Le Maroc et la Libye s'acheminent vers la signature d'un accord de libre-échange (ALE). Ce nouveau cadre juridique vise à dynamiser les échanges entre les deux pays, dans le sillage du renforcement des relations bilatérales entre le Maroc et la Libye. Selon une source proche du dossier, les négociations sur les termes de cet accord de partenariat, qui pourrait prendre plusieurs formes comme une intégration de la Libye à l'accord d'Agadir, sont forts avancées. C'est en tout cas dans ce cadre que s'inscrit la visite d'amitié et de travail que vient d'entreprendre une importante délégation libyenne au Maroc, sous la conduite du Premier ministre Abderrahim El Kib. La visite a constitué une plateforme pour un véritable conseil des ministres, restreint mais commun, entre les plus hauts responsables politiques des deux pays. Composée d'une dizaine de responsables ministériels et d'importantes personnalités politiques, administratives et militaires du régime intérimaire de Tripoli, la délégation libyenne a eu droit à tous les honneurs tout au long de son séjour, au cours duquel elle s'est entretenue avec les principales autorités politiques du Maroc, notamment le roi Mohammed VI, en plus d'une série de rencontres de travail avec plusieurs membres du gouvernement marocain. Renforcer la coopération Officiellement, la présence de la délégation libyenne visait d'abord à examiner les moyens susceptibles de donner une nouvelle impulsion aux relations bilatérales entre les deux pays, à redynamiser l'Union du Maghreb arabe (UMA) en prélude au prochain sommet de l'organisation communautaire, et enfin, à identifier les projets de partenariat dans des secteurs porteurs et stratégiques pour les deux pays maghrébins. C'est en tout cas les explications données par le Premier ministre libyen sur les raisons de sa présence au Maroc. El Kib a émis le souhait que la visite puisse servir d'occasion de renforcer la coopération bilatérale entre les deux pays, principalement sur le plan économique, sujet majeur qui a servi de ligne conductrice aux multiples rencontres de travail entre les deux délégations. Allié stratégique Au cours de leur séjour au Maroc, les autorités libyennes n'ont pas fait mystère de leur volonté de faire du Maroc leur nouvel allié stratégique régional. Cette volonté au moment, fort opportun, où la Libye se remet lentement mais sûrement de la douloureuse épreuve du «printemps arabe», qui s'est soldé par une véritable guerre civile ayant conduit à la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Au moment où le pays tend à boucler sa transition politique qui devrait déboucher sur l'instauration d'un nouveau régime démocratique en Libye, les autorités de transition balisent le terrain pour remettre l'économie nationale en marche. C'est dans ce cadre que les autorités libyennes se sont tournées vers plusieurs de leurs voisins de la région, aux premiers rangs desquels le Maroc, la Tunisie et l'Egypte. Cependant, l'évolution dans ces deux derniers pays a fait tempérer les ambitions libyennes qui comptent, actuellement, sur le Maroc pour reprendre ce flambeau. Il faut dire qu'à ce niveau, le Maroc était déjà bien positionné auprès des nouvelles autorités libyennes pour servir d'allié stratégique dans le cadre de la reconstruction du pays. Le Maroc, a été, en effet, l'un des premiers soutiens de la révolution libyenne de 2011 comme n'a pas manqué de le souligner le premier ministre El Kib, qui a tenu à réitérer «la reconnaissance du peuple libyen pour le soutien apporté par le royaume à sa révolution». À cet atout politique certain s'ajoute l'expertise confirmée du Maroc dans plusieurs domaines, notamment l'industrie et les services, comme les hommes d'affaires libyens ont su le mettre en exergue. Sous l'ancien régime, les relations entre les deux pays n'ont pas connu une avancée significative, enregistrant même un certain recul durant ces dernières années. En 2011, par exemple, ce recul était de l'ordre de 49%, le Maroc ne figurant qu'à la 62e place des pays clients de la Libye et son 83e fournisseur, avec des échanges d'une valeur globale d'un peu plus de 350 MDH. Le Maroc exportait principalement des produits alimentaires. Intérêts communs Avec la nouvelle volonté affichée par les deux pays, l'objectif est de renverser la tendance, en faisant profiter des deux économies des réelles potentialités de développement. La Libye dispose, certes, d'investissements de taille au Maroc comme la chaîne des hôtels Kenzi ou la compagnie Mobil Maroc (Oilibya), hérités