La Saint-Valentin passe, mais l'amour reste. À l'heure où dans certains pays, on s'amuse à battre des records du plus long bisou ou du plus tendre câlin, chez nous, on est passé directement à « plus amoureux que moi du Maroc, tu meurs ! ». Après le début de la fin progressive des dictateurs ailleurs, on est en train, chez nous toujours, de passer à la mise en place de la dictature du patriotisme aveugle et du chauvinisme béat. Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul mot d'ordre: si tu aimes le Maroc, tu la fermes ou tu déguerpis ! Haro sur les râleurs, et dehors les marcheurs ! En fait, c'est encore plus sournois que ça : tu as le droit de râler, mais pas de comparer, de marcher, mais pas de gueuler. En effet, ici, ce n'est pas comme ailleurs, d'ailleurs, ici et maintenant, il n'y a pas de place pour les «transposeurs» ! Je ne sais pas qui prend ce type d'initiatives débiles, mais il va falloir qu'ils revoient un peu leurs stratégies, parce que si eux n'ont pas bougé d'un iota, les temps ont sacrément bougé de ton. Je ne vous cache pas qu'il m'arrive encore parfois de croire, peut-être un peu naïvement, qu'il n'y a pas forcément des commanditaires «institutionnels», et que, peut-être, ce ne sont que des individus trop zélés ou trop fêlés pour s'autoproclamer «hauts défenseurs de la nation», une nation qui, paradoxalement, n'est même pas en péril, comme ils tiennent à nous le répéter eux-mêmes, matin et soir, de peur qu'on ne comprenne le contraire. Cela dit, quand je réfléchis bien, je me dis que même s'il n'y a pas, au début, de «téléguidage», il y a par la suite, sûrement, du «rattrapage». J'ai été amené à faire cette déduction quelque peu simpliste pas plus tard que la semaine dernière. Alors que je prenais un café avec un ami, un ami à lui est venu nous rejoindre et qu'il m'a présenté comme «un haut responsable de la sûreté nationale». Il avait une belle carrure et une bonne bouille. Après une légère appréhension somme toute naturelle, et après l'avoir entendu, avec beaucoup d'intérêt et de plaisir, analyser les derniers événements en Tunisie, en Egypte et ailleurs, j'ai commencé à le trouver plutôt sympa. Alors, j'ai pris mon insolence à deux mains et j'ai décidé de lui poser deux ou trois questions qui me brûlaient la langue. La première : «pourquoi la marche de l'amour n'a pas eu lieu ?». Sans même écarquiller les yeux joliment dissimulés derrière de belles Ray-Ban, il me donna une réponse abrupte : «Elle a été reportée !». Encouragé par tant de disponibilité, et comme je n'ai pas toujours l'occasion de faire subir un interrogatoire à un flic, de surcroît, haut gradé, j'ai continué sur ma lancée: «En vérité, j'aimerais bien savoir qui a eu l'idée de cette marche...». Et là, il me lança tout de go, avec un minuscule sourire en coin que j'ai détecté au vol : «C'est une marche spontanée !». Et il ajouta aussitôt à l'adresse de notre ami commun: «Qu'est-ce qui lui prend, à ton pote ? Il était si gentil au début...». J'ai souri parce que j'avais enfin compris que mes soupçons chroniques ne sont pas toujours folkloriques, et en plus j'avais découvert qu'humour et sécurité pouvaient faire parfois bon ménage. Maintenant, revenons à nos amours. Je vous disais donc que depuis quelque temps, certains voudraient nous acculer à choisir entre deux camps : ceux qui aiment leur pays et ceux qui veulent le chaos. De nouveaux hauts parleurs sont en train de surgir en désordre de partout et surtout du néant, pour nous rappeler à l'ordre. Pour leur donner de la crédibilité, on n'hésite pas à leur offrir une légitimité. Je vous donne comme exemple un certain «Bigbrother» - Le Grand frère - qu'on a décidé récemment de consacrer «meilleur blogueur de l'année 2010». Par curiosité maladive, je suis allé lui rendre visite sur son site primé. Dès que j'ai lu les premiers titres, j'avais envie de crier que je n'étais le frère de personne ! Ce monsieur - ou cette dame parce que ce «blog qui libère» avance courageusement sous couvert de l'anonymat – ne dit pas plus ni mieux que ce que je m'évertue à vous raconter depuis tout à l'heure : «Le Maroc, aime-le ou quitte-le !». Tiens, tiens ! Mon petit doigt me dit que bientôt, de là-haut, dans l'Hexagone, quelqu'un va déposer plainte pour plagiat et demander des droits d'auteur. D'ici là, je vous dis bon week-end et vivement vendredi prochain.