Il y a un an, la nouvelle Constitution entrait en vigueur, instituant par là la voie choisie par le Maroc au sein du printemps des pays arabes, la réforme dans la stabilité. Y a-t-il eu changement depuis ? Pour El Khalfi, il est trop tôt pour faire un bilan ... du gouvernement, et pour son allié de la majorité, Ghellab, il est autant d'acquis positifs que de défis à relever à l'avenir. Pour Habib El Malki, la Constitution n'a rien changé à la situation du pays, mais quelle que soit la grille de lecture choisie par les trois protagonistes, tous étaient d'accord pour analyser le changement à partir de l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution. Tous veulent en effet regarder devant, et ne plus se retourner. Ce qui n'est pas plus mal d'ailleurs dès lors que cet exercice permet de dégager la vision que chacun aimerait voir se concrétiser pour le pays. Où réside le changement depuis un an alors ? Pour Ghellab, la démocratie est définitivement ancrée dans le paysage politique national. La nouvelle Constitution a permis d'«élargir à la fois le champ des compétences du gouvernement mais aussi du Parlement», créant de fait un «équilibre entre les autorités législatives et les pouvoirs de contrôle». «La présence obligatoire, une fois par mois, du chef du gouvernement devant la représentation nationale» est une illustration de ce nouveau souffle de démocratie et de transparence insufflé par la nouvelle Constitution, déclare Ghellab. Un angle d'attaque pour analyser le changement qui trouve écho auprès d'El Khalfi. Pour ce dernier en effet, en renforçant «l'institution royale dans son rôle de leader et d'arbitre, de garante du pluralisme politique et de la vie civile», dans son rôle d'intermédiation entre le pouvoir et le peuple, la nouvelle Constitution a permis de parachever une dynamique, lancée par l'alternance politique de 1997, celle de «la reconnaissance partagée». En face, Habib El Malki refuse de reconnaître, à Ghellab et El Khalfi comme au gouvernement dans son ensemble, de s'être imprégnés de «l'esprit de la Constitution». En reprenant l'argument de Ghellab, qui veut que la Constitution participe au «changement pour l'amélioration», il propose d'aller au-delà des simples effets sur l'exercice du pouvoir et d'examiner de près les conséquences sur la vie des citoyens marocains. Amenant ainsi le débat sur les questions économiques et sociales, là où El Khalfi et Ghellab ne font qu'une lecture politique. Avec Ghellab au milieu, le match allait à l'évidence opposer El Malki à El Khalfi Le Maroc entre réforme et doute. Et c'est Ghellab qui donne le meilleur argument à son rival, et ancien allié, El Malki. «Entre 2004 et 2007», explique Ghellab pour montrer «que tout ne va pas bien», «un point de croissance correspondait à 30.000 emplois nouveaux. Entre 2008 et 2011, il ne représente que 25.000 emplois supplémentaires». Il s'inquiète dès lors que «le nombre de création d'emplois diminue pour le même niveau de croissance». Ce qui permet à El Malki de montrer encore plus facilement en quoi «le Maroc va mal». Parce que, avance-t-il, «nous observons sur le terrain une augmentation des conflits, organisés ou non, au sein des entreprises ou en dehors, une plus grande densité des manifestations, de jeunes et de femmes aussi, dans les grandes villes comme dans les petites», pensant notamment «à ce qui se passe toutes les semaines devant le Parlement». «C'est douloureux» finit-il par dire. Une analyse que El Khalfi ne partage pas, expliquant, au détour d'une phrase, que «le Maroc commence à connaître à ce niveau une situation de stabilité qui est positive», décrétant pour conclure qu'«il n y a plus de manifestation quotidienne». Est-ce à dire que tout va bien. Pour El Khalfi, cela semble être le cas, puisqu'il s'agit de s'inscrire dans une plus grande dynamique, celles des réformes, et dans ce cas là, le Maroc «avance à grand pas», du fait qu'il «existe aujourd'hui un modèle marocain sur lequel nous devons bâtir», et d'énumérer une série de mesures prises par son gouvernement, dans les «4 chantiers ouverts par le gouvernement, le social, le politique, l'économique, et les affaires étrangères». «Honorer la facture du dialogue social établie à 13,2 MMDH, avec un supplément de charges de salaires de 4 MMDH, 2,5 MMDH pour le fonds de solidarité sociale, la multiplication par 3 de la facture des médicaments pour le Ramed, 160 MDH pour la Caisse de solidarité familiale, la réforme des bourses universitaires, etc.», sans oublier les 188 MMDH alloués aux investissements publics, auxquels «nous avons demandé à ne pas toucher pour soulager la compensation», insiste El Khalfi qui fait le bilan de son gouvernement malgré lui. Un point relevé par El Malki, pour expliquer qu'il y a toujours «quelque chose qui ne va pas», quand on s'intéresse à la question du changement. El Malki, seul contre tous. «Pour quelqu'un qui avance qu'il y a une dynamique des réformes, grande à telle enseigne qu'elle dépasse le seul cadre du gouvernement ou de son bilan, El Khalfi n'a finalement parlé que du bilan de son gouvernement», lance el Malki au ministre de la communication, en se proposant d'amener un supplément d'appréciations amicales. Il part alors du constat que «la société marocaine doute». Il décèle en effet dans notre société une sorte de «paradoxe», entre le doute actuel des citoyens et la capacité de la société à évoluer en continu. Une situation ambiguë, un paradoxe, qui se manifeste au travers de trois éléments. Le premier est que «malgré que la Constitution ait donné un nouvel horizon pour la société» marocaine, «le