C'est le moment ou jamais ! La convulsion générale provoquée par la crise de la zone euro a fini par plonger dans la récession trois des principaux partenaires de référence du Maroc sur ce continent, à tel point que la demande extérieure du royaume s'en retrouve contre-performante. Cependant, la morosité n'a pas encore influé sérieusement un autre partenaire commercial du royaume. L'Allemagne, qui arrive jusque là à tenir la tête hors de l'eau, serait l'une des économies les mieux prédisposées à prendre le relais en termes d'économie source d'investissements étrangers. En effet, le potentiel des relations économiques entre Rabat et Berlin, pendant longtemps resté dans l'ombre et très peu exploité, semble aujourd'hui s'imposer à l'ordre du jour des deux pays. Le premier cherche jour après jour à lustrer son attractivité en termes de marché à potentiel d'investissement dans un contexte régional où il constitue encore un havre de stabilité, là où le second, face à la saturation du marché communautaire, est à la recherche comme la plupart des pays industrialisés, de plateformes relais pour son tissu industriel. «L'Allemagne a toujours été un partenaire économique privilégié du Maroc, mais les résultats ne sont pas encore à la hauteur de nos attentes et de nos ambitions respectives», constate Rachid Eddouks, directeur de l'antenne allemande de l'Agence marocaine de développement des investissements (AMDI), dont le siège est à Frankfort. Il semble en effet convaincu de l'importance de l'Allemagne en termes de source alternative d'IDE dans le contexte actuel. «Nous n'exploitons pas assez suffisamment le potentiel économique dans nos relations avec l'Allemagne», commente pour sa part, Mbarka Bouaida, ancienne parlementaire et proche des circuits de l'Union europénne (UE). Cette position est quelque peu soutenue indirectement par la représentaion commerciale et industrielle de ce pays. «Nous avons constaté l'année dernière, que les entreprises allemandes visent davantage à délocaliser leur production des autres pays nord-africains vers le Maroc», avance Marco Wiedemann, directeur général de la Chambre allemande de commerce et d'industrie au Maroc (AHK Marokko). Cela étant, la récente visite d'une importante délégation d'hommes d'affaires allemands dans trois grandes régions du royaume est une illustration de ce regain d'intérêt. Le Maroc attractif, mais peut mieux faire ! Cet intérêt est pourtant très nuancé dans les temps actuels, à travers les réalités des chiffres. «Nous notons en effet une légère baisse des installations allemandes au Maroc en 2011», constate-t-on auprès de l'AHK Marokko (Chambre de commerce allemande au Maroc). Le nombre d'entreprises allemandes au Maroc est actuellement estimé par cette dernière structure, à quelque 250 enseignes, dont seulement 170 sont répertoriées à fin 2011 dans les registres de la Chambre de commerce et d'industrie allemande. «Les incertitudes dues au printemps arabe et à la crise de l'euro aboutissent au fait que les entreprises allemandes investissent avec plus de prudence», explique Marco Wiedemann, directeur général d'AHK Marokko. Toutefois, ce dernier place ces chiffres dans une tendance globale observée auprès des investisseurs européens. «Aujourd'hui, la plupart des pays européens sont dans une logique de constitution de provisions à cause de l'incertitude du développement de l'économie mondiale et notamment après l'expérience de 2008, lorsqu'un grand nombre d'entreprises rencontraient des problèmes de liquidités», poursuit le responsable. Du côté marocain, notamment au niveau de l'AMDI, on est confiant de l'attractivité du royaume. «Plusieurs investisