Mais à quoi sert le dialogue social ? C'est la question que l'on est en droit de se poser, au vu de l'allure que prennent les concertations entre le gouvernement et les syndicats. La marche nationale, prévue ce dimanche 27 mai, par deux centrales syndicales, la Fédération démocratique du travail (FDT) et la Confédération démocratique du travail (CDT), au moment où le gouvernement s'apprête à déterminer avec l'ensemble des syndicats une méthodologie de travail et un agenda précis, inaugure à tous points de vue, un réveil du front social et annonce déjà l'échec de l'approche Benkirane du dialogue social. Les deux centrales n'ont d'ailleurs pas attendu l'issue des discussions entamées lundi dernier avec le ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle, Abdelouahed Souhail, qui ont duré trois jours. Plus encore, ils ont tout simplement boycotté la rencontre préférant se consacrer à l'organisation de leur marche annoncée comme pacifique. Cette attitude a provoqué la «surprise » de Souhail, qui venait, il y a juste une semaine de recevoir les recommandations de la CGEM, laquelle a pu mener son propre dialogue social avec les syndicats. Du coup, c'est la suite même des négociations qui semble prise en otage, même si le gouvernement a décidé de poursuivre le processus avec les centrales qui lui sont restées fidèles. Il s'agit de l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) de l'istiqlalien Hamid Chabat et de l'Union nationale marocaine de Mohamed Yatim, proche du PJD en plus de l'Union marocaine du travail (UMT) de Miloudi Moukharik. C'est donc, avec ces trois centrales syndicales, que le gouvernement tentera de sauver la face surtout qu'on attend encore l'empreinte de la nouvelle équipe gouvernementale sur ce dossier. Jusque-là, en effet, le gouvernement s'est attelé à «liquider les engagements pris par l'ancien gouvernement» selon le ministre Souhail. C'est d'ailleurs sur la suite de la mise en oeuvre de cet accord, daté du 11 avril 2011, que portent les principales revendications de la FDT et de la CDT. Le gouvernement planche, de son côté, sur «une nouvelle approche participative» pour un prochain round à l'agenda bien chargé et qui, en principe, débutera probablement en septembre. Les raisons de la discorde L'un des principaux points de discorde entre les centrales syndicales et le gouvernement est relatif aux priorités à inscrire sur l'agenda du prochain cycle de négociations. Pour l'Exécutif, la priorité doit être donnée à l'aspect juridique, notamment l'adoption des lois sur la grève et les syndicats. Ce qui n'est pas du goût des syndicats, principalement la CDT et la FDT, qui font remarquer que la priorité devrait être accordée à l'amélioration des conditions de vies et de travail des salariés. La marche du 27 mai a d'ailleurs été placée sous le signe de «la défense de la dignité et des revendications matérielles et sociales de la classe ouvrière». Il faut dire qu'à ce niveau les enjeux ne sont pas les mêmes. Le gouvernement entend, à travers cette approche, «mettre fin au vide juridique que nous avons trouvé» selon Abdelouahed Souhail qui s'appuie sur les dispositions de la Constitution, notamment la loi organique sur les grèves. C'est aussi l'un des souhaits du patronat qui a déjà remis ses propositions sur la question au gouvernement. L'enjeu à ce niveau, pour le gouvernement et la CGEM, est de parvenir enfin à un véritable encadrement juridique de cette question, de manière à mieux garantir le chantier de l'amélioration du climat des affaires et renforcer la compétitivité du Maroc à l'international. Le gouvernement a déclaré, en tout cas, travailler sur les deux aspects à savoir l'amélioration des conditions de vie des travailleurs et l'adoption des lois attendues par les opérateurs. De plus, le gouvernement entend, également, mettre fin à la série de grèves récurrentes constatées ces dernières années, particulièrement dans le secteur public alors que la menace des coupes sur le salaire est régulièrement brandie par Benkirane. C'est pour cette raison aussi que les syndicats voient à travers la manoeuvre gouvernementale une tentative de restriction des libertés syndicales, chose que réfute un membre du cabinet ministériel de Souhail qui s'appuie sur la Constitution «qui comprend des dispositions claires en matière de garantie accordée à l'exercice des libertés syndicales». Cependant, ce bras de fer qui oppose désormais le gouvernement à deux des principales factions syndicales prend l'allure d'une confrontation politique comme le soulignent certains observateurs. Manoeuvres politiques La conférence de presse conjointement animée par Noubir Amaoui, de la CDT et Abderahmane Azzouzi, de la FDT, mardi dernier à Casablanca, est assez édifiante à ce niveau. La présence remarquée de plusieurs membres des partis de la gauche dont les deux centrales sont proches n'est pas passée inaperçue. Surtout celle des représentants de l'USFP. On se rappelle que lors de son dernier conseil national tenu en début du mois et avant même l'annonce de la marche du 27 mai, le parti de la rose a annoncé son intention de dynamiser son action politique à travers le relai parlementaire mais également syndical. L'USFP s'est même réjouie de la tentative de rapprochement entre les deux centrales syndicales, la FDT et la CDT. Selon le politologue Mohamed Darif, «l'USFP a depuis commencé à recourir à son relais syndical, la FDT, dans sa recherche d'une nouvelle crédibilité auprès de la population». Ce qui se constate aisément à travers la fronde menée par la FDT lors de la discussion du projet de loi de finances 2012 à la seconde Chambre du Parlement et où elle a parlé d'une voix commune avec l'USFP. D'ailleurs, dans leurs sorties du 22 mai les deux responsables de la CDT et de la FDT n'ont pas manqué de remettre en cause tout le programme gouvernemental, et en premier lieu sa déclaration de politique générale. «Ce gouvernement ne dispose pas de projet de réforme, ni de volonté, ni même de programme» ont précisé les deux centrales dans leur communiqué. De plus, en prélude à leur marche de dimanche, la CDT et la FDT affirment disposer du «soutien de la rue», notamment celui du mouvement du 20 février et de certains partis politiques comme le PSU, dont l'opposition contre le gouvernement est devenue une arme choyée. À tout point de vue, les ingrédients d'un bras de fer politique sont réunis, il reste à savoir comment le gouvernement parviendra-t-il à gérer cette fronde. La marche du 27 mai donnera le ton, en tout cas, pour la suite des évènements puisque de la mobilisation qu'elle obtiendra déterminera où va pencher la balance dans ce rapport de force qui n'en est qu'à ses débuts. Pour le moment, le dialogue social, version Benkirane, semble parti sur de mauvaises bases.