Après avoir quitté le Maroc par la petite porte, les investisseurs du Golfe seraient-ils en train de revenir? Des signaux concordants laissent croire que c'est bien le cas. Rien qu'en juillet dernier, deux entreprises de la région officialisaient la création d'antennes locales : l'émirati Mobiserve, leader en solutions d'infrastructures IT et CashU, le premier distributeur de cartes prépayées au Moyen-Orient. Ce début août encore, l'on apprenait que le Royaume est envisagé comme zone d'implantation d'une raffinerie par la compagnie pétrolière appartenant à l'Etat d'Abu Dhabi, International Petroleum (voir Les Echos quotidien du 10 août). Le début d'année a également eu son lot d'annonces. En janvier dernier, Emirates International Investment Company (EIIC), le bras armé du conglomérat public émirati National Holding dans les investissements financiers, officialisait la création d'une structure basée à Rabat et dédiée à la gestion d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), AD Capital. Anecdotiquement, l'apparent regain de vigueur des investisseurs du Golfe fait aussi qu'ils recommencent à alimenter les rumeurs de marché. Ainsi, il y a quelques semaines, des bruits insistants voulaient que le Qatar ait repris une part du capital de BMCE Bank. Certes, l'on pourrait juger toutes ces prémices encore insuffisantes pour dégager une tendance, mais un évènement capital, devant se tenir dans les semaines à venir, informe bien d'un nouveau mouvement d'ampleur. Le Forum économique mondial (groupement informel des plus grandes entreprises de la planète, célèbre notamment pour sa grande assemblée annuelle à Davos) tiendra sa prochaine réunion pour la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord en octobre prochain à Marrakech. Et, selon les observateurs, la tenue de la prochaine assemblée de l'organisation à Marrakech n'est pas sans lien avec l'ambition des investisseurs du Golfe de saisir les opportunités qu'offre le Royaume. Une ambition que confirmait d'ailleurs le directeur du Forum pour la région Mena, Sherif El Diwani, dans une interview accordée aux Echos quotidien (voir notre numéro du 21 juin 2010). Outre la présence des industriels Renault-Nissan, ArcelorMittal, Audi, Siemens, etc., ce forum devrait donc marquer le regain d'intérêt des grands groupes d'investissements du Golfe pour le Maroc. Et ils seront nombreux à faire le déplacement : Bahrain Economic Development Board, Bahrain Mumtakalat Holding Co. Dubai Holding, Olayan Group (Arabie saoudite), Abu Dhabi Urban Planning Council, Mubadala Development Co (Abu Dhabi), Citadel Capital...Considérant tous ces éléments, il semble que la donne soit sur le point de changer du tout au tout. Car, en remontant tout juste à 2009, ce sont surtout les désistements et les faux-pas des investisseurs du Golfe qui faisaient l'actualité. Pour ne retenir que l'exemple de Sama Dubai, le promoteur émirati n'a récolté que des déconvenues avec son projet Amwaj dont il s'est désengagé il y a quelques mois, par manque de fonds. Une récession globale a même touché plusieurs mégaprojets golfiques dans la région maghrébine l'année dernière du fait de difficultés diverses : saturation du marché, hostilité des milieux d'affaires locaux, alertes sur l'environnement et début de crise de liquidité du fait de la morosité de la conjoncture mondiale. Leçons du passé Mais à présent qu'un regain de forme se profile pour les investissements golfiques, certaines leçons se doivent d'être tirées du passé, recommandent les observateurs. En effet, jusqu'à présent, ces investissements ont essentiellement été orientés vers les secteurs du tourisme et de l'immobilier. D'ailleurs, quatre des cinq plus grandes firmes du Golfe opérant au Maroc (Emaar Properties, Sama Dubai, Reem Investments, El Maabar) interviennent dans l'immobilier et le tourisme. Seul Taqa, le spécialiste de l'énergie établi à Abu Dhabi et concessionnaire de la centrale de Jorf Lasfar fait exception. Or, cette situation n'est pas sans induire des effets pervers. L'orientation quasi exclusive de l'investissement golfique vers l'immobilier a déjà développé des comportements spéculatifs sur le marché du fait de l'abondance de la demande des investisseurs arabes qui ont tiré à la hausse les prix de l'immobilier et du foncier. Qui plus est, les créations d'emploi et l'effet d'entraînement sur les autres secteurs d'activité, que peut induire l'immobilier, demeurent bien moins importants que ce que peut générer un investissement productif, notamment industriel. Partant, le défi actuel est de diversifier et d'orienter l'investissement golfique vers d'autres secteurs. Pour l'heure, «les marketteurs marocains ne vendent que l'immobilier lors des roadshow du Royaume dans les pays du Golfe», expliquait Mostafa Ahyan, conseiller économique de l'ambassade du Maroc aux Emirats arabes unis lors de la dernière table ronde sur la promotion économique du Maroc à l'étranger organisée en janvier dernier. Pourtant, le timing est idéal pour amorcer la diversification : les investisseurs arabes sont actuellement plus réceptifs aux opportunités de diversification après avoir fait les frais de leurs investissements spéculatifs. «Ils manifestent une certaine inflexion vers des projets moins spéculatifs», confirment les experts du réseau multi-pays de développement économique de la Méditerranée (ANIMA), dans un récent rapport sur les IDE de la rive Sud-Méditerranée. En fait, le changement de tendance est déjà bien perceptible sur les implantations opérées au Maroc depuis le début de l'année, évoquées plus haut : infrastructure IT pour Mobiserve, raffinerie de pétrole pour International Petroleum... L'investissement golfique semble effectivement sortir du traditionnel positionnement dans l'immobilier et le tourisme. Même la démarche d'EIIC conforte le changement de cap. En effet, le groupe avait déjà fait une première incursion spéculative sur le marché marocain en misant sur des actions à fort potentiel en Bourse, revendues dans des délais relativement courts. À présent, EIIC se ravise et institue une structure pour la gestion d'OPCVM, des instruments de placement nettement moins spéculatifs. Le groupe songe même, outre l'investissement dans les marchés financiers, à mettre un pied dans le secteur industriel marocain. Dans tout cela, un facteur de risque doit bien être cerné si l'investissement golfique devait reprendre son trend ascendant. En effet, la stratégie adoptée par les grandes entreprises des pays du Golfe jusqu'à présent a consisté à minimiser l'apport initial en devises et à financer une partie des investissements sur le marché local, à travers des filiales implantées au Maroc. Partant, la politique de recours par les investisseurs arabes au financement local constitue une menace réelle dans le contexte actuel de resserrement des liquidités bancaires.