Un coktail explosif. Voilà ce que pourrait représenter la récente décision de baisse des prix des médicaments, annoncée par le ministre de la Santé pour septembre prochain. La colère des professionnels du secteur, et plus particulièrement des pharmaciens, aura du mal à passer devant la détermination du ministre El Houssein El Ouardi. «Mesure politicienne» pour certains, «solution inéluctable» pour d'autres, retour sur un débat qui promet de générer bien des crises. Si cette nouvelle mesure arrange selon le ministère de tutelle l'équilibre financier des organismes publics tels que la CNSS ou encore la CNOPS, elle ne converge nullement dans le sens des intérêts des laboratoires ou encore les pharmaciens. Ces derniers sont aujourd'hui les premiers à réagir en annonçant leur retrait de la commission consultative chargée du dossier. Un mécontentement ? Pour les responsables de la fédération nationale des syndicats des médicaments du Maroc il convient davantage de parler d'un «grave malaise qui frappe de plein fouet un secteur vulnérable». Ces derniers estiment alors que le ministère de tutelle met en œuvre une «politique de l'extincteur», afin de masquer les réels dysfonctionnements du secteur et notamment «l'échec de l'AMO et du RAMED», que la seule baisse des prix des médicaments ne saurait régler. Au delà de la réaction, il convient alors de revenir sur les raisons qui ont motivé cette décision et sur les enjeux qu'elle représente. Jusque là, le prix du médicament était la pierre angulaire de tous les blocages qui minaient la réforme du système de santé. La cherté des traitements devenait insoutenable, des prix des médicaments 3 à 4 fois plus chers qu'à l'étranger rendaient de ce fait ces produits de nécessité inaccessibles à certaines catégories de patients. C'est à juste titre sur ce point que la réflexion au sein du ministère de tutelle aurait été menée, d'autant plus qu'elle intervient après l'avènement du nouveau gouvernement qui n'a eu de cesse de clamer l'urgence de remédier aux déséquilibres sociaux. De ce point de vue, les attaques des pharmaciens qui taxent cette mesure de «populiste» pourraient bien ne pas trouver de réel fondement en l'absence d'arguments plus techniques et concrets. «Défaillances» D'un côté technique, l'argumentaire des pharmaciens se base essentiellement sur la méthode suivie par la commission afin de faire émerger une telle mesure. «Le benchmark sur lequel se sont basés les membres de la commission est complètement faussé, dans la mesure où ce dernier ne prend en compte que le volet fabrication», explique un responsable de la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc, avant d'ajouter qu' «aucune étude d'impact n'a été réalisée au préalable». Serait-ce là un vice de procédure ou plus concrètement un manque de méthode ? Une chose semble aujourd'hui vérifiée, la réalité du terrain dément l'omniprésence du prix du médicament dans la problématique de la santé ou plus précisément du remboursement. Le panier de soins du Marocain n'excède pas 500 DH par an en moyenne, les médicaments y représentant 37% des dépenses. Plus concrètement, sur les feuilles de maladie, seuls les médicaments seront remboursés, les malades s'étant adressés pour leurs prescriptions aux services de santé publique (services gratuits des dispensaires ou encore des hôpitaux). Dans de nombreux cas, les feuilles de maladie ne sont remplies par le prescripteur qu'à l'occasion de la visite de contrôle du malade, la consultation étant non payante, elle est mentionnée comme telle sur la feuille de maladie. De plus, 80% des ventes de médicaments entrent dans le cadre de l'automédication, principalement due à l'absence du tiers payant et au grave déficit en prescripteurs de soins à savoir les médecins qui, à titre indicatif, représentent une masse de 200.000 praticiens en France, contre 12.000 au Maroc, secteur public et privé confondus. De plus, dans une approche plus générale, la prescription ne représente aujourd'hui que 3% du coût de la maladie. Autant de réalités qui mettent en exergue les dysfonctionnements de tout un système, qui gagnerait aujourd'hui à être restructuré, réformé