Viande, plats cuisinés, produits bancaires et d'assurances, cosmétiques et mêmes des bonbons,... sont tous mis sur les étalages avec le cachet halal, sur les marchés européens. Au Maroc, beaucoup d'analystes s'accordent à dire que sur le créneau agro-alimentaire, par exemple, la question du halal ne se pose pas. Mais qu'en est-il des autres secteurs? C'est dans le monde de la finance qu'aujourd'hui l'introduction du segment halal semble susciter le plus d'intérêt. Le jet semble lâché, depuis 2007, quand Bank Al Maghrib avait donné son feu vert pour l'émergence de cette nouvelle niche. Depuis, les banques (Attijariwafa bank, BMCE...) surfent sur la vague, même si le terme «halal» ou «islamique» est soigneusement esquivé au profit de l'appellation «produits alternatifs», un peu plus neutre. Dans l'assurance aussi, on est en train de se gratter les méninges pour repositionner et orienter «halal» certains produits difficiles à vendre dans le contexte marocain, comme l'assurance-vie. Des sources bien informées rapportent, d'ailleurs, que l'option «halal» fait désormais partie intégrante de la réflexion stratégique de la Marocaine Vie en matière de développement produit. Cependant, la fiabilité du créneau «halal» n'est pas si certaine que cela et d'innombrables zones d'ombre jalonnent son émergence. Véritable business ou simple effet de mode?Quels en sont les risques? Les opportunités actuelles que semble offrir le créneau halal survivront-elles au temps et aux contraintes socioculturelles? Entre succès et scandales En vogue depuis quelques années sur les marchés occidentaux où vivent des fortes communautés musulmanes, le business «halal» suscite aujourd'hui encore plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses. Le marché connaît certes un regain de succès et suscite des convoitises. En France, où on estime la communauté musulmane à près de 6 millions de personnes (soit 10% de la population totale), le créneau halal a réalisé en 2009 un chiffre d'affaires de 5 milliards d'euros, selon l'organisation Islam en France. Toujours dans l'Hexagone, d'autres analyses évaluent la croissance du créneau entre 10 à 15%. Deux phénomènes ont jusque là été le moteur de cette émergence qui prend les allures d'un boom. Il y a d'abord l'importance de la communauté musulmane en Occident de manière générale (20 millions de personnes en Europe, 6 millions en Amérique du Nord...), de plus en plus soucieuse de conserver ses valeurs, même en matière de consommation. S'en sont suivis, la restructuration des commerces (de proximité) ayant traditionnellement servi les besoins de cette communauté et le repositionnement de plus en plus massif des grandes enseignes de l'agro-alimentaire, notamment. Mais derrière l'embellie qu'affiche le créneau, les scandales et les remises en cause s'enchaînent aussi. C'est l'agro-alimentaire dit «halal» qui en est le plus éclaboussé. Premier maillon du problème: les questions liées à la certification. Dans un dossier de synthèse de plusieurs travaux journalistiques et autres consacrés à la thématique compilé par l'organisation «Citoyen français de confession musulmane» (CFCM), divers articles dénoncent aujourd'hui ce qu'ils qualifient de «mafia du halal». Dans un de ces articles se pose le problème en ces termes : «En l'absence d'une réglementation, des individus qui se sont autoproclamés contrôleurs de viande halal, sans scrupules et sans respect pour des millions de musulmans d'Europe et d'ailleurs, entretiennent une vaste tromperie qui leur rapporte des milliards d'euros depuis des années. Ces fraudeurs et escrocs ont créé des associations ou des sociétés arborant tantôt le logo d'un minaret, tantôt le nom de l'islam puis délivrent contre une «taxe halal» de vrais faux certificats de viande halal sans contrôle d'abattage, qui a lieu souvent à des centaines de kilomètres de leurs bureaux». C'est aussi à cette scandaleuse conclusion que débouche une enquête de M6, dans les centres d'abattage et restaurants européens de l'américain KFC. Nouveau souffle ? Commentant la situation européenne, certains analystes estiment que le créneau est incontestablement porteur et mériterait des réflexions au niveau des acteurs nationaux, notamment ceux de l'agro-alimentaire. Selon eux, les scandales et les controverses aux centres desquels se sont retrouvées les grandes enseignes occidentales qui veulent conquérir le segment halal sont en partie liés d'abord à leur manque de légitimité sur le créneau. Aussi estiment ces analystes, si des acteurs de l'agro-alimentaire maghrébins ou de tout autre pays musulman s'attaquent au segment halal occidental, ils pourront réussir sans difficulté car, du fait de leur origine beaucoup de doutes et de suspicions seront naturellement levés. «Pour les acteurs marocains qui veulent se développer à l'export, la montée en puissance du concept halal est une réelle opportunité. Il y a seulement une question de timing. Mais celui-ci semble aussi favorable», observe Denis Germain, directeur conseil de Mosaïk. Selon ce raisonnement, on pourrait alors déduire que Koutoubia par exemple, à l'assaut du marché européen, réussirait beaucoup plus aisément sur le créneau halal que Bigard. Toutefois cette analyse a également des limites, car, en dehors des accusations d'escroquerie qui visent les certificateurs et les enseignes européennes, le positionnement halal commence également à buter sur des risques socioculturels importants, voire très sensibles dans le contexte européen. Quelques clashs ont déjà eu lieu sur ce terrain. Lorsque le restaurant Quick, qui comme tous les autres avait flairé le filon halal et entamé son repositionnement, il a dû faire face à des résistances de différents élus locaux en France, qui ont déclenché une vive polémique. En s'opposant au projet de Quick, les élus ont vu dans l'approche une sorte de stigmatisation et de soutien à l'élan communautariste qui divise déjà la société. Dans ce contexte, un acteur d'origine musulmane qui se positionne sur le halal s'embourberait aussi sans doute. Mais en a-t-il d'ailleurs besoin, si la seule évocation de son origine suffit à lui garantir la sympathie et la confiance de la communauté musulmane d'Occident ? À l'inverse, c'est pour les marques occidentales de la grande consommation qui opèrent dans les pays musulmans que la tâche est souvent difficile. Face à la méfiance des clients sur le caractère licite de leurs produits, celles-ci se trouvent contraintes de rassurer en brandissant un cachet halal. C'est le cas notamment au Maroc de Mc Donald's, qui suite à des attaques a dû bâtir toute une campagne de communication sur le thème halal. Ces contraintes rendent certainement toute analyse stratégique (dans le sens européen comme dans celui des pays musulmans) difficilement précise....car pour l'instant, le halal, s'il réussit, n'en reste pas moins un drôle de business.