Les centres d'appels ont souvent fait l'actualité ces derniers mois. Le débat franco-français sur la délocalisation des services au Maroc a tenu en haleine les opérateurs, inquiets pour le potentiel de développement du secteur. Néanmoins, un autre débat, purement local cette fois, a secoué ce secteur qui déploie à peine ses ailes. La ville de Fès a été le théâtre d'une grosse tension sociale autour du centre d'appels Webhelp, filiale de Webhelp France, en mai dernier. Ce qui n'a pas manqué d'attirer l'attention des poids lourds du syndicalisme, vu que les conditions de travail spécifiques au métier de la Relation client, constituent un vivier pour les centrales syndicales en mal de «clients». Tout a commencé avec les prémisses d'une grève générale du site de Webhelp dans la ville. Les militants de la FDT (Fédération démocratique du travail) se sont rapprochés des salariés du groupe français afin de les séduire; mais, cela n'a pas duré longtemps. Ils avaient oublié une réalité propre à la capitale spirituelle du pays : c'est la ville-bastion de Hamid Chabat, puissant maire de Fès et secrétaire général de l'Union générale des travailleurs marocains (UGTM, une des cinq puissantes centrales syndicales du pays). L'occasion rêvée pour ce dernier de redorer son blason et de revenir en force au devant de la scène. Lorsque le mouvement de protestation commence à prendre de l'ampleur au centre d'appel Webhelp Maroc, en juin dernier, les cadres de la CDT ont un premier contact avec les salariés. Le site emploie 1.600 personnes et ces dernières brandissent la menace d'une grève générale. Leurs revendications tournaient principalement autour de salaires non versés, selon leur bureau syndical. «Nous leur avons expliqué leurs droits et aussi le fait que, comme n'importe quels salariés, ils doivent les revendiquer. En toute transparence, nous les avons invités à réfléchir à intégrer une centrale syndicale de la place pour mieux encadrer leur action. Nous les avons informés que la CDT disposait déjà d'une branche dédiée au secteur», raconte Laila Nassimi, qui était à l'origine de l'affiliation des salariés du centre d'appels Sitel (Casablanca) à la CDT. «Nous n'avons pas voulu leur forcer la main pour rejoindre notre syndicat», poursuit-elle. Finalement, c'est vers les socialistes de la FDT que vont se tourner les salariés de Webhelp... pour une courte durée. «La décision de quitter les rangs de la FDT a été prise à l'unanimité. Il y a eu beaucoup de divergences. Les décisions nous concernant étaient centralisées au niveau du siège de la FDT à Casablanca», explique Imad Zeriouh, porte-parole du bureau syndical de Webhelp Fès. Ce dernier nous expliquera par la suite que le représentant de la FDT dans la ville, député de son état, exploitait leur «cause» pour des calculs électoraux. Ledit député est resté injoignable pour donner sa version des faits. Mais, selon des sources sur place, une autre donne a fait que l'UGTM a pu «récupérer» les salariés de Webhelp Fès. Cette nouvelle carte s'appelle l'«aura» du tonitruant maire de la ville, Hamid Chabat. «L'employeur menaçait de réduire les postes d'emploi. Ce qui a nécessité l'intervention de Hamid Chabat, en sa qualité de maire de la ville de Fès », souligne Imad Zeriouh. Ainsi, Hamid Chabat, dirigeant de l'UGTM et fin politicien a réussi à peser de tout son poids pour contenir le mouvement de protestation. Chabat a frappé d'une pierre deux coups : réussir à contenir momentanément le mouvement de grève et recruter, par la même occasion, les salariés de Webhelp au sein de sa centrale syndicale, l'UGTM. Un coup dur pour la FDT, déjà en déconfiture dans la ville. Pour ce membre du syndicat du Parti de l'Istiqlal, la ville de Fès ne jure que par le nom du secrétaire général de l'UGTM. «Les employés font appel aux centrales syndicales les plus fortes. Il se trouve que Hamid Chabat est maire de la ville de Fès, membre du bureau politique du parti de l'Istiqlal et secrétaire général de l'UGTM. Tous ces éléments ont poussé les salariés de Webhelp a changer de camps et à rejoindre les rangs de l'UGTM», explique ce proche du