de sociétés. Cette option peut, en effet, s'avérer très interessante pour les PME souhaitant se développer sur les marchés internationaux. Bémol, pour beaucoup d'entre elles, la fusion est un «luxe» réservé aux entreprises qui en ont les moyens. Avis mitigés Les frais de fusion et la fiscalité liée à l'opération ont, depuis toujours, dissuadé les PME les plus courageuses. Une donne qui est en train de connaître un sacré changement. En ce sens que la loi de finances 2010 a apporté un lot de mesures incitatives pour les fusions. Les nouvelles dispositions portent, ainsi, sur l'institution d'un régime fiscal transitoire en faveur de ces opérations, complétant le régime particulier de fusion prévu jusqu'ici par l'article 162 du CGI. Du côté des professionnels, alors que certains se félicitent de cette «avancée», d'autres préfèrent plutôt rester vigilants. Une troisième catégorie, elle, soutient que ces incitations ne sont pas suffisantes. «C'est le dernier des soucis d'une entreprise qui souhaite opérer une fusion», explique Hassan Dabchy, Directeur Général du cabinet HMD Consulting. Une opération sans risques ? La fusion est une opération très risquée. «Selon les statistiques mondiales, une fusion sur deux n'est pas porteuse de valeur ajoutée», tel que l'affirme l'expert International en gestion des risques. Cela veut dire que, de l'autre côté, seules 50% des fusions apportent les résultats escomptés. En effet, plusieurs entreprises ont été contraintes de «divorcer» au bout de quelques années seulement. L'exemple le plus parlant est celui de la fusion entre les mastodontes Daimler et Chrysler. Fusion des systèmes de comptabilité L'une des raisons principales de l'échec des opérations de fusion réside dans le manque de transparence dans la comptabilité de l'entreprise. La transparence est pour beaucoup dans le déficit en fusion dont souffre le tissu des PME au Maroc. Une démarche fiscale qui a pour objectif d'encourager les entreprises à adopter une comptabilité transparente serait la bienvenue, s'accordent à dire certains professionnels. De cette manière, la fusion de la comptabilité des deux entreprises deviendrait possible. Pour encourager les PME à adopter un management transparent qui faciliterait la fusion, il est même préconisé de réduire ou de supprimer les frais liés à l'opération de fusion. Fusion des hommes Les fusions d'entreprises comportent également d'autres risques. Il y a d'abord la problématique des chocs culturels engendrée par le rapprochement de deux styles de management différents et, parfois même, opposés. Dans ce genre de situation, il est souvent constaté que les salariés, et surtout les cadres, de l'une ou l'autre entreprise vivent mal ce changement. D'ailleurs, les cas de démissions sont nombreux suite aux annonces de fusions. C'est le cas des salariés qui n'arrivent pas à se familiariser avec les nouvelles règles du jeu, ou de ceux qui ont peur d'être licenciés et préfèrent anticiper. Ainsi, au lieu de gagner en synergie, l'entreprise perd ses «anciens» et sa mémoire. «Les cabinets qui accompagnent les opérations de fusion doivent mettre en garde leurs clients contre ce risque en particulier», insiste Dabchy. Ceci permettrait à l'entreprise de prendre ses dispositions, notamment en matière d'accompagnement de la conduite de changement. Fusion des systèmes d'information De même, les entreprises doivent être conscientes que leurs systèmes d'information ne sont pas forcément identiques. La fusion des deux systèmes, si elle n'est pas impossible, se révèle parfois être extrêmement coûteuse. Dabchy donne l'exemple de deux banques marocaines qui ont fusionné. Cette opération les a obligées à laisser tomber un système d'information qui leur avait coûté plusieurs millions de DH. Là encore, c'est le cabinet accompagnateur qui doit attirer l'attention de son client sur ce risque. Fusion des clients Le client finit toujours par développer un «sentiment d'appartenance» vis-à-vis de l'entreprise. Cependant, la fusion de deux entités est un élément perturbateur dans sa relation avec l'entreprise qui fusionne. En effet, l'opération de fusion est systématiquement suivie d'une période de restructuration, au cours de laquelle le client ne reconnaît plus son entreprise et s'identifie plus à ses produits. Une attention particulière doit être portée aux commerciaux de chacune des entreprises. Fusionner les fichiers clients doit être suivi d'une fusion des commerciaux. En général, le cabinet doit apporter un accompagnement post fusion pour faciliter la transition. Un cadre incitatif, oui mais... «Les opérations de fusion étaient régies par un texte obsolète. Ces nouvelles dispositions constituent une réelle avancée». Abdelkader Boukhriss, membre de l'ordre des experts-comptables, se félicite des modifications apportées au régime fiscal, venues compléter le régime particulier de fusion prévu par l'article 162 du Code général des impôts (CGI). En plus de l'exonération de la plus-value réalisée par la société absorbante, l'avancée majeure concerne le nouveau régime particulier de scission. Cependant, le professionnel tempère son enthousiasme en rappelant que le nouveau régime fiscal des fusions, avec tout le mérite que l'on pourrait lui attribuer, demeure un régime transitoire. «Nous allons fonctionner avec un système qui durera 3 ans. Après...» déplore l'expert comptable. Comme l'instauration de ces nouvelles mesures fiscales répond à un objectif précis, à savoir créer un cadre propice au développement des fusions de sociétés, son caractère provisoire risque toutefois de provoquer l'effet inverse. Ainsi, toute opération de fusion est précédée par une étude d'opportunité. Or, l'un des principaux éléments qui orientent les conclusions d'une telle étude a justement trait à la fiscalité. «Face à ce régime transitoire, nous manquons vraiment de visibilité» reconnaît Abdelkader Boukhriss. Autre argument, bon nombre de fusions impliquent un processus de restructuration, processus qui s'étale en général sur une durée de 5 à 6 ans. On comprend mieux, à la lumière de ces éléments, qu'une certaine frilosité règne dans les milieux d'affaires. La renonciation de la société absorbante au droit de report de son déficit existant à la date de la fusion fait également parti des nouveautés «impopulaires» de ce régime fiscal. «Nous ne sommes pas pour l'exonération à tout va, surtout si elle est temporaire. Mais nous sommes disposés à réfléchir à des solutions, telles que le maintien de l'imposition des plus values si elle est étalée dans le temps». « Il y a un grand déficit en fusions»:Hammad Kassal, Ex vice-président de la CGEM Les Echos : Pourquoi ces incitations ? À la base, c'est une demande du patronat qui a pour objectif de favoriser la fusion des entreprises. Les grands groupes opèrent généralement sur le marché local uniquement. Les seules entités exportatrices du Maroc restent encore les PME. Seulement, ces entités sont encore incapables de se positionner sur des marchés proches, tels que la Mauritanie. Il est donc impératif de développer le commerce extérieur. La fusion assure justement une force de frappe importante aux entreprises souhaitant se positionner sur les marchés internationaux. Elle permet de renforcer les capacités d'exportation des PME de petite taille. À moyen et long termes, ce rapprochement favorise la naissance de holdings. Ces mesures incitatives permettront de donner un nouveau souffle aux fusions au Maroc. Pensez-vous que ce soit suffisant ? Plusieurs entreprises ont dû abandonner leurs projets de fusion. Et pour cause, la fiscalisation n'était pas favorable à ce type d'opérations. Aujourd'hui, ces mesures constituent un bon début. Cependant, d'autres incitations devraient voir le jour, afin de doper le phénomène des fusions. À mon sens, tous les acteurs devraient apporter leur contribution. Les banques d'affaires devraient d'abord revoir leurs tarifs à la baisse. Plusieurs entreprises abandonnent la fusion à cause de la tarification élevée que pratiquent les établissements bancaires. D'un autre côté, les experts-comptables gagneraient à communiquer plus sur les fusions sur lesquelles ils ont déjà travaillé. Aujourd'hui, il y a un grand déficit en fusions et ce n'est pas comme cela qu'il sera gommé. Selon vous, comment ces mesures pourraient-elles être améliorées ? Tout d'abord, une défiscalisation pendant 3 ou 4 ans des entreprises fusionnées permettrait de renforcer la tendance. De la même façon, la réduction, voire même la suppression des frais d'enregistrement pour une durée allant de 1 à 3 ans, serait un atout supplémentaire. Un des obstacles qui se dressent devant la fusion d'entreprises se trouve être la transparence. Or ces mesures encourageraient les PME à adopter un management plus transparent et à communiquer plus souvent sur leurs états financiers. Ces mesures encourageront les PME concernées à être plus ouvertes et favoriseront davantage les fusions.