Alain Weber, Directeur artistique du festival de Fès des musiques sacrées du monde. Les Echos quotidien : Pourriez-vous nous dresser un bilan de la 18e édition du festival de Fès clotûrée le week-end dernier ? Alain Weber : Le festival s'est clôturé en beauté avec Joan Baez qui est pour nous un symbole immense du thème de cette édition «réenchanter le monde». Il est vrai qu'au-delà-même de la création artistique qui est une manière de réenchanter le monde, il y aussi des artistes qui vont plus loin et qui essaient d'améliorer le quotidien de l'humanité. Joan Baez en est le parfait exemple. Globalement, à travers toute cette édition, on s'est rendu compte que la notion du sacré est liée étroitement à l'art. Il est vrai que le sacré est moins présent dans notre quotidien, surtout en Occident, où l'on a basculé dans ce monde de la consommation. C'est donc la culture qui prend la place du sacré et lorsque les deux se rencontrent, comme ici, c'est l'idéal. Vous savez, le sacré se manifeste sous plusieurs formes et c'est l'importance qu'on donne aux choses qui les rend sacrées. Depuis le début de ce festival qui a rendu un hommage à Omar Khayyâm, l'on est resté fidèle aux principes même de cette manifestation en l'occurrence l'ouverture sur le monde spirituel, tout en faisant la promotion d'autres cultures au Maroc. Je pense que la rencontre entre un lieu magique, des artistes qui fêtent des cultures ancestrales et une thématique donne de la richesse à ce festival, sans oublier le public qui suit cet événement depuis des années. En un mot, le festival ne vieillit pas, mais se bonifie. Le risque que la thématique du festival finisse par s'épuiser ne vous fait-il pas peur ? Non, parce que les musiques sacrées sont présentes partout. Je crois que le problème de ce festival aurait été d'être dépassé par d'autres manifestations, d'avoir lancée une idée reprise par tout le monde, mais, il a réussi à conserver son identité, même s'il y a beaucoup de festivals dédiés aux musiques du monde à travers la planète. Je pense que ce sont les thématiques qui font la qualité des choses. Notre festival se distingue aussi par la mise en place de colloques. On est donc dans l'émotion et dans la réflexion. Concrètement, sur quels critères, vous vous basez pour choisir les artistes invités ? Il y a deux choses : Tout d'abord, il faut respecter un équilibre géographique, c'est avoir des artistes qui viennent d'Asie, du Proche-Orient, fêter la culture locale et maghrébine et mélanger harmonieusement les cultures de l'Afrique et surtout les traditions millénaires avec celles contemporaines. L'objectif est de créer une sorte d'harmonie qui va permettre au public de découvrir toutes ces cultures si riches. En France, toute notre culture populaire a été balayée par les politiques régionales, ce qui n'est malheureusement pas le cas au Maroc. Vous avez un patrimoine, arabo-judéo-amazigh incroyable. Pensez-vous que les habitants de la ville de Fès s'approprient ce festival ? Je crois que oui ! Je sais qu'au début, on reprochait au festival d'être élitiste, vu les prix des tickets pour Bab Makina, par exemple. Aujourd'hui, beaucoup d'efforts ont été faits sur ce point. Il y a aussi le festival dans la ville qui offre la possibilité aux habitants d'assister à des spectacles gratuitement. Je dirai que la difficulté de ce festival, c'est qu'il n'est plus seul. Nous ne sommes pas dans un système de concurrence au Maroc, mais de complémentarité. Pour revenir à la question de la thématique du festival, je pense que sans elle, le festival aurait disparu. Je suis donc convaincu que cette thématique sauve le festival, sinon d'autres manifestations beaucoup plus consistantes sur le plan financier auraient pris le dessus.