Le front social est en pleine ébullition ! Depuis quelques semaines, en effet, les débrayages sociaux se multiplient au niveau de plusieurs secteurs, alors que d'autres sont annoncés dans les prochains jours. Justice, enseignement, transport et santé : c'est presque l'ensemble des secteurs sociaux, en plus des collectivités locales, qui sont concernés. À quelques pas du round d'octobre du dialogue social, la récurrence de ces mouvements s'inscrit-elle dans une surenchère sociale, au moment où le gouvernement doit aussi s'activer sur les fronts économiques et politiques ? Oui et non à la fois ! Il faut dire que les différentes centrales syndicales ont récemment été reçues par le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, qui a tenu à recevoir leurs doléances en prélude, précisément, à la reprise du dialogue social. Cependant, là où la cerise manquait sur le gâteau, c'est qu'au sortir de ces rencontres entre Benkirane et les responsables syndicaux, le dialogue risque de se faire «sans cash» (lesechos.ma). Pour ces derniers, la rentrée sociale et politique s'annonce donc, comme une occasion assez opportune pour remettre la pression sur le gouvernement. Dans les détails pourtant, cela n'explique pas toutes les agitations que connaît le front social actuellement. Il s'agit plus d'un rejet du dialogue version Benkirane, tant dans son approche que dans les objectifs recherchés. C'est, d'ailleurs ce que mettent en avant les syndicats pour justifier leurs mouvements. Expliquant les causes qui sont à la base de la grève nationale, Mohamed Mitali, le président de l'Union des fédérations nationales des conducteurs et des professionnels du transport, a déclaré aux Echos quotidien que «dans le contexte actuel, nous sommes obligés d'organiser une grève nationale, puisque le gouvernement s'entête à ignorer nos doléances». Pour le syndicaliste, en dépit du fait qu'ils sont conscients que ces mouvements coûteront cher au pays, «les professionnels n'avaient pas d'autres choix, car le secteur demeure anarchique et le gouvernement ne fait rien pour arranger les choses». Effervescence sociale Pour les syndicalistes, donc, la responsabilité du climat d'agitation sociale qui règne actuellement, incombe au gouvernement. Il est vrai qu'au niveau de plusieurs secteurs, ce sont les décisions prises par les responsables de tutelle qui sont à la base des grèves. C'est le cas au niveau du secteur éducatif ou au niveau des collectivités locales ou certaines décisions ministérielles prises récemment ont fait sortir les syndicats de leur relative accalmie alors qu'au niveau du secteur des transports, c'est l'absence d'initiative de la part du gouvernement qui est mise en cause. Les secteurs de la santé et de la justice cristallisent, à eux seuls, les différentes facettes de ces mouvements à répétition. Entre rejet de certaines décisions prises par les ministres de tutelle et le manque de concrétisation des accords conclus dernièrement, les syndicats trouvent largement de quoi légitimer leurs mouvements. «Comment voulez-vous qu'un gouvernement qui dit prôner le dialogue et les négociations, se permettent de prendre des décisions sans concertations avec les principaux acteurs du secteur, et sur lesquelles il revient fréquemment ?», s'interroge un autre syndicaliste. De quoi rester perplexe sur la pertinence même du dialogue social et de ses relais au sein de chaque ministère, c'est-à-dire les dialogues sectoriels ? Dialogue de sourds Il faut dire que le Maroc dispose, pourtant, d'un cadre adéquat permettant d'épargner au pays pareilles situations. C'est le cas du dialogue social que le gouvernement veut institutionnaliser, partant des résultats réalisés par les précédents gouvernements grâce à ce mécanisme. Après plusieurs rounds et des rencontres régulières entre le gouvernement et les principaux syndicats, force est de constater que sous Benkirane, le dialogue social n'a donné lieu à aucun résultat concret comme le souligne Miloud Mouharik, le patron de l'UMT pour qui, «le gouvernement ressasse toujours les même promesses». Il faut noter que pourtant, après sa prise de fonction, le gouvernement a pu parvenir à une certaine accalmie sur le front social. Sans que cela soit considéré comme une véritable lune de miel, plusieurs ministères ont pu mener des concertations avec les syndicats de leur secteur et signer même des accords en plusieurs points. Ce qui a permis de mettre fin à des grèves récurrentes qui paralysaient un temps les secteurs comme ceux de la justice ou de la santé. Le réveil du front social actuel traduit-il l'échec de l'approche gouvernementale ? C'est ce que laissent entendre les syndicats qui reconnaissent aussi que la situation pour le gouvernement n'est pas certes assez reluisante mais que leurs doléances ne sont pas seulement pécuniaires. Pour certains observateurs, cependant, il ne faut pas oublier la conjoncture politique actuelle qui a ses impacts sur le front social. Ce qu'on pourrait expliquer, d'une part, par les liens, parfois étroits, entre certaines centrales syndicales ou corporation et des partis politiques, mais d'autre part aussi, par le contexte politique actuel. Outre l'approche des prochaines élections locales de 2013, le gouvernement s'active à faire face aux critiques qui fusent au moment où il s'apprête à commémorer son premier anniversaire, sur son incapacité à apporter des réponses concrètes aux attentes des citoyens. Ce qui place du coup, l'équipe gouvernementale au premier rang duquel le PJD, dans une véritable campagne électorale. Les syndicalistes qui sont bien au parfum de cet état de fait ont, surement, trouvé l'occasion de se faire entendre et de faire pression sur le gouvernement qui n'a pour le moment eu comme véritable actif, que de liquider, tant bien que mal, l'accord hérité du dialogue social menée sous l'équipe El Fassi. Ce qui constitue bien un maigre résultat par rapport aux promesses faites par le gouvernement à sa prise de fonction. D'autant plus, que le patronnât à travers la CGEM a pu mener des concertations avec les principales centrales syndicales, ce qui a donné lieu à un mémorandum transmis, justement, au gouvernement. Le round social de la dernière chance C'est en principe, en ce mois d'octobre, que reprennent les assises du dialogue social entre le gouvernement et les quatre principales syndicales du pays. En prélude à cette rencontre qui s'annonce chaude, le chef du gouvernement a reçu, le mois passé, les principales doléances de l'UMT, le CDT, l'UGTM et de la FDT. Ce qui fait qu'on connaît, déjà, les grandes lignes de ce qui sera au menu du prochain round. Selon Larbi Habchi, membre du bureau central de la FDT, le dialogue social se penchera sur les questions liées aux libertés syndicales, l'exécution des accords de 2011 et la participation des acteurs sociaux aux grandes décisions qui seront prise par le gouvernement. S'il ne s'agit là que de quelques points proposés par les différentes centrales, ils annoncent déjà des débats enflammés entre les deux parties. Il faut dire que cette que l'une des principales pommes de discorde entre le gouvernement et les syndicats, c'est la priorité des questions à inscrire sur l'agenda du round social. Le chef du gouvernement qui a pris les choses en main, dispose, en tout cas de toute la visibilité nécessaire ainsi que des principales doléances des syndicalistes et du patronnât, de même que les marges de manœuvre de son gouvernement pour enfin parvenir à calmer le front social.