poids des interrogations demeure pesant». La seconde considère que «si les résultats des élections sont considérés globalement comme correctes», «un malaise persiste» et se manifeste partout «chez l'épicier comme chez les grands opérateurs privés, publics, etc.», et qui se traduit finalement par de «l'attentisme», renvoyant de fait «à tenir un langage de vérité». Le troisième élément est intimement lié à la dynamique du parti leader de l'opposition, la lutte contre la corruption. «Il y a un consensus national autour de l'idée de réforme, notamment pour la lutte contre la corruption. Or, ce processus est en panne, malgré toutes les initiatives et les déclarations de ces derniers mois», s'insurge-t-il. «Pourquoi ce paradoxe alors ?», se demande-t-il. Quelques pistes de réflexion sont alors avancées. «Il y a d'abord une forte crainte de dévoiement quant à la mise en œuvre de la Constitution». Taclant ainsi à la fois Ghellab et El Khalfi pour illustrer son propos. «Dès le début, il y a eu des trébuchements, à commencer par mon très cher ami Ghellab lors de son élection à la tête du Parlement», déclare El Malki, en évoquant «l'incompatibilité des responsabilités». «Est–ce une mauvaise ou plutôt une lecture rapide de la Constitution?» s'interroge-t-il. Visant ensuite El Khalfi, El Malki cite, «beaucoup plus grave», la déclaration du chef de gouvernement à un quotidien arabophone, «jeudi dernier», selon laquelle «(son) parti est politique, mais (son) référentiel est l'Islam». «C'est anticonstitutionnel» dénonce-t-il. Il reste en effet convaincu que «l'islam est la religion de tous les Marocains», comme il expliquera plus tard que «la Constitution appartient à tous les Marocains». Une manière subtile de replacer le citoyen au cœur de l'analyse du changement, du fait essentiel que «la mise en œuvre de la Constitution peut être ou un facteur de propulsion, ou une source de régression». Il conclut que tout compte fait «la pratique gouvernementale n'est pas au niveau de notre ambition nationale». «Cette manière de penser la réforme tue la réforme, tout est réduit à des effets d'annonce», donnant l'exemple de l'annonce de la fin de la gratuité de l'enseignement supérieur, «à la veille de la rentrée universitaire». Pour El Malki, il est certain qu'un «maillon central manque». Dixit Le message principal de la nouvelle Constitution est le changement pour l'amélioration. Il est donc légitime de se demander s'il y a eu changement un an après. La Constitution a permis d'abord deux réalisations majeures, les élections législatives anticipées, qui ont complètement changé la carte politique marocaine, et l'élargissement du champ des compétences du Parlement. Lorsque nous regardons en arrière le printemps arabe, le Maroc est le seul pays de la région à avoir sauvegardé sa stabilité tout en ancrant une nouvelle dynamique de réformes démocratiques. Une équation que le Maroc a su gérer avec sagesse, là où d'autres pays ont dû rebâtir à nouveau. La stabilité signifie le développement économique, et donc justice sociale, emploi et jeunesse. Ce qui ne veut pas dire que tout va bien. Les institutions devraient continuer à évoluer. Le chômage des jeunes est aujourd'hui autour de 18 à 19%. C'est la priorité principale. Le progrès économique devrait se traduire par la création d'emplois. Karim Ghellab, président du Parlement. «Où en est le Maroc aujourd'hui», est une question générique, mais le choix n'est pas fortuit. Cette question en effet exprime des inquiétudes, des interrogations. Il y a dans cette question un message qui nous fait dire que quelque chose ne va pas, sinon la question n'a pas de sens. En ce qui nous concerne, je dirai que le Maroc va mal. Quand nous jetons un regard profond sur la société, nous nous rendons bien compte à quel point elle est crispée. Notre société traverse de fortes tensions, annonciatrices de mutations politiques, institutionnelles, socioéconomiques, et même culturelles. Nous vivons dans une société qui doute. Du politique, des institutions, du langage officiel, et même de toutes les autres formes de langage. Une pareille société ne fait rien. Ce n'est pas forcément négatif, parce que cela peut signifier aussi que nous sommes une société qui se cherche, autrement dit qui évolue. C'est une situation paradoxale, et malgré l'adoption de la nouvelle Constitution, nous vivons toujours sous le poids de ces interrogations. Habib El Malki, député et candidat déclaré au poste de premier secrétaire de l'USFP. Les discussions autour de la question «où en est le Maroc aujourd'hui» dépassent le débat sur le seul bilan de l'action gouvernementale, encore récente de 6 mois. Il faut s'inscrire dans un champ plus large, peut-être celui de ces 13 dernières années, où du moins depuis le début du printemps démocratique arabe. Ma lecture part d'un questionnement, quelle est la dynamique des réformes au Maroc ? La marche des réformes est à mon avis très ascendante. Elle mène le Maroc vers la troisième voie. Entre la voie des révolutions et celle de l'ignorance ou de l'indifférence, le Maroc a choisi lui d'adopter une voie médiane, celle de la réforme dans la stabilité, qui est basée sur trois éléments de force. D'abord, les institutions royales, qui jouent un rôle de leader et d'arbitre puis le pluralisme politique qui permet la médiation entre le peuple et le pouvoir, dans une dynamique de reconnaissance partagée, lancée depuis l'alternance, et la vie civile enfin, sur fonds d'émergence d'un nouveau souffle général porté par la jeunesse. Mustapha El Khalfi, ministre et porte-parole du gouvernement.