de fond en comble et d'urgence. Baisse des prix en conséquence La récente mesure, applicable dès septembre prochain, prévoit comme expliqué plus haut de réduire les marges en taux progressifs et cumulatifs par tranche de PFHT (prix fixe hors taxe), afin de rendre plus attractive pour le pharmacien la délivrance de médicaments bon marché, et de rendre abordable les médicaments coûteux pour le patient, ce qui revient à parler de «système de marges en taux lissés» pour éviter les effets de seuil. Pour les pharmaciens, cette conclusion serait «erronée» et pour cause, la seule baisse que le produit pourrait subir serait celle de la marge du pharmacien. Vu le décrochage prévu du générique, certains médicaments ne seront dès lors plus génériquables. En attendant la réforme qui tarde à se dessiner, le ministère de tutelle en appelle à l'usage du générique qui, de par son faible coût pourrait être à la fois plus accessible et ses charges moins pesantes pour les caisses des organismes de remboursement. Pour les professionnels opérant sur le terrain, cette solution présente des limites, dans le sens où la promotion même de ces produits reste aujourd'hui inexistante. Aujourd'hui, le droit de substitution doit permettre au pharmacien de proposer systématiquement un générique. Or, en réalité, les pharmaciens s'accordent sur la priorisation des études de bio-équivalence avant de substituer le générique au princeps. D'autre part, un autre point de blocage pourrait également se présenter, à savoir le refus de la substitution de la part des médecins prescripteurs, ce qui aurait un impact direct sur les ventes des pharmaciens à l'instar de ce qui est intervenu en France. Autre point qui pourrait également bloquer la mise en œuvre de la promotion du générique, le transfert de la responsabilité juridique du médecin au pharmacien, ce qui naturellement pourrait faire l'objet d'un refus catégorique de la part de ces derniers, qui verraient également une perte substantielle sur leurs CA. En 2011, la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc proposait déjà une révision des prix sur la base d'une baisse des prix des princeps, en s'appuyant sur un benchmark qui relève l'alignementdu PFHT du princeps sur le minimum d'un panier de sept pays européens pour ne citer que la France et la Belgique. Si l'écart entre le prix le plus bas et le deuxième prix le plus bas du panier est supérieur à 10 %, le PFHT serait alors majoré de 10 % du prix le plus bas. Ce processus ne semble ne pas avoir été pris en compte dans le processus de la commission consultative, qui tranche pour une baisse de 30 à 60 %. De quoi bâtir bien des oppositions et créer de nouvelles discordes entre les professionnels de la santé, dont certains pointent du doigt d'autres services médicaux, dont les pratiques et les prix ne sont toujours pas dans le viseur du ministère de tutelle. Ce que dit la loi Le nouveau système de fixation des prix des médicaments prévoit, lorsqu'il s'agit d'une spécialité de médicaments innovante, fabriquée, conditionnée localement ou importée, la fixation de son prix repose sur un Benchmark du prix grossiste hors taxe (PGHT) dans les pays retenus, notamment l'Espagne, le Portugal, la Belgique, la Turquie ou encore l'Arabie Saoudite. Dans ce sens, le PGHT accordé au Maroc doit être automatiquement aligné sur le PGHT le plus bas de ces pays. Il en est de même pour une spécialité pharmaceutique d'un médicament de référence générique dans son pays d'origine. Cependant, lorsqu'il s'agit d'une spécialité pharmaceutique générique, au sens de la loi 17-04, son prix doit être moins cher de 45% du prix de la spécialité de référence commercialisée au Maroc, à condition que son PPM soit inférieur ou égal à 250 DH. Si le prix est supérieur à ce plafond, le prix des 9 premiers génériques est obligatoirement inférieur à 50% au prix du princeps. Le prix des cinq derniers génériques est alors fixé à 20% moins cher que le prix des neufs premiers. Sur ce point précis, la règlementation est en cours de modification, afin de permettre le décrochage du prix des génériques par rapport aux princeps, en fonction du niveau de son prix.