Le rapport du Conseil national des droits de l'homme, publié la semaine dernière, sur les établissements psychiatriques remet la question au premier plan. Depuis l'émission TV diffusée sur l'une des chaînes marocaines il y a 3 ans, les Marocains savent et compatissent de diverses manières et à différents degrés. La situation n'a pas changé depuis et on a eu le temps de profiter de la grâce de l'oubli. Aujourd'hui, le rapport révèle un certain nombre d'insuffisances et de dysfonctionnements chroniques et, de là, devenus de plus en plus tolérés malgré leur gravité, signant une atteinte grave aux droits de l'homme. Il dresse aujourd'hui un état des lieux et formule un certain nombre de recommandations et tous les acteurs conviennent qu'il faut agir. Encore faut-il s'assurer de la suite. La relation entre services de santé mentale et droits de l'homme est une évidence, mais sa mise en œuvre et son effectivité restent un vœu pieux. La concrétisation de ces droits passe par la réactivité du système de santé. Selon l'OMS, la performance de tout système de santé repose sur un pilier important et incontournable qu'est la réactivité. Ce concept, omis voire délaissé par notre système de santé, compromet globalement la performance. La notion générale de réactivité se décompose selon l'OMS entre : les aspects relatifs au respect de la personne, qui sont essentiellement subjectifs et jugés au premier chef par le patient. Cet aspect comprend le respect de la dignité de la personne qui consiste à ne pas humilier ou abaisser les patients, la confidentialité ou le droit pour le patient de décider qui peut accéder aux informations concernant sa propre santé, et l'autonomie qui est la possibilité de participer aux choix concernant sa propre santé, y compris celui du traitement qui lui sera ou non administré. Des aspects plus objectifs qui se rapportent à la façon dont un système répond à certaines préoccupations fréquemment exprimées par les patients et leur famille, en tant que clients du système de santé. Cet aspect comprend la rapidité de la prise en charge, un environnement de qualité satisfaisante, l'accès à des réseaux d'aide sociale pour les patients (famille et amis) et la possibilité du choix du prestataire, organisation et personne. La réactivité est donc la capacité de limiter les atteintes à la dignité et à l'autonomie de l'individu, ainsi que les craintes et la honte qui sont souvent associées à la maladie. Cette composante est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit de malades mentaux en manque d'autonomie et exige, pour la préservation de la dignité au cours des soins, un effort important de la part des professionnels de la santé disposés à le faire et surtout appuyés pour le faire. Les professionnels sont supposés être appuyés fortement par les fonctions support et appui. Les normes de comportement professionnel et pratique et les règles de conduite à tenir en psychiatrie, comportent des principes fondamentaux qui rejoignent les objectifs de la réactivité. Il s'agit du droit de la personne de décider elle-même et d'être assistée dans l'exercice de ce droit. Dignité humaine Le rapport précise à ce titre que la plupart des professionnels travaillent dans le strict minimum des moyens concernant l'accueil et soulèvent les problèmes de surpeuplement concernant l'admission. Les locaux affectés à l'hospitalisation sont, dans la majorité des établissements, dans un état de décrépitude déplorable. Dans de telles conditions, clairement défavorables, l'hospitalisation est plutôt perçue par la plupart des familles, notamment celles démunies, comme une simple «garde» ou plus exactement comme une séquestration du malade jusqu'à nouvel ordre, et non pas comme un acte thérapeutique. Cette perception n'est pas fausse si l'on sait que, toujours selon le rapport, trop souvent et en toute connaissance de cause, des médicaments - dont l'efficacité n'est plus que relative - sont administrés au prétexte de la modestie des ressources disponibles. Les difficultés financières mais aussi l'absence parfois de volonté de modernisation embarrassent les soignants, leur créent des problèmes de conscience et leur font perdre confiance dans la crédibilité du travail qu'ils accomplissent et des médicaments qu'ils prescrivent. Cet état de fait démobilise énormément les professionnels qui se trouvent entre deux feux. Entre la difficulté intrinsèque de l'exercice des soins de psychiatrie et le sentiment de se transformer en geôlier, la réactivité a peu de chances de trouver place. Si parallèlement l'alimentation et l'hygiène font défaut et c'est le cas selon le rapport, la dignité humaine sera bafouée et le personnel de santé jouera le rôle de bourreau. Le respect de la dignité suppose également la prise en charge de certaines spécificités des groupes vulnérables comme les femmes, les enfants, les personnes âgées et les toxicomanes. À ce titre, le rapport dénonce plus d'un dérapage et dévoile de nombreuses atteintes à la dignité de ces groupes. C'est dire que la politique prévue en matière de santé mentale, comme la politique de santé, doit considérer la réactivité en tant que pilier de la performance du système d'une part, et rendre effective la relation soins et droits de l'homme d'autre part.