LesEchos.ma : Que représente la presse électronique dans le paysage médiatique marocain? Mustapha El Khalfi : Il y a actuellement près de 500 sites d'information au Maroc, répartis dans plus de 70 villes/régions du royaume. Nous avons constaté une augmentation considérable en 2012. Tout cela renforce le rapport à l'information de proximité, la réactivité et l'interactivité avec la société, ainsi que l'accès à l'information. Les sites Internet fournissent également un service «public» ! Ce développement de la presse électronique est capable de constituer un modèle économique durable. D'ailleurs, certains sites ont réellement réussi à le faire. Cela nous renvoie au succès de certains groupes de presse américains qui ont anticipé l'évolution du journalisme en donnant la priorité à la presse électronique (online first). C'est cette démarche qui leur a finalement permis de rebondir et de résoudre leurs problèmes financiers. Cela prouve bien que la presse en ligne donne des perspectives énormes, à condition qu'elle soit exploitée de manière intelligente, bien sûr. Au Maroc, le potentiel existe bel et bien. Le nombre d'utilisateurs d'Internet est en constante croissance. Nous comptons actuellement plus de 16 millions d'internautes et plus de 5 millions d'abonnés à Internet. Ajoutez à cela le nombre d'utilisateurs de réseaux sociaux. Nous avons par exemple déjà dépassé la barre des 4 millions de pages sur Facebook, dont 70% sont des jeunes de moins de 30 ans. Ces statistiques montrent qu'il est réellement possible de bâtir un modèle économique, nonobstant certains inconvénients comme la lenteur du débit. Il faut cependant améliorer la qualité du contenu en ligne. C'est d'ailleurs ce que la stratégie Maroc Numeric propose de faire en développant le contenu informationnel, culturel et de divertissement sur la toile. Comment cela ? Nous vivons actuellement dans une ère où il faut consolider sa présence dans le monde virtuel. Je suis convaincu que l'amélioration du contenu électronique peut avoir un impact positif sur la valorisation de l'identité nationale. C'est ce qui nous permettra de nous ouvrir sur le monde extérieur, en proposant un contenu électronique capable de refléter notre réalité. Nous disposons donc d'une grande marge de manœuvre, que nous devons faire fructifier. C'est dans ce cadre que le ministère a d'ailleurs organisé en mars 2012 une journée d'étude sur le sujet. L'événement a réuni pas moins de 250 représentant de sites Internet marocains. Nous avons ensuite constitué une commission qui a préparé un projet de loi qui a été présenté au comité scientifique responsable de l'étude du code de la presse. Nous travaillons également pour l'instauration de l'égalité entre les journalistes de la presse papier et ceux de la presse électronique. C'est une reconnaissance légale, qui précède une reconnaissance totale par le code de la presse. Vous avez annoncé le lancement d'un code spécifique pour la presse électronique. Où en est-il et pourquoi élaborer un texte de loi spécifique au secteur, plutôt que d'adapter le code professionnel actuel aux exigences du web? La presse électronique au Maroc est un secteur très actif d'un point de vue quantitatif, mais qui fait face à de nombreux défis. La réglementation actuelle offre un certain cadre juridique, dans la mesure où la presse électronique fait partie de la presse écrite certes, mais il y a des éléments qui ne sont pas pris en charge, à l'image de la responsabilité, notamment en ce qui concerne le contenu produit par l'utilisateur. C'est ce que l'on appelle, «The User Generated Content» et qui est typique de la presse électronique. Il y a aussi la multitude des services que la presse électronique propose (TV, radio...), sans parler des réseaux sociaux et de l'archivage. Pour résumer, il existe plusieurs problématiques qui ne sont pas faciles à gérer avec le cadre juridique actuel. Il existe néanmoins des dispositions internationales qui protègent la propriété intellectuelle des dangers inhérents la presse électronique. Le Maroc s'est d'ailleurs engagé sur plusieurs accords, notamment avec l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et l'Union internationale des télécommunications (UIT). Il faut néanmoins une réglementation adaptée à la réalité du pays. C'est ce qui nous a incités à élaborer un cadre légal pour la presse électronique au Maroc, avec comme objectif de renforcer la liberté et l'accès aux services d'Internet. Le ministère ambitionne de développer un cadre légal, qui régisse la responsabilité des utilisateurs et qui prenne en charge les innovations technologiques du secteur. Il est à noter que ces dernières nécessitent elles aussi un encadrement professionnel et un suivi permanent. Le développement du secteur implique l'instauration d'un modèle économique fiable et viable. Puisque vous évoquez les exemples étrangers, pensez-vous que le contenu payant a sa place auprès des internautes marocains ? C'est difficile de l'imaginer, sauf en ce qui concerne certains services très particuliers tels que les bulletins de veille. Au Maroc, le modèle économique de l'entreprise de presse est très lié à d'autres secteurs, comme celui de la publicité. Je m'explique. La presse électronique permet en effet une réaction instantanée du «lecteur», grâce au paiement en ligne. Les sites web peuvent ainsi