Invité du Festival Mawazine, Idir, l'artiste kabyle, a enflammé les spectateurs avec des chansons engagées en amazigh et mondialement connues. Il évoque ses premiers souvenirs d'un engagement pour la sauvegarde de sa culture et de sa langue. Militant de la première heure, il livre son avis sur le «Printemps arabe». -Finances News Hebdo : L'universalité de vos chansons s'est imposée à qui s'obstine encore à cantonner la langue amazighe dans la case de langue morte. Quel effet cela a sur vous d'avoir été l'emblème de toute une ethnie dans le Maghreb ? -Idir : Le fait que la langue amazighe est mondialement connue est la preuve que ce n'est pas une langue morte. Je pense qu'indépendamment de la question amazighe, chacun doit rester fidèle à lui-même et l'on peut être minoritaire et universel aussi sans souci. Je crois que j'ai vite compris que quand un pays est sous l'emprise d'une idéologie, il n'avance pas. Quand on a commencé à arabiser les choses, au Maroc je ne peux pas me prononcer, mais en Algérie, mon pays, en 62, on a réussi une seule chose : l'intégrité territoriale. On avait sorti le colonialisme français, on a retrouvé notre territoire l'Algérie. Mais quand il a fallu donner une personnalité à ce pays, on a cru bon la rattacher à un monde arabe, que je n'arrivais pas à comprendre. Pour moi, l'Arabe était l'habitant de l'Arabie. Exemple du Québécois, ce n'est pas parce qu'il parle français qu'il est Français. Je suis arabophone, mais je ne suis pas arabe. Et je me suis rendu compte qu'il existait une espèce d'idéologie qu'on appelait l'arabisme qui tendait à phagocyter l'autre ; soit tu es comme moi, soit tu n'es pas. -F.N.H. : Vous venez d'un pays, l'Algérie, où les Kabyles luttent encore pour la reconnaissance de leur entité. Vous, en tant que Kabyle, comment avez-vous vécu l'omniprésence de l'arabité comme seule identité reconnue de votre pays ? -Idir : Sincèrement je ne comprenais pas autour de quoi cette arabité ferait l'unanimité dans mon pays, surtout qu'en tant que Kabyle, si je n'avais pas quitté mon village et ma région, je n'aurais jamais su ce qu'est l'arabe en tant qu'idéologie. Surtout que la religion musulmane n'impose pas qu'il faut être Arabe pour être bon croyant, ou Kabyle ou autre. Elle ne demande qu'à croire en Dieu si bien qu'il y a des Musulmans bosniaques, chinois, malaisiens ou autres… Il y a plus de logique à avoir une unanimité autour de Dieu qu'autour de l'arabité. Et politiquement, j'en passe, parce qu'on ne peut pas lier un système chérifien d'un Royaume comme le Maroc à un socialisme à la syrienne ou à un libéralisme à la tunisienne … Par contre, il y a des pays où l'on parle arabe, français et berbère et qui sont liés par des intérêts économiques. Et la guerre du Golfe a montré que ces pays arabes pouvaient se meurtrir, le cas de l'Irak avec le Koweit. Et puis humainement parlant, j'estime qu'un pays appartient à ceux qui l'aiment et qui veulent le construire indépendamment de sa langue, de son identité et qui n'est finalement viable qu'au travers de leur diversité ou de sa religion. Au Maroc, tout l'apport de la musique berbère et de l'émotion qu'elle créé, ça compte énormément, elle vit aux côtés de la musique andalouse, ou toute autre forme de musique ou d'art quelle qu'en soit l'origine. -F.N.H. : Cette idéologie s'illustre également dans la finalité à donner à l'Union du Maghreb Arabe. Cela vous a-t-il gêné ? -Idir : Le fait d'appeler la réunion des pays du Maghreb Union du Marghreb Arabe, est une réduction en soi pour les autres composantes de cet espace… Il y a des Juifs, il y a des Berbères … qui vivent dans cette zone. Est-ce qu'on a le droit de leur dénier ce droit d'appartenir au Maghreb ? En Algérie, la plupart des archevêques chrétiens disposent d'un passeport algérien et on ne peut pas leur dénier le droit d'être Algériens simplement parce qu'ils ne sont pas Arabes. Quand on dénomme cette Union arabe, c'est là où l'idéologie devient insidieuse et mène dans un cul de sac parce qu'on ne peut plus évoluer dans cette atmosphère. -F.N.H. : Vous faites partie d'une génération d'artistes qui ont été les porte-étendards de tout un combat pour vivre dignement et vous en aviez payé le prix fort. Comment voyez-vous les jeunes manifestants qui ont provoqué ce qu'on appelle «Le printemps arabe» ? -Idir : Au départ, positivement. Forcément, parce que c'est l'expression du ras-le-bol que les gens vivent et qu'ils ont fini par exprimer en descendant dans la rue et avec les moyens du bord. Après, je me méfie toujours des euphories des lendemains de révolution parce qu'il y a toujours des personnes aux aguets et qui veulent récupérer les efforts des autres. Ce n'est pas nouveau, je dirais même que c'est dans la nature humaine. Si bien qu'actuellement, en Tunisie, on se cherche encore et il y a des choses qui ne fonctionnent pas encore parce qu'il n'y a pas encore un vrai leader pour mener à bon port les efforts déployés. Ce qui est positif, et c'est important à signaler, c'est que ces révolutions n'ont pas l'air de s'acheminer vers des extrémismes puisque leur leitmotiv est la démocratie que les foules ont répété en chœur. Pour ce qui est de l'avenir, je dirais que c'est de la sagesse de chacun. Comme disent les Anglais «wait and see», sans illusions mais sans réserves non plus. -F.N.H. : Ce mouvement de contestation vous parle-t-il ? Peut-il donner naissance à de nouvelles chansons ? -Idir : Forcément. Mes chansons naissent de mon parcours et de mon vécu. Nous étions dans des pays aseptisés où il n'y avait qu'un seul peuple, un seul parti, un seul président, en général à vie, et tout à coup, la donne change et les populations expriment leur aspiration à la démocratie… Il est évident que tout ce chamboulement pousse à la créativité et à faire une chanson qui capture ce moment, telle une archive de l'histoire en cours. Mon vœu est que les gens fassent très attention pour que la transition se passe en douceur, car il ne faut pas oublier l'Occident qui guette et qui a des intérêts en jeu qu'il va falloir déjouer. Mais je ne saurais apporter de solution à cela, je ne suis pas politicien mais artiste. -F.N.H. : Si la vie était à refaire, auriez-vous changé quelque chose ? -Idir : Je pense que oui. L'art est un métier de communication et de contact avec les autres et il me permet de sortir de ma logique intérieure, de voir les gens autrement. Je vois des milliers de gens, qu'il s'agisse de proches ou du public, et par la force des choses, cela m'apprend à connaître l'autre et à me connaître un peu plus moi-même ! Propos recueillis par Imane Bouhrara