Tout le monde se souvient des déclarations triomphalistes de l'argentier du royaume au moment du vote de la Loi de finances 2010 : « La crise mondiale n'est pas forcément une mauvaise nouvelle pour le Maroc ». Le royaume saura, disait-il à l'époque, saisir les opportunités de croissance qui se présenteront à lui. La suite des évènements lui a-t-elle donné raison? À l'évidence non, si l'on se fie aux maigres 515MDH d'augmentation des IDE sur la période de janvier à novembre 2010 ! Comment pouvait-il en être autrement? Par quel enchantement la stratégie économique du Maroc pouvait-elle le conduire à un saut qualitatif majeur dans la hiérarchie des nations ? Dans un contexte d'économie de marché mondialisée, il existe bel et bien une hiérarchie entre les nations, où chacune essaie de prendre des parts de marché aux autres en augmentant ses exportations, en accueillant les sièges sociaux des multinationales, en favorisant l'émergence de centres de recherche universitaires, en offrant aux résidents dans son territoire le meilleur cadre de vie possible pour attirer les fortunes et les talents expatriés ... Audace politique La résilience de l'économie marocaine aux chocs internationaux et la maîtrise des équilibres budgétaires sont bien entendu des éléments à mettre à l'actif de la politique gouvernementale. Il en est de même de la consolidation du secteur financier et de la dynamisation du secteur touristique. La mise à niveau des infrastructures et le recours massif aux entreprises publiques dans la politique d'investissement de l'Etat participent également à ce bilan. Cette politique a permis de maintenir un rythme de croissance du produit intérieur brut de l'ordre de 4% en 2010. Une demande intérieure stimulée par des politiques contracycliques et une bonne campagne agricole (75 millions de quintaux de blé) expliquent aussi ce résultat. Pour autant, la stratégie économique adoptée par le Maroc lui permettra-t-elle de quitter le groupe des pays dits «à revenu intermédiaire» pour se rapprocher des pays avancés ? La réponse est clairement non pour trois raisons ! D'abord, parce que l'élément humain n'est pas au centre des décisions politiques. Initiative nationale pour le développement humain et caisse de compensation n'ont pas eu raison de la pauvreté et de l'analphabétisme, ni du chômage endémique des jeunes diplômés ou de la paupérisation de la classe moyenne. Faut-il rappeler que le Programme des Nations unies situe le Maroc au sein du groupe des pays à développement humain moyen? Il occupe le 114e rang (sur un total de 169 pays) du classement mondial 2010 des pays suivant l'indice de développement humain, loin derrière la Libye, la Tunisie, la Jordanie, la Turquie et l'Algérie qui se positionnent dans le groupe supérieur des pays à développement humain élevé. Une alternative à la politique de saupoudrage social est possible. Elle suppose une audace politique. Elle se résume en une seule idée : la redistribution des revenus et des richesses. Elle se traduit par une politique salariale et une politique fiscale au service des classes moyennes. Hausses significatives et régulières du SMIC, distribution de pouvoir d'achat, relèvement des premières tranches d'imposition à l'impôt sur le revenu et augmentation des taux d'imposition des tranches supérieures pour renforcer la progressivité sont de nature à restaurer la justice fiscale tout en stimulant la demande intérieure. Rehausser la taxation des plus-values mobilières et immobilières, diminuer l'imposition de la consommation par une baisse des taux de TVA, supprimer les dépenses fiscales et élargir l'assiette fiscale sont également des mesures destinées à consolider l'équité devant l'impôt sans nuire à la croissance tout en renforçant la solidité des finances publiques. Aujourd'hui dévoyé, le mécanisme des subventions générales de la Caisse de compensation doit être abrogé au profit d'aides directes plus ciblées et orientées vers les couches sociales les plus défavorisées. Ce nouveau système permettrait de concilier l'urgence de solidarité nationale avec l'impératif de rationalité économique et autoriserait des économies budgétaires ouvrant la voie à des arbitrages novateurs en faveur des départements sociaux tels que l'éducation, l'enseignement supérieur, la recherche universitaire, la formation professionnelle, la santé, les sports ou la culture. Ensuite, parce que le tissu économique marocain souffre d'un grave déficit de compétitivité. Le commerce extérieur représente le talon d'Achille de l'économie nationale et illustre son incapacité à prendre toute sa part dans le développement des échanges de biens et services à l'échelle planétaire et dans la globalisation des transferts de flux financiers. Les exportations peinent toujours à retrouver leur niveau de 2008 et le déficit de la balance commerciale (138MMDH) dépasse le volume des exportations (132MMDH) ; celles-ci étant constituées des phosphates et produits dérivés pour une part importante (le quart en 2010, le tiers en 2008). C'est dire la dépendance du commerce extérieur à l'égard d'un seul opérateur, l'Office chérifien des phosphates. Concernant les entreprises marocaines, celles-ci se caractérisent généralement par la modestie de leur taille, le caractère familial de leur actionnariat et la faiblesse de leurs fonds propres. Les banques, quant à elles, se soucient peu de cette carence entrepreneuriale. Confortablement installées dans un environnement oligopolistique où les deux plus grands établissements bancaires contrôlent les deux tiers du marché, elles génèrent l'essentiel de leur PNB dans l'activité retail banking et dans les placements de trésorerie, principalement en bons du Trésor. Bras armé de l'Etat en matière de politique d'investissement public, la Caisse de dépôt et de gestion privilégie des partenariats «faciles» avec des groupes institutionnels nationaux ou internationaux, souvent dans les domaines de l'immobilier résidentiel et de l'hôtellerie, comme l'illustre la surprenante prise de participation dans le capital du Club Med. Elle œuvre peu en faveur de l'émergence d'un tissu de PME et PMI marocaines et contribue marginalement à la montée en force d'une politique volontariste d'industrialisation et de recherche/développement qui, seule, pourrait restaurer la compétitivité du Maroc et garantir l'emploi de millions de citoyens. Enfin, parce que le pays est freiné dans son développement par l'omnipotence d'une administration corsetée dans des pratiques et des mentalités révolues. Pléthorique et rétive au changement, cette administration réfute les projets de modernisation et s'exonère des impératifs de mesure de performance. Résultat de cette dérive : une masse salariale de la fonction publique (86 milliards de dirhams) pesant lourdement sur le budget général de l'Etat - 35,5% du total - et contribuant à l'endettement public (345,3MMDH, soit 47% du PIB). Le service de la dette (36,5MMDH) devient la deuxième mission de l'Etat, derrière l'éducation nationale mais largement devant la santé, l'agriculture, l'équipement ou l'intérieur. Cette situation d'endettement doit conduire le Maroc à engager dans la durée un indispensable effort d'assainissement de ses comptes publics. Le pays ne doit plus tolérer l'incapacité de ses responsables politiques à faire des économies budgétaires ou à augmenter les recettes fiscales. Comme il doit avoir le courage de refuser le report sur les générations futures des efforts qu'il s'abstient de faire pour conserver ses acquis.