Le 23 février est une journée que les habitants de la station balnéaire Lalla Fatna dans les environs de Safi n'oublieront jamais. Le coup d'envoi a été donné aux pelleteuses pour démolir 25 habitations d'apparence luxueuse, construites sur une zone côtière fermée à l'urbanisation. Les destructions se sont étalées sur trois jours sur le territoire de la commune rurale de Had Hrara, sur une bande de près de 10 km depuis la sortie nord de la ville Safi en allant vers Oualidia. Précisément depuis Borj Nador et jusqu'à une bâtisse baptisée par les habitants «Villa Khalil Adnane», à l'entrée de la station balnéaire de Lalla Fatna. D'autres procédures sont lancées pour élargir le champ d'intervention à quatre autres constructions. Quatre pelleteuses avec leurs ouvriers ont été mobilisées pour les besoins de l'opération, pour un coût de 4.000 DH la journée pour chaque engin. Les frais de démolition seront facturés aux propriétaires des constructions illicites, ce qui demandera certainement aussi des procédures administratives marathon. Des habitants ruraux sont venus assister au «spectacle», se disant satisfaits que de telles sanctions puissent toucher une population qui se considérait jusque là «au dessus de la loi». Pour prévenir tout débordement, les autorités locales ont mobilisé un nombre impressionnant de membres des forces auxiliaires, des éléments de la gendarmerie, fortement assistés par des brigades anti-émeutes équipées de boucliers, de casques et de gilets renforcés. Ces forces n'ont pas eu à intervenir, à part pour les sommations lancées à l'encontre de quelques occupants impressionnés qui ont vite évacué les lieux. «Les rares occupants ou plus précisément les occupantes ont été des femmes amenées depuis Safi par quelques propriétaires moyennant une petite somme d'argent pour servir de barrière humaine. Apeurées par les forces en présence, elles ont toutefois vite déserté les lieux avant que les pelleteuses n'entrent en action», explique aux Echos quotidien un représentant des autorités locales . Les maisons avaient été construites au bord de la falaise le long de la route. La zone n'est pas ouverte à l'urbanisation et un plan d'aménagement est en cours de validation à Rabat, indique un responsable de l'Agence urbaine de Safi. Ces propos ont aussitôt été contredits par l'avocat Me Khalil Lamhoual, président de la commune de Had Hrara, qui précise qu'aucun document d'urbanisme ne couvre cette partie de la commune depuis la plage Lalla Fatna jusqu'à l'entrée de la ville de Safi. Le député, le MRE et les autres... Les démolitions des habitations ont été entamées sur ordre signé de Abdellah Bendhaiba, wali de la région de Doukkala-Abda et gouverneur de la province de Safi. «Il ne s'agit pas de palais ni de villas, mais de simples habitations construites sans autorisation», tient à préciser le président de la commune. Sur le terrain, les finitions et les superficies indiquent tout le contraire. La maison la plus impressionnante est celle d'un député qui siégerait à la Chambre des conseillers. La construction, de plain pied, dont les travaux étaient en cours d'achèvement avec une architecture élaborée, occupait une zone privilégiée au milieu d'une petite forêt au bord de la route, juste à l'entrée de la plage de Lalla Fatna. Contacté par Les Echos quotidien, le député en question n'était pas disposé à répondre à nos questions dans l'immédiat. Il nous a orienté vers un autre propriétaire, un MRE qui est rentré au pays et qui aurait mis toutes ses économies dans ce projet. Le MRE en question, Abderrahim Bouderba, a assisté avec effarement à la démolition de sa maison et s'est dit «victime d'un système». «Mes 7 années de travail à l'étranger et toutes mes économies sont perdues», a-t-il déclaré. «J'ai été dupé par le président de la commune, qui m'avait assuré que les autorisations légales seraient ultérieurement délivrées». Il a affirmé avoir entrepris les démarches nécessaires pour régulariser sa situation avant les dates des arrêtés de démolition, mais en vain. Le président de la commune ne l'entendait pas de cette oreille, puisqu'il a veillé lui même à la mobilisation de la commission de démolition. Falaise argileuse et fissurée Les maisons informelles ont été construites sur une falaise argileuse et fissurée relevant des domaines maritime et public. La falaise est dangereuse, avec des reliefs menaçant même d'effondrement par endroits. «Des arrêtés pour cessation des travaux de construction ont été délivrés depuis septembre dernier», explique Me Khalil Lamhoual, président de la commune Had Hrara. Les membres de la commission provinciale ont même constaté que des propriétaires ont bravé le danger en construisant des maisons autour de poteaux de haute tension (22.000 volts). Mais les propriétaires n'ont pas tenu compte des avertissements et voulaient mettre les autorités devant le fait accompli. Les matériaux et les équipements de construction ont d'ailleurs été saisis, mais cela n'a pas suffi à freiner les travaux de constructions illicites. Selon les procédures administratives légales, le président de la commune a déposé plainte auprès du procureur du roi. Le wali a signé les arrêtés de démolition et a chargé une commission provinciale de s'en charger. La loi d'urbanisme est très stricte, mais les moyens d'intervention et de contrôle sont par contre déficients, affirme le technicien de la commune de Had Hrara. Plusieurs intervenants de différentes administrations sont concernés pour statuer sur les constructions, alors qu'il faudrait un seul interlocuteur pour faire face à l'urbanisation dans le rural. Il faudrait une agence «rurale» adaptée aux spécificités d'une population non urbaine dans des habitations dispersées. C'est le cas des douars. «L'agence urbaine est la cause de tous nos problèmes», affirme le président de cette même commune. Très rigide sur les lois, elle applique le dahir de 1992 de l'urbanisme, spécifiant que les habitations en dehors du périmètre urbain doivent s'étendre sur 10.000m2. Cette loi a été assouplie pour être ramenée à une superficie de 5.000m2 pour pouvoir obtenir les autorisations de construire.