de l'ancien régime. Il va sans dire que la question sera au centre des discussions entre les deux parties, mais reste insignifiante par rapport à l'importante somme dont dispose le pays au niveau international. Selon les estimations confirmées par les données des institutions financières internationales, la valeur des avoirs étatiques libyens avoisine 140 MMUSD en 2011, à travers des fonds souverains comme le Libyan Investment Authority (LIA), lancé en 2006 ou sa filiale africaine, le Libyan African Investment Portfolio (LAP), qui gère le fonds Laico (Libyan African Investment Company). Au vu de l'intérêt des Libyens pour le Maroc, les négociations sur les avoirs libyens au Maroc, gelés en 2011 par le ministère des Affaires étrangères au plus fort de la révolution libyenne, seront plus axés sur leur intensification. Les Libyens s'intéressent en effet, de près à des secteurs aux perspectives prometteuses comme le tourisme, l'industrie, notamment les phosphates, l'agroalimentaire. Les stratégies sectorielles lancées par le Maroc seront d'ailleurs présentées aux autorités libyennes qui ont fait part de leur intérêt. Cela arrange d'ailleurs bien le Maroc, au moment où l'économie nationale va mal et cherche de nouveaux leviers de croissance, en premier lieu de nouveaux débouchés pour les produits nationaux. L'initiative d'intensifier les échanges commerciaux entre les deux pays s'annonce donc comme une véritable bouée de sauvetage pour l'économie marocaine. Fort de sa manne pétrolifère et de ses fonds souverains colossaux, la Libye est un partenaire à suivre de près pour les investisseurs marocains. En plus des flux d'IDE libyens que le Maroc pourrait capter dans le cadre de la reconstruction économique du pays, ce dernier est un fournisseur important de touristes dans la région et pourrait permettre au Maroc d'atténuer sa dépendance énergétique. Il reste que le Maroc a tout intérêt à s'activer pour répondre à l'invitation libyenne. La signature d'accords commerciaux dans une première étape pourrait baliser le terrain, surtout que le Maroc n'est pas le seul à être intéressé par le marché libyen. Galvanisé par leur soutien à la révolution, les entrepreneurs occidentaux, principalement français et britanniques,ont été les premiers à se manifester sur le terrain. Toutefois, la crise que traverse l'Europe et du contexte d'incertitude politique qui plane sur la région a jusque-là quelque peu infléchi l'appétit des hommes d'affaires européens pour ce marché. Cela constitue une autre opportunité pour le Maroc. Premiers pas Dans cette nouvelle alliance stratégique qui se dessine à l'horizon, le Maroc semble bien introduit. Dès la fin de la guerre ayant conduit à la chute de Kadhafi et au moment, où la Libye comptait ses alliés politiques et que se manifestaient les premiers investisseurs, Maroc Export était en mission de prospection, dès décembre dernier, dans les villes de Tripoli et de Benghazi, pour s'enquérir des perspectives d'investissement. Parmi les secteurs qui ont le plus attisé la convoitise des entrepreneurs marocains, il y a ceux du bâtiment et travaux publics (BTP), de l'agroalimentaire et des nouvelles technologies. Il faut dire qu'à ce niveau, la Libye repart presque de zéro, après la destruction partielle des grandes infrastructures du pays au cours des combats entre ce qu'ont qualifiait, à l'époque, de rebelles du Conseil national de transition (CNT) et les forces armées fidèles à Kadhafi. Dans le même sillage, une délégation libyenne a été reçue en janvier dernier au niveau de l'Association marocaine des exportateurs (Asmex). Au centre des discussions, les secteurs qui pourraient intéresser les investisseurs libyens. Cela laisse entendre que les deux parties semblent déjà fort avancées sur la concrétisation de cette volonté commune d'insuffler une nouvelle dynamique aux relations bilatérales économiques entre le Maroc et la Libye. La seule fausse note réside dans le fait que les opérateurs marocains semblent encore loin de s'adapter au contexte. La preuve en est qu'il n'existe pas encore de conseil d'affaires maroco-libyen au niveau de la CGEM. Les opportunités d'affaires en tout cas ne manquent pas, avec un pays qui est sur le point de tout reconstruire... même son armée, comme en témoigne la présence dans la délégation libyenne du chef d'état-major de la nouvelle armée, le général Youssef Mankouch. Cette opportunité s'étend au delà des intérêts politiques, certains pour le Maroc, autre enjeu du rapprochement entre les deux pays.