maire. Pour ce dernier, l'UGTM défend aujourd'hui une nouvelle vision du syndicalisme. Cette vision passe-t-elle par le «recrutement» dans de nouveaux secteurs, dans de nouvelles niches ? Le «sacre» de Fès le confirme, en tout cas. Chabat monte au créneau Selon nos sources, Chabat aurait donc pesé de tout son poids pour épargner un conflit social au sein du premier groupe français délocalisé au Maroc; et partant, convaincre, indirectement, pas moins de 800 salariés de Webhelp Fès de rejoindre les rangs de sa centrale syndicale. Selon ce syndicaliste, fin connaisseur du milieu, force est de constater que le poids et la force d'un syndicat ne se mesurent plus maintenant au nombre de ses adhérents. «Un syndicat est désormais influent s'il s'assure une bonne représentativité dans plusieurs secteurs d'activités. Cela lui assurera, par la suite, une autre représentativité, plus importante, au sein des instances élues, notamment les chambres professionnelles et les commissions paritaires», explique notre source. Le secteur de la Relation client, qui comprend actuellement les 30.000 salariés, s'avère ainsi un nouveau créneau ciblé par les syndicats. D'autant plus que les métiers de la délocalisation trainent derrière eux une étiquette favorisée par des pratiques qui ont fait le tour du marché. On parle d'abus, de conditions de travail difficiles, de rémunérations inadaptées... Une aubaine pour les syndicats. La CDT, l'UGTM et la FDT ne tarissent pas d'arguments, chacun essayant de tirer la couverture de son côté pour gagner un maximum de points, mais tous s'accordent à mettre en avant les droits «bafoués» des salariés dans ces centres. «La législation du travail au Maroc n'est pas adaptée à ce type de nouveaux emplois. L'objectif est de faire comprendre à nos patrons que nous avons besoin d'une convention collective qui réponde à cette nouvelle réalité», indique Laila Nassimi (CDT). Industrie mondialisée, métier particulier, ne se prêtant pas au syndicalisme... la Relation client a longtemps échappé au syndicalisme, jusqu'à il y a deux ans. De plus, c'est la Centrale démocratique du travail (CDT) qui a ouvert le bal à Casablanca en ouvrant deux branches aux centres Sitel et Dell en 2008. S'y ajoute l'affiliation à la CDT de certains salariés de centres d'appels de Maroc Telecom. Après Sitel et Dell à Casablanca, la Centrale syndicale de Noubir Amaoui a tenté de dupliquer l'expérience dans d'autres villes. Fès apparaîssant ainsi dans le viseur de la CDT. Avant la «petite guéguerre» entre l'UGTM et la FDT à Fès, une autre centrale syndicale avait réussi à «séduire» des salariés des métiers de la Relation clients. Il s'agit de la CDT, qui compte trois centres d'appels affiliés : Dell, Maroc Telecom et Sitel. Selon cet observateur, même si la CDT est fortement présente dans le secteur à Casablanca, elle n'a «pourtant rien généré de concret en matière d'actions et réussit difficilement à rassembler les salariés, pourtant unanimes sur leur situation». Si Laila Nassimi reconnaît cet état de fait, elle tient toujours à rappeler que le métier de «professionnel de la Relation client» en lui-même est nouveau. «C'est une expérience unique. Un jour, pour lutter contre les abandons de postes, mon patron m'a demandé de mettre sur pied des délégués du personnel. On a organisé des élections sur la base d'une liste unique, puis on a intégré la CDT. Aujourd'hui, plus de 60 % du personnel de Sitel adhèrent à la CDT», souligne-t-elle. Pour la FDT, les choses étaient moins faciles. «Nous avons eu beaucoup de mal à expliquer nos activités à nos interlocuteurs de la FDT», indique Imad Zeriouh, porte-parole des salariés syndiqués de Webhelp Fès. L'UGTM a-t-elle compris le fonctionnement particulier du secteur ? En tout, la centrale syndicale de Chabat aurait tellement «séduit» ses nouvelles recrues, qu'ils ont décidé de créer une branche «centres d'appels» au sein de l'UGTM, à l'instar de celle de la CDT, basée à Casablanca. Et l'on commence déjà à parler, au sein des deux branches, de campagnes et d'actions de sensibilisation ciblant les salariés des autres Centres d'appels de la place.