Les jeux sont presque faits ! Grâce aux sondages, il n'y a pas eu de grande surprise : le candidat du Parti socialiste (PS) François Hollande et celui de l'Union pour la majorité populaire (UMP) Nicolas Sarkozy ont été portés dimanche dernier par les Français pour poursuivre la course à l'Elysée, lors du second tour programmé pour le 6 mai prochain. Un scrutin largement suivi par-delà des frontières hexagonales, comme au Maroc où la Toile s'est enflammée avant même la proclamation des résultats officiels définitifs. Au-delà des scores réalisés par les différents candidats et du taux de participation qui a été plus consistant que prévu, c'est la surprenante montée en puissance de l'extrême-gauche et principalement du Front national (FN) de Marine Le Pen qui a suscité les commentaires les plus à chauds dans le royaume. Arrivée en troisième position avec 17,90% des voix exprimées, soit par près de 6,5 millions de votes, c'est un score historique qu'a réalisé la femme politique, soit plus que les 16,8% de son père Jean-Marie en 2002. Un niveau qui inquiète au sein de l'opinion publique marocaine. L'un des premiers à réagir, Ali Belhaj, du Parti authenticité et modernité (PAM) résume, pour l'essentiel, l'inquiétude des Marocains. «Peut-être que Sarkozy risque de perdre, mais ce qui inquiète de plus en plus, c'est le score du Front national en France», souligne le président de la Région de l'Oriental qui s'interroge par la même occasion : «à ce rythme, la France va-t-elle finir par basculer vers l'extrême-droite ?».Un sentiment largement partagé même parmi les analystes français. Pour Pascal Boniface, président de l'Institut français des relations internationales (Ifri), «le score du FN nuit à notre image dans le monde». De plus, souligne-t-il, «la chasse aux votes pour le second tour accentuerait cette perception». D'autant plus que le FN a décidé de ne pas donner de consigne de vote au second tour. Les 17% de voix enregistrées par Le Pen sont perçues par certains analystes politiques comme «des votes d'adhésion et de partage de valeurs». En bref, le nationalisme est en train de gagner du terrain en France. Une donne qui amplifie les craintes liées à la conjugaison du discours d'une certaine droite dont certains, comme Jean-Daniel Chaoui, candidat du PS aux législatives dans la 10e circonscription des Français de l'étranger qui englobe le Maroc, estiment qu'il n'est pas pour rien dans ce score. En attendant les législatives... Il faut dire que la classe politique marocaine ne s'est pas officiellement prononcée sur les résultats de la présidentielle française. Aucun parti politique marocain ne s'est, en tout cas, prononcé en dehors des quelques réactions isolées d'hommes politiques qui ont suivi avec attention le déroulement de la campagne et attendent l'issue du second tour, pour, le cas échéant, se prononcer. «C'est une affaire interne qui ne regarde que les Français» se hasardent, tout au plus, à nous confier un député dont le parti est pourtant proche, idéologiquement, du candidat arrivé au premier tour. Une prudence qui se justifie pour deux principales raisons. D'abord du fait que les Marocains, en particulier les hommes politiques, savent pertinemment que, quelle que soit l'issue du scrutin, il n'apportera pas un grand changement dans les relations stratégiques qui lient le royaume à la France. La preuve : le passage, à plusieurs reprises, des représentants de haut niveau des principaux candidats au Maroc. Ensuite, l'incertitude qui prévaut sur l'issue du second tour. Sarkozy ou Hollande, les Marocains ne semblent pas vraiment s'inquiéter outre mesure, mais le retour en force de l'extrême gauche cristallise partout les critiques. Pour Younès Eay (Collectif démocratie du Maroc), c'est le score réalisé par les deux principaux partis de l'extrême-gauche qui est à déplorer. «Avec les 11% de Mélenchon, du Front de gauche, et les presque 18% du FN, la France est en train de renoncer à son histoire et à ses valeurs!» Un avis que partage un MRE établi, il y a peu en France et qui pousse les expatriés français à faire profil bas. «Avec une telle montée du nationalisme à l'heure où, dans les pays arabes, la démocratie prend son envol, quelle leçon pourrait-on, désormais, donner aux autres ?» En attendant l'autre rendez-vous tout aussi crucial, celui des législatives en juin, l'opinion tente de tempérer la donne comme Younès, qui fait remarquer qu'«il ne faudrait pas tout de même négliger le fait que c'est plus de 80% des électeurs français qui ont dit non au nationalisme !». Revigoré par son relatif succès, le FN ne cache, d'ailleurs, pas ses ambitions. «Je crois que désormais Marine Le Pen est la chef de l'opposition, parce que Nicolas Sarkozy, me semble-t-il, a perdu cette élection, et il a trop trahi son électorat, et Marine Le Pen, elle, sera là demain, alors que Nicolas Sarkozy avait déclaré que s'il perd, il s'en ira», commente Florian Philippot, directeur de campagne de Marine Le Pen. Trop vite dit peut-être, en attendant la suite du marathon électoral et l'éventualité d'un probable «sursaut républicain» comme en 2002 pour distiller les craintes, de part et d'autre.