«La réglementation du secteur n'aura de mission, que de renforcer la liberté qui est propre aux médias en ligne». Mustapha El Khalfi, plante le décor et rassure les professionnels du Net quant au cadre juridique que le ministère de la Communication envisage de mettre en place. Accueillant plus de 500 personnes, venues de tout le Maroc, la première journée d'étude sur la presse électronique, organisée par le ministère de tutelle samedi dernier à l'Institut supérieur de l'information et de la communication (ISIC) à Rabat, se voulait «une journée historique», aux yeux du ministre, marquant «un nouveau tournant pour le secteur», augurant une nouvelle réglementation basée sur le principe de liberté d'expression, certes, mais également sur les règles déontologiques de la profession. Justement, de quelle profession s'agit-il exactement ? Entre journalistes électroniques, journalistes citoyens - essentiellement actifs sur la Toile - et journalistes «tout court», qui ont rejoint le monde virtuel, il y a de quoi en perdre... sa plume. Pour Younès Moujahid, secrétaire général du Syndicat national des professionnels des médias (SNPM), c'est là l'un des premiers points d'ombre à éclairer en ce qui concerne le secteur. «Il y a une grande différence entre les journalistes professionnels et les journalistes citoyens», insiste-t-il. Pour Nourredine Miftah, président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), «il est par contre, temps de cesser la distinction entre web-journaliste et journaliste de la presse écrite, il ne s'agit que d'une seule et même profession, qui devrait être régie de la même manière, et par un seul et même code, à savoir celui de la presse. «Nous avons appelé au sein de la fédération à ce que le code de la presse compte une partie importante du volet électronique», affirme-t-il à l'ouverture de cette journée d'étude. Un casse-tête virtuel D'autres questions restent également en suspens lorsqu'il s'agit de journalisme en ligne. Face à la pléthore de chiffres et de statistiques confirmant la place du Maroc en tant que précurseur dans la région, El Khalfi, souligne le vide juridique auquel font face les acteurs du virtuel. Quel cadre juridique peut-on instaurer à l'encontre d'un média sans limites ? Quel modèle économique conviendrait aux professionnels marocains ? Comment l'Etat peut-il contribuer au développement du secteur, sans pour autant instaurer un système d'assistanat ? Comment protéger et veiller au respect des règles de propriété intellectuelle ? De quelle manière peut-on veiller au respect des règles de pluralisme et de pluralité dans les médias en ligne ? Comment le Maroc abordera-t-il les changements technologiques que subira le secteur ?... Bref, c'est un véritable casse-tête virtuel qui attend les professionnels des médias, et avec eux, les autorités en charge du respect des lignes rouges. C'est donc autour d'ateliers thématiques, que les professionnels, venus nombreux à ce rendez-vous, ont donc tenté de trouver les réponses à ces interrogations. Pour peu qu'au bout de plusieurs aller-retour dans les couloirs de l'institut à la recherche de ces fameux ateliers et quelques coups de fil, pour confirmer l'absence des intervenants, les organisateurs se décident finalement à écouter les points de vues des participants. Retour aux bancs de l'école Entre ceux qui ont créé un site dédié aux femmes, ceux qui ont choisi de s'adresser aux professionnels du secteur maritime, ou ceux qui préfèrent rester dans l'information régionale ou généraliste, les idées et les modèles de portail ne manquent pas. Au total, on compte plus de 400 sites d'information au Maroc (selon El Khalfi), une grande majorité d'entre eux sont publiés en arabe, choisissant ainsi de s'adresser à une cible plus large au niveau national. Pourtant, le financement reste la principale problématique à laquelle font face tous ceux qui ont choisi de se lancer dans le web. Si ce n'est les aides internationales ou les financements publicitaires étrangers, le budget publicitaire national dédié à Internet s'élève à peine à 1% de l'ensemble des dépenses (4 MMDH en 2011) estime