Des SMS pour annoncer la faillite d'une entreprise, des fermetures d'usines sans aucune consultation préalable avec les salariés ou leurs représentants (comme c'est le cas récemment de Delta Argile, relaté par la presse)... l'environnement économique vit régulièrement au rythme des licenciements collectifs, souvent orchestrés au mépris total de la législation du travail. Les contraintes sont certes souvent réelles comme l'explique Abdel-ilah Jennane. «Dans cet environnement de plus en plus complexe et imprévisible, les entreprises sont souvent obligées de réduire leurs charges (la masse salariale en particulier), d'adopter de nouvelles technologies moins consommatrices de main d'œuvre, de réorganiser leurs services en fonction de nouveaux impératifs de performance, d'abandonner la production ou la commercialisation d'un produit...», souligne-t-il. Mais en orchestrant ces mesures sans beaucoup d'égard aux règles juridiques et en faisant fi de leurs responsabilités sociales, elles accentuent naturellement leurs difficultés. Ceci dans la mesure où, un «dégraissage», même opéré dans les règles de l'art (suivant un plan social bien élaboré) engendre toujours son lot de difficultés et des risques à gérer. Un vice de procédure dans l'exécution du plan social, un manque d'équité dans le traitement des droits des salariés... et la situation peut tourner au bras de fer, avec des conséquences souvent lourdes. Indignation, conflits sociaux, poursuites judicaires, sanction du marché, font généralement partie du lot. Ainsi, «une grande marque de produits alimentaires s'est vue boycottée par ses clients suite à l'annonce d'un plan social mal ficelé», indiquent des sources. La bataille judiciaire actuellement en cours entre la Banque populaire et ses salariés concernés par un plan social déclenché, il y a quelques années,, en est aussi une parfaite illustration. Pourtant, la législation en matière de licenciement collectif et de déclenchement de plan social est extrêmement précise. Réglementation Selon les dispositions légales, le licenciement collectif est un ultime recours. Celui-ci n'est envisagé que lorsque les autres solutions alternatives ne peuvent plus permettre d'assurer la survive de l'entreprise. À ce propos, explique Chadia El Ouarzazi, inspecteur de travail à la délégation de Casablanca, «avant d'arriver au licenciement pour motifs technologiques, structurels ou pour des motifs similaires ou économiques prévus par l'article 66 du code du travail, la législation marocaine prévoit une mesure moins lourde, qui est la réduction du temps de travail prévue par l'article 185 du même code». De ce fait, l'employeur peut réduire la durée normale du travail pour une période continue ou interrompue après consultation des délégués des salariés. Mais deux types de limites sont introduits par le législateur à ce niveau. Le premier est que la réduction du temps de travail ne doit pas dépasser 60 jours par an. Le second concerne le salaire. Celui doit être payé pour la durée effective de travail et ne peut en aucun cas être inférieur à 50% du salaire normal. C'est en principe seulement lorsque l'action sur le temps du travail s'est relevée inefficace pour sauver la situation économique de l'entreprise qu'un plan social peut être envisagé. Lorsque celui-ci aboutit à des licenciements, la mise en œuvre de la mesure nécessite une demande d'autorisation adressée au gouverneur avec les justificatifs nécessaires et le procès-verbal des concertations et négociations avec les représentants des salariés, tels que prévues par l'article 66 du code de travail. Les justificatifs à présenter sont : un rapport comportant les motifs économiques, l'état de la situation économique et financière de l'entreprise, un rapport établi par un expert-comptable ou par un commissaire aux comptes. Parallèlement, le délégué provincial chargé du travail doit également effectuer toutes les investigations qu'il juge nécessaires pour s'assurer de la fiabilité de la demande de l'entreprise. C'est en principe sur la base de tous ces éléments que le gouverneur de la préfecture ou de la province décide (dans un délai maximum de deux mois à compter de la date de la présentation de la demande) d'autoriser ou d'invalider le projet de licenciement collectif souhaité par l'entreprise. Complexité Avec cette démarche juridique théoriquement bien cadrée, comment peut-on alors expliquer tous les abus qui caractérisent dans la réalité, la gestion des licenciements collectifs ? Pour Chadia El Ouarzazi, «il y a principalement deux raisons. La première, est qu'une entreprise qui déjà en situation normale prend ses aises avec le code du travail est naturellement moins encline à le respecter dans ses moments de difficulté. Ce cas devient encore plus compliqué à appréhender par les inspecteurs du travail, du fait du règne de l'informel». La deuxième raison, elle, est généralement due au laxisme des salariés abusés eux-mêmes. «Si ceux-ci s'estiment lésés et qu'ils viennent nous voir, cela va bien évidemment nous permettre d'être informés des abus et de nous mettre aux trousses des entreprises indélicates. Or, les plaintes ne sont pas monnaie courante», précise El Ouarzazi. Mais pour les professionnels des RH, derrière les «acrobaties» des entreprises pour contourner la loi et éviter la mise en place d'un plan social en bonne et due forme, se cachent des logiques financières. Orchestrée dans les règles de l'art, l'opération nécessite généralement la mobilisation de moyens financiers conséquents, du fait que la bonne conduite d'un plan social nécessite le recours à une expertise externe pour non seulement identifier en amont les risques, mais aussi déterminer les actions à entreprise à l'égard des salariés, de façon optimale et en respectant leurs droits. Il s'agit ici d'étudier la possibilité de réinsérer professionnellement ceux qui peuvent l'être à travers différents dispositifs d'outplacement (essaimage, aide à la reconversion professionnelle, reclassement en entreprise), de définir les conditions de départ de ceux qui ne peuvent pas être recasés (DVD ou retraite anticipé)... Mais il faudrait également gérer le «syndrome des survivants», en donnant encore plus d'assurance aux salariés épargnés par l'opération. Le challenge est donc double, comme le souligne Adel-ilal Jennane : il faut d'une part que ceux qui quittent partent heureux et ceux qui sont épargnés restent sereins. Toutefois, du côté de l'inspection de travail, on avance des arguments contraires, montrant que même lorsque l'entreprise est complétement acculée, elle peut toujours gérer son plan social en conformité avec la loi. «Le ministère de l'emploi a mis en place un dispositif d'accompagnement pour les entreprises devant faire face à l'éventualité d'un licenciement collectif», explique Chadia El Ouarzazi.