Les années se suivent et se ressemblent pour la gestion déléguée au Maroc. Les problèmes d'hier sont toujours ceux d'aujourd'hui. Cherté des prix, engagements non tenus, renouvellement de contrats hypothéqués, en attendant que «la bonne gouvernance» trouve pied dans le pays. Le ministre de l'Intérieur, Mohand Laenser, se fera un devoir de répondre, aujourd'hui à la première Chambre du Parlement, à deux questions relatives à la gestion déléguée. Une issue émane de son propre parti politique, le Mouvement populaire, au sujet de «l'évaluation de la gestion déléguée», l'autre est programmée par le groupe PJDiste sur «La gestion déléguée et les attentes des citoyens». Entre efficacité dans la gestion des biens publics et satisfaction de l'intérêt général, il n'est pas en effet un pays au monde qui ne soit confronté à cette dichotomie entre intérêt privé et intérêt général. Au Maroc toutefois, deux autres problèmes sont venus exacerber cette dualité. Le cadre légal réglementant la gestion déléguée est venu 9 années après le lancement des premiers contrats, d'une part. D'autre part, il était illusoire de croire qu'une structure privée allait réellement gérer un bien public commun au moindre coût, tout en assurant l'extension des infrastructures et un accès de tout un chacun au service public délégué. Intérêt privé Vs intérêt public Il n'est pas une année civile qui passe sans que des villes se révoltent contre leurs délégataires de services publics, notamment en ce qui concerne le transport et la gestion de l'eau et de l'électricité. Le plus souvent, il est question de dénoncer la cherté des prix, souvent en ce qui concerne les concessions en matière de gestion et de distribution de l'eau et de l'électricité. Pourtant, n'en vouloir qu'au seul délégataire privé est quelque peu exagéré. En société privée, il est tout à fait normal qu'une entreprise comme la Lydec par exemple recherche la rentabilité de ses investissements et un rendement annuel qui satisfasse la maison-mère. Ce qui n'est pas normal en revanche, c'est d'avoir fait croire aux populations urbaines que la délégation de gestion allait améliorer l'efficacité du service public, au moindre coût, sans qu'il y ait eu d'études préalables sur le consentement à payer des usagers. L'idée, telle qu'elle est pratiquée ailleurs, est simple. Pour un service public amélioré, il est demandé aux usagers d'exprimer combien d'argent ils peuvent mettre en plus du prix actuel, pour bénéficier d'une qualité de services que seul le privé peut garantir. C'est l'objet même de la gestion déléguée, rendre plus efficace la gestion du service public. Or au Maroc, on a quelque peu placé la charrue avant les bœufs, tant dans le temps que dans l'espace. Dans le temps, parce que les premiers contrats de gestion déléguée ont été signés à partir de 1997, année de conclusion du contrat entre la Communauté Urbaine de Casablanca et Suez, alors que la loi cadre n'a été promulguée elle, qu'en 2006. Comment alors en vouloir à Lydec de ne pas avoir respecté certains de ses engagements contractuels initiaux, notamment en ce qui concerne le contingent annuel de branchements sociaux, quand toute notion d'arbitrage et de recours était absente de la législation ? En plus de 10 ans de présence sur le sol national, les délégataires privés étrangers ont eu de fait tout le loisir de se familiariser avec le laxisme presque naturel des pouvoirs publics, dans l'exercice de leur droit de contrôle. La responsabilité des dysfonctionnements, tels que les révèlent en l'état les manifestations répétées contre la Redal à Rabat par exemple, incombent ainsi davantage aux services de l'Etat et aux collectivités locales. Gouvernance et responsabilité À la cherté des factures correspond souvent en effet un non respect des engagements et des cahiers de charges initiaux. Le coût supplémentaire, induit par les éventuels investissements en infrastructures, est-il dès lors justifié ? Tout économiste qui se respecte dirait qu'il s'agit là d'un simple coût d'opportunité, autrement dit relatif. Dès lors, la responsabilité des pouvoirs publics se pose en termes de rappel à l'ordre et de système de contrôle efficace. Il faut croire aussi qu'au vu du train des réformes nationales, l'économie marocaine ne peut se passer des services des entreprises étrangères pour la gestion de certains biens publics. Cependant, les autorités publiques peuvent, avant la signature d'un contrat, faire en sorte que l'environnement où cette dernière va se déployer soit prêt à l'accueillir. Les branchements sociaux en sont un exemple édifiant. Beaucoup se sont en effet insurgés de ce que la Lydec, qui s'était engagée à produire 50.000 branchements par an, n'en ait opéré finalement que 1.250 par an. Comme son nom l'indique, ces opérations revêtent un caractère social en ce qu'elles permettent un accès à l'eau à des populations défavorisées longtemps exclues de cette ressource vitale. La question qui s'est posée alors, et qui devait être examinée bien avant, est celle de savoir si ces habitants démunis étaient en mesure de payer convenablement leur facture d'eau ou non, une fois l'accès assuré. Si une grogne sociale s'en est suivie, la responsabilité est générale, et relève de toutes les parties prenantes, y compris les ayants droit. En économie, cela a un nom, le développement mimétique. Transposer une technologie dans une population qui n'y est pas préparée, quartiers défavorisés par exemple, et gager de sa réussite sous prétexte que d'autres, quartiers riches mitoyens, l'ont facilement adoptée, est une illusion de courte durée. L'analyse des conditions socio-économiques devrait être un préalable. Il ne faut pas dès lors s'attendre à ce qu'un délégataire se substitue aux pouvoirs locaux pour traiter les questions sociales. Le délégataire est là pour rentabiliser ses investissements. Une question qui sera prochainement mise sur la table, puisque le législateur a prévu de faire relever la gestion déléguée des attributions des régions. Vivement la régionalisation avancée, alors. Flou juridique La gestion des biens publics au Maroc est une vraie problématique. De la gestion des déchets, au transport, en passant par la distribution de l'eau, plusieurs domaines d'intervention relevant de l'intérêt général ont été dévolus, depuis 1997, à des entreprises étrangères, sous forme de gestion déléguée. La détermination des responsabilités, comme celle de la nature de la rémunération n'a pas été tranchée nettement pour autant. Le choix par exemple des entreprises, jusqu'à la loi de 2006, s'est fait pour nombre de sociétés suivant le principe de la négociation directe, là où un appel à concurrence aurait été nécessaire. D'un point de vue juridique, la responsabilité du délégataire, en cas de non respect des engagements initiaux contractuels, n'est pas non plus très claire. Le texte stipule par exemple que «le délégataire assure ses prestations au moindre coût et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité et de protection de l'environnement», ainsi que «le délégataire gère le service public à ses risques et périls et en bon père de famille». La rémunération substancielle, telle qu'elle est permise ailleurs, ne l'est pas dans le cas marocain. Cela repose à sa manière la question du relèvement du prix de certaines factures, notamment celles afférentes à la gestion de l'eau et de l'électricité. En face, la grogne sociale trouve sa légitimité dans le fait que les infrastructures de base, qu'utilise la Lydec par exemple à Casa, ont été financées par les impôts des usagers eux-mêmes. Faut-il revoir les termes du contrat de gestion déléguée, comme il s'est avéré nécessaire de revoir celui de la pêche avec l'Europe ? Au vu des résultats constatés sur le terrain, un bilan global devient nécessaire.