Nourreddine Miftah. La presse écrite, le premier média historiquement, n'est pas mieux lotie, puisqu'on lui consacre 19% de ce même budget. C'est dire si les moyens financiers sont infimes. La faute à qui ? Aux annonceurs, non convaincus de l'intérêt marketing de communiquer sur des portails Web ? Aux éditeurs en ligne, qui ne parviennent pas à trouver de modèle économique viable ? Au ministère, qui devrait «plus» soutenir le secteur ? Selon Amine Trabelsi, président directeur général de Casanet, «il n'y a pas de modèle économique idéal... chaque éditeur doit trouver celui qui lui correspond le mieux». Le hic au Maroc, c'est surtout le fait que les entreprises de presse en ligne se tournent essentiellement vers un modèle basé sur les revenus publicitaires, offrant aux lecteurs un contenu entièrement gratuit. Un modèle qui, reconnaissons-le a trouvé ses limites dans des marchés plus matures, notamment en Europe, où le contenu payant est désormais un complément incontournable des revenus Web. À défaut, les éditeurs de journaux en ligne, préfèrent encore faire appel au soutien de l'Etat, et pas uniquement financier. Ainsi donc, parmi les recommandations qui seront soumises au département d'El Khalfi, à l'issue de cette journée d'étude, on notera la constitution d'un fonds d'aide dédié au secteur de la presse électronique, la création d'une pépinière dédiée aux nouveaux projets de médias en ligne, ainsi que l'aide et la facilitation à la création d'entreprises de presse. Les professionnels appellent également le ministère à «sensibiliser les annonceurs à l'intérêt d'investir dans le secteur» et à consacrer une part du Fonds Maroc Numeric aux médias en ligne. «Nous ne voulons pas d'aide financière de l'Etat, nous voulons un soutien technique pour parvenir à une autonomie financière», ajoutent les intervenants, d'où l'intérêt également de demander l'instauration de formations dédiées aux métiers du virtuel, notamment dans les écoles de commerce, recommande-t-on. Les recommandations soumises à l'issue de cette journée sont légions, mais impossible de tout faire. D'où la création d'une «commission de recherche qui a été constituée par le ministère» annoncée par El Khalfi au cours de cette journée. Sa mission : «apporter une réflexion stratégique visant à répondre à toutes ces interrogations et établir un benchmark international» permettant d'élaborer un modèle marocain. Les ratages d'une «journée historique» Standing ovation, vague d'applaudissements et nuée de flashs d'appareils photos en tous genres, décidemment, Mustafa El Khalfi fait office de rock-star dans le monde virtuel. Néanmoins, les quelques 500 «professionnels» venus se bousculer à l'entrée de l'ISIC pour ovationner l'initiative du ministère de la Communication, d'instaurer une réglementation du secteur, reviendront vite à la réalité par la force de l'organisation décousue de l'événement, qui se voulait «historique». Une virulente réaction d'un bloggeur déçu de ne pas voir la communauté de Web-influenceurs, interpellée dans ce débat, ainsi, le programme de la journée est revu, intégrant un «atelier supplémentaire», dédié aux bloggeurs. À quelques minutes du débat, ce n'est finalement pas un, mais deux ateliers qui seront ajoutés au programme, celui du «modèle économique et des compétences techniques», ayant été scindé. Et si les inscrits cherchaient vainement dans les couloirs de l'ISIC, le QG de leur atelier respectif, pas besoin de demander aux «organisateurs», puisque les étudiants qui distribuaient les packs presse, plutôt dans la journée étaient presque aussi perdus que les participants. Une fois installés dans une des rudimentaires salles de classe, les seuls intervenants et à la fois modérateurs ayant répondu présent à l'appel du ministère, se muniront d'une feuille et d'un stylo pour noter «rapidement» les recommandations des participants. «Attention, à ce que les recommandations ne partent dans tous les sens non plus, le ministère risque de n'en prendre aucune», recommande le modérateur qui, s'adresse à l'assemblée en leur donnant quelques «bons tuyaux» pour «ne pas compter sur ce même ministère».