IDIR Chanteur algérien. Les Echos quotidien : Vous participez pour la première fois au Festival de Fès des musiques sacrées du monde. Que pensez-vous de cette manifestation? Idir : Ce n'est pas la première fois que je viens au Maroc. Je me suis déjà produit dans plusieurs festivals à travers le royaume. Je pense que vous avez de la chance d'avoir autant de festivals, dans plusieurs villes, sur des thèmes aussi variés. Je sais que le festival de Fès fête cette année son 18e anniversaire, ce qui prouve son succès. Sinon, j'ai pu avoir une idée sur la programmation de cette année, que je trouve très variée. Vous êtes le précurseur de la world music en Afrique du Nord. Comment définissez-vous votre style ? Tout d'abord, je tiens à préciser que je n'aime pas le mot world music. Sinon, c'est difficile de répondre à votre question. Au départ, j'étais un lycéen révolté, fier d'appartenir à un pays qui venait d'avoir son indépendance et dont les dirigeants recevaient Che Guevara et Fidel Castro et en même temps déçu parce que ma culture maternelle n'était pas reconnue. C'était contradictoire : l'Algérie de l'époque prônait les libertés des peuples alors qu'au sein même de ce pays, il y avait des citoyens qui ne pouvaient pas s'exprimer dans leur langue. Cela a créé une sorte de révolte intérieure. C'est ce qui se reflète d'ailleurs dans mes chansons de l'époque, qui n'étaient pas forcément contre telle ou telle personne. Je voulais juste extérioriser ce que je ressentais et dire que j'ai une culture, sans pour autant être contre les autres cultures. Après, j'ai découvert d'autres styles musicaux qui m'ont influencé. C'est ainsi que ma musique s'est reformulée en fonction de mes sensations. Mon style est donc le résultat de toutes ces expériences. Pensez-vous que vous avez contribué au développement de la chanson amazighe ? Il paraît que c'est le cas ! Nous avons créé un courant musical qui a révolutionné toute l'Algérie. Je pense que j'ai dû être utile à un moment donné et que cela a créé une école, qui a permis à d'autres jeunes de se lancer dans la musique. Vous savez, ce n'est pas à moi de répondre à cette question (rires). Quel regard portez-vous sur la chanson amazighe ? Elle évolue, c'est indéniable. Ce que je veux, c'est qu'on oublie qu'on est des Amazighs et qu'on commence à faire la musique qu'on ressent. Si on est Amazigh et si on a l'âme amazighe, cela devrait se refléter à travers nos chansons. La musique n'a pas de frontières, il ne faut pas donc s'attarder sur ce sujet. On vous qualifie souvent d'artiste engagé. Qu'est-ce que vous en pensez ? Tout dépend de ce que le mot engagé veut dire ! Si on est un chanteur populaire, cela veut dire qu'on a saisi la fibre du public. On ne peut toucher le public, sans être sensible à ses problèmes, ses occupations, ses aspirations, ses joies... En participant à des concerts en France ou en Algérie, organisés dans un but humanitaire, je montre que je suis sensible aux problèmes de mon public. Si c'est cela la définition d'un artiste engagé, alors je le suis ! Pour moi, le mot engagé, n'a rien à voir avec le militantisme. Tout ce que je veux, c'est que la laïcité soit de plus en plus présente, que le statut des femmes soit reconnu, que la parité soit naturelle... C'est dans ce registre là que je me place. Concrètement, que pensez-vous du Printemps arabe ? Je préfère plutôt parler de printemps de «gens qui en avaient marre» et non de printemps arabe. Ils auraient pu être Chinois ou Bosniaques et avoir le même réflexe et se soulever contre la dictature, les interdits, l'injustice, la faim... Je crois que l'issue même de ces révolutions, si elles doivent aboutir au choix de la religion à savoir l'intégrisme, l'islamisme ou encore l'islamisme modéré, une appellation qui me fait rire d'ailleurs, n'est pas un élément de démocratie. Il faut que ceux qui sont au pouvoir maintenant nous amènent vers la démocratie. Or, si on doit appliquer des dogmes, on ne va ni vers la laïcité, ni vers la démocratie. Le choix le moins mauvais qu'ils ont, à mon avis, c'est de faire de l'égalité entre les gens, indépendamment de leur sexe, origine, religion... En optant pour ce choix et en tablant sur l'éducation et la culture, je pense que ces révolutions pourraient déboucher sur quelque chose de positif. Quels sont vos projets artistiques ? Je prépare un disque à Paris et je vais continuer à animer des spectacles. Franchement, je suis fatigué de faire la même chose depuis de très longues années. Cela devient assommant, d'autant plus que je ne sais plus quoi dire dans mes chansons, puisque tout ce que j'avais à dire, je l'ai dit il y a longtemps. Je ne veux pas répéter la même chose avec de nouveaux mots. En plus, ce n'est pas une vocation pour moi, je n'ai produit que peu d'albums dans ma carrière et ce n'est pas maintenant que je vais devenir prolifique. Bref, je suis à la croisée des chemins... je me pose des questions chaque jour ! Pour le moment, j'ai une idée que j'aimerai bien concrétiser, celle de reprendre les chansons qui ont influencé ma jeunesse, qu'elles soient anglaises ou kabyles.