L'économie marocaine rebondira-t-elle en 2013 ? C'est la grande interrogation de l'heure, principalement au sein de la communauté des hommes d'affaires et des investisseurs nationaux et étrangers. Et pour cause, l'année 2012 a été, à tous points de vue, une année blanche pour l'économie marocaine avec un taux de croissance du PIB qui a dégringolé sous la barre des 3%, loin derrière les moyennes annuelles des dernières années. Maintenant que l'année budgétaire a été bouclée, les estimations sur les perspectives d'un rebond de la croissance marocaine en 2013 s'avèrent assez optimistes. Le FMI prévoit ainsi une croissance de 5,5%, soit un point de plus que les prévisions du gouvernement qui tablent sur 4,6%. La Banque mondiale s'est inscrite dans le même sillage, puisqu'elle vient de confirmer cette tendance en prévoyant une croissance du PIB de 4,4% pour 2013, de 4,8 et 5,1% respectivement pour 2014 et 2015. Dans l'ensemble, donc, les pronostics en ce début d'année sont assez optimistes pour le Maroc et c'est là un premier effet positif pour l'économie nationale, si l'on sait que l'exercice précédent a démarré sur de mauvaises prévisions. Il est vrai que cette année s'annonce prometteuse avec le bon début de la campagne agricole et les signes de reprise au niveau de plusieurs secteurs comme le tourisme, qui ont terminé l'année en berne, conséquence de la morosité de l'économie mondiale, notamment chez nos principaux partenaires européens. Pourtant, à y regarder de près, ce ne sont pas ces seuls indicateurs qui justifient l'optimisme ambiant des experts, qui ont passé l'économie nationale au crible. Le rebond attendu de la croissance marocaine pour 2013 est, en grande partie, justifié par les fondamentaux solides dont dispose l'économie nationale et par des ressorts de développement qui permettront au Maroc de relever ce défi. À cet égard, et aussi insignifiantes que peuvent paraître les performances de l'économie marocaine pour 2012, les efforts consentis depuis plusieurs années pour impulser une nouvelle orientation à l'économie nationale, sont en train de porter leurs fruits. Ceci, essentiellement à la lumière des réglages annoncés par les nouvelles autorités, relatifs aux différentes stratégies sectorielles mises en œuvre pour accompagner l'émergence de l'économie nationale et qui constituent aujourd'hui autant de relais de croissance. Année transitoire Le recul de la croissance du PIB en 2012, indicateur par excellence du dynamisme de l'économie nationale, a été une mauvaise chose pour le Maroc. Ce qui ne pourrait pourtant pas être mis sur le compte de la gestion du gouvernement actuel, qui vient de commémorer sa première année sur un bilan contrasté. À sa décharge, en effet, la conjoncture économique mondiale dont les effets ont fini par se répercuter sur plusieurs secteurs, notamment ceux des investissements directs à l'étranger (IDE), des transferts de devises et des exportations. L'autre facteur aggravant a tait à la conjugaison de facteurs non seulement exogènes comme la flambée des cours des produits pétroliers et alimentaires, dont le Maroc est grand importateur, mais aussi endogènes avec une production agricole qui a fortement chuté. Du coup, la résilience de l'économie nationale a été mise à rude épreuve alors qu'au même moment, le gouvernement Benkirane prenait fonction au terme d'une année 2011 clôturée sur fond de réformes politiques ayant relégué au second plan les enjeux économiques. La compilation de tous ces évènements a directement déteint sur les principaux indicateurs macroéconomiques de l'économie nationale. Le déséquilibre budgétaire s'est davantage creusé sous le coup principalement du creusement du déficit commercial et du poids des subventions, qui en 2012 a flirté avec la barre des 50 MMDH, soit plus de 6% du PIB. Au même moment, le solde du Trésor s'est érodé même si la situation est de ce côté moins inquiétante. La morosité de la période a également fini par atteindre le marché financier avec des indicateurs boursiers dans le rouge. En clair, à la fin de l'année 2012, le tableau de l'économie nationale était des plus sombres, ce qui fait des 2,9% de croissance du PIB - à défaut d'une performance- une preuve que le Maroc a pu sauver ses meubles. La comparaison avec les pays voisins (Tunisie, Egypte) serait à ce niveau, plus illustrative sauf que ces derniers étaient confrontés à de graves troubles sociopolitiques que le Maroc a fort heureusement pu limiter la casse. La situation aurait donc certainement pu s'aggraver davantage cette année, puisque l'économie nationale fait encore face presque aux mêmes défis, ce qui pourtant, ne reflète pas l'optimiste ambiant sur les perspectives de croissance. L'explication des économistes à ce niveau est sans conteste : 2012 a été l'année révélatrice de la limite du modèle économique marocain, qui a certes fait ses preuves, mais dont les performances ne sont plus adaptées au contexte actuel. Cela, d'autant plus qu'aujourd'hui plus que par le passé, les défis socioéconomiques ont été amplifiés par une transition politique menée pacifiquement, mais traduite par une accentuation des aspirations citoyennes. Les réformes de première génération engagées depuis la première décennie des années 2000 et qui ont été couronnées par la réforme politique de 2011, ont fait de 2012 une année charnière dans le chemin de l'émergence économique que vise le Maroc à l'horizon 2020. Comme l'a si bien affirmé le souverain à l'époque, ces réformes politiques et les avancées enregistrées jusque-là sur le chemin de la démocratie et du développement humain n'auront de sens que si elles ne se traduisent par la suite par un changement qualitatif et quantitatif des conditions de vie des Marocains dans leur ensemble. C'est justement dans la droite ligne des orientations royales que s'inscrivent les recommandations des experts sur les principaux défis du Maroc pour la décennie à venir. Ceux-ci ne sauraient être réellement pris en compte qu'à condition que les réformes de seconde génération soient plus orientées vers les enjeux socioéconomiques, en vue d'enclencher le processus d'une croissance durable et inclusive. La décennie actuelle est celle des réformes structurelles à fort impact socioéconomique, qui pourraient à terme faire émerger un nouveau modèle économique. C'est de cette responsabilité dont a hérité le gouvernement actuel à l'entame de son mandat. Fort heureusement, la réforme politique de 2011 a balisé le terrain pour accompagner ce processus. L'enjeu à ce niveau est de taille, après une croissance moyenne de 4% pour la première décennie du millénaire, qui a permis au Maroc de disposer de fondamentaux solides, tant politiques que socioéconomiques, la deuxième décennie devrait se traduire par un niveau plus élevé pour consolider les acquis enregistrés et faire face aux nouveaux défis. Selon les différentes analyses, d'ici à 2020, une croissance moyenne de 6% au minimum est nécessaire pour insuffler une réelle dynamique à l'économie nationale et l'arrimer sur la voie de l'émergence. Conscient de cette réalité, le gouvernement a lui-même fait sien cet objectif, en promettant une croissance moyenne de 7% d'ici la fin de son mandat qui arrive à échéance en 2016. Bien sûr, nous n'en sommes pas encore là, mais il s'agit plus d'engager le processus qui s'avère, à l'évidence long et complexe, que de s'en remettre au miracle. À ce titre, tous les constats convergent à reconnaître que le lancement des réformes structurelles, c'est maintenant et c'est ce qui fait de 2012 une année transitoire durant laquelle le gouvernement a pris fonction, dans un contexte des plus défavorables, et a eu le temps d'identifier les mesures qui s'avèrent nécessaires à mettre en œuvre. Il s'agit là d'un double objectif et d'autant d'enjeux pour Benkirane et son équipe. D'abord, c'est un défi national qui constitue la seule alternative pour sortir l'économie nationale de l'impasse apparente actuelle et ensuite, un enjeu politique pour la coalition au pouvoir, puisqu'il constitue la base préalable à l'atteinte des promesses ambitieuses faites par le gouvernement à sa prise de fonction. Autant dire que la convergence des intérêts entre le calcul politicien et le salut collectif, fait que les analystes s'accordent à croire aux annonces faites par le gouvernement pour enclencher nécessairement les réformes structurelles. Et à ce niveau, la visibilité donnée par le gouvernement, qui a mené des consultations tout au long de l'année, s'avère être un premier point positif pour que 2013 soit l'année des réformes, comme nous l'annoncions dans nos colonnes. Enjeux de l'heure L'année 2012 a débuté dans une conjoncture difficile et a fini sur la même tendance, selon les indicateurs socioéconomiques, mais un fait assez important permet de tempérer le pessimisme qui devrait normalement prévaloir en ce début d'année. Il s'agit de la sortie à l'international du Maroc qui a pu emprunter 1,5 MUSD, soit plus que ce qui était prévu au départ et avec un taux moindre que ceux d'économies, en théorie plus reluisantes que le Maroc. Dans un contexte international des plus difficiles et vu la situation dans laquelle se trouvait l'économie nationale, il s'agit là d'un réel exploit en dépit d'autres aspects que l'on pourrait mettre en avant pour atténuer cette récolte, notamment l'endettement du pays qui commence à prendre des proportions inquiétantes. S'il est vrai qu'au préalable le Maroc a pu se prémunir des chocs exogènes qui d'habitude réduisent la voilure de la croissance, notamment la ligne de précaution et de liquidité (PLF) de 6,2 MMUSD du FMI et les swaps de la Banque mondiale, c'est la confiance des marchés internationaux envers l'économie marocaine qui a été mise en relief. Les réformes structurelles annoncées par le gouvernement et dont certaines sont déjà activées comme celle de la Caisse de compensation, la plus alarmante, ont conforté les experts dans leurs analyses. Il est assez illustratif, en ce sens, de rappeler qu'à la veille de cette sortie, les analystes de l'agence de notation Standard et Poor's, se sont inquiétés de l'absence de visibilité sur la mise en œuvre de ces réformes qui permettront de réduire les déficits budgétaires. À présent, c'est chose faite puisque le gouvernement annonce que rien que pour 2013 et en plus de la refonte du système de compensation, celle de la Justice, des retraites, de la fiscalité ou du secteur industriel seront menées. Les concertations nationales tous azimuts ont commencé comme celles de la justice et d'autres déjà bouclées (exportations), d'autres sont aussi prévues pour le premier semestre de l'année (industrie et fiscalité). Déjà en 2012, un pas important a été franchi dans l'amélioration du climat des affaires, où le chef de gouvernement s'est personnellement engagé à mener à terme ce chantier avec des résultats déjà palpables qui témoignent de la réforme de plusieurs textes juridiques notamment ceux relatifs aux marchés bancaire et financier ainsi qu'au renforcement de la compétitivité nationale. Parallèlement, le gouvernement a pu dans la loi de finance 2012 consentir un effort sensible dans le soutien à l'investissement public, ainsi qu'au secteur stratégique des PME. Ce qui fait que le défi actuel pour le gouvernement, qui a pu maintenir l'attractivité du pays au plan international, est de pouvoir mener à bien ces réformes annoncées. Le gouvernement a réitéré son engagement en se référant à sa volonté politique, ce qui pourrait se conforter par la nécessité qu'imposent les temps actuels, mais il va sans dire que le processus requiert plus qu'un engagement. Les intervenants et les intérêts sont si divergents qu'il faudrait un vrai courage politique pour y parvenir. Les consultations que mène le gouvernement Benkirane sont décisives et la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles relatives notamment à la régionalisation ou à l'activation des instances chargées de veiller à la bonne gouvernance, est tout aussi importante. En définitive et pour que la dynamique ne puisse pas être enrayée par des calculs politiciens, alors que s'approchent les échéances électorales, le gouvernement a fortement besoin d'un consensus national sur certaines questions, lesquelles du reste sont pour l'essentiel un lourd héritage du passé. À la clé, un réel potentiel d'opportunités pour l'économie nationale qui pourra enfin tirer pleinement profit de ses avantages comparatifs, notamment sa stabilité politique, son positionnement géostratégique et les leviers de croissance de son économie. Ceci, grâce à une économie dont l'ouverture et les bases aiguisent bien des appétits au delà du marché interne. C'est le principal défi pour Benkirane et son équipe et c'est un réel espoir pour la nation. Les raisons d'une prudence Les experts et avis de l'opposition politique et certains partis de la majorité ont particulièrement reproché au gouvernement l'absence d'une réelle visibilité sur l'agenda des réformes, notamment, dans la loi des finances révisée de 2012 puis celle de 2013. Cela a été confirmé par les agences de notation internationale. À l'heure actuelle, certes, et à part la Caisse de compensation et l'agenda gouvernemental dévoilé au Parlement, le gouvernement en est encore à la concertation mais certains analystes légitiment cette donne par la sensibilité des dossiers. Certaines réformes, aussi nécessaires qu'elles soient, risquent de s'avérer impopulaires et du coup, discréditer l'image de la majorité, notamment du PJD, le principal chef d'orchestre de l'alliance au pouvoir. L'alerte a été donnée avec la dernière décision de rehausser les prix des hydrocarbures. L'opposition est en embuscade et les syndicats aussi alors que des élections sont à venir. Dans sa dernière notation pays, SP s'est justement inquiété des germes de tensions sociales que certaines réformes pourraient engendrer dans le pays. D'où cette prudence du gouvernement qui s'entoure de toutes les précautions nécessaires en engageant des concertations avec l'ensemble des acteurs avant de prendre la décision politique qui ressort de sa seule responsabilité. La principale inquiétude des économistes à ce sujet, c'est que cette prudence, en somme justifiée par des impératifs politiques à certains égards, se transforme au final en retard. «Aussi impopulaires que peuvent s'avérer ces réformes, le gouvernement n'a pas le choix puisqu'elles sont nécessaires», nous confie l'économiste Lahcen Achy, professeur à l'ENSIAS et chercheur au centre Dale Carnegie pour le Moyen-Orient.