dépasser les frontières et s'ouvrir de manière plus rapide à une audience plus vaste. Ceci a bien évidemment un impact sur le niveau des revenus publicitaires. Or, la presse écrite reste, elle, confinée à une sphère géographique restreinte. Il y a également un autre secteur qui entre en jeu, celui des relations publiques, surtout lors des campagnes électorales. À mon sens, c'est un nouveau segment à exploiter pour la presse électronique. Tout ceci montre l'ampleur de la presse virtuelle par rapport à la presse papier, qui reste très limitée. Jusqu'à présent, Internet ne représente pas plus de 2% des recettes publicitaires au Maroc. Selon vous, comment peut-on développer ce marché ? Il faut avant tout développer ce que l'on appelle «la confiance numérique». Les données personnelles doivent être protégées contre toute usurpation ou piratage. C'est pour cela que nous cherchons d'abord à développer le cadre légal. Il faut ensuite encourager les synergies entre la presse électronique et les agences de communication. Nous assistons déjà à un développement dans ce sens, mais il est vrai qu'il reste très limité. Pour y parvenir, il faut surtout améliorer le contenu de la presse électronique. C'est, à mon sens, la clé du succès de la presse électronique au Maroc. La création d'outils de mesure locaux est également un point à développer. Jusqu'à présent, nous n'utilisons que des instruments internationaux. Cela devrait nous permettre de mieux cerner les cibles et les audiences. C'est d'ailleurs un des projets sur lequel planche actuellement le comité scientifique. Sa mission n'est pas seulement l'étude du projet de loi, mais surtout l'élaboration d'un livre blanc relatif à la presse électronique. Est-ce que ce comité prévoit la constitution d'un conseil semblable à la HACA, pour assurer la régulation du contenu électronique ? C'est effectivement l'une des questions qui se pose au sein du ministère actuellement. En matière d'organisation, il ne faut pas oublier qu'il existe déjà des comités professionnels relatifs aux métiers de la presse (les syndicats, les éditeurs, les journalistes, etc.). Il y a également le Conseil national de la presse, qui se chargera également de réglementer le contenu des sites d'information en ligne. L'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) est également appelée à jouer un rôle dans tout ce qui se rapporte aux autorisations et aux fréquences radios. La HACA, quant à elle, prend en charge tout ce qui est web TV. Actuellement, nos efforts se concentrent sur l'élaboration d'un cadre légal, qui englobe toutes les innovations dans le secteur, en gardant en ligne de mire les deux éléments cités, à savoir, la liberté de presse et la responsabilité. Les professionnels réclament actuellement un appui financier de la part du gouvernement. Qu'en pensez-vous ? Nous en parlons beaucoup au sein du ministère. Il faut noter qu'en général, l'appui financier public est destiné à renforcer la diversité et encourager le développement des sites d'information. Au Maroc, la stratégie Maroc Numeric appuie plusieurs projets dans ce sens. De plus, nous sommes en train de préparer un contrat-programme spécifique, afin d'appuyer la presse électronique et d'encourager la presse papier à lancer ses propres sites Internet. Cet appui portera également sur une partie des charges de fonctionnement et sur les charges fiscales, ainsi que sur le volet de la formation et des équipements. Nous avons ainsi réalisé un benchmark à l'international, notamment basé sur l'expérience française, pour établir les bonnes pratiques dans ce sens. Avez-vous des projets pour la formation aux métiers du web ? L'Institut supérieur de l'information et la communication (ISIC), assure actuellement la formation aux métiers du journalisme web. Cela sera également un des axes du Livre blanc, d'ailleurs. L'Institut supérieur des métiers audiovisuels et l'Institut des métiers de publicité assureront en revanche la formation aux métiers connexes au secteur, comme l'audiovisuel, par exemple. De plus, un accord tripartite vient d'être signé entre la Fédération nationale des éditeurs de journaux, le Syndicat national de la presse marocaine et le ministère de la Communication, représenté par l'Institut supérieur du journalisme pour des projets à ce niveau. Un des volets les plus importants de cet accord est la formation dans le domaine des innovations web-technologiques. Comment comptez-vous encourager la presse écrite classique à se digitaliser ? C'est un grand défi. Le contrat-programme que nous préparons actuellement contient une partie qui concerne l'appui aux éditeurs de journaux, qui font face au problème de distribution. Les sites d'information permettent de créer une forte relation de proximité avec les lecteurs. Nous souhaitons donc les encourager dans ce sens. Il faut aussi signaler que la presse écrite «classique» est amenée à exploiter les nouvelles sources d'information et cela passe essentiellement via une présence sur le web. Quand est prévue la publication de ce Livre blanc ? La commission a terminé la préparation du projet de loi. Elle est actuellement en pleine préparation du Livre blanc, qui sera bouclé en ce début d'année. Il sera cependant présenté dans le cadre de la stratégie Maroc Numeric. Mustapha EL KHALFI, Ministre de la communication, Porte-parole du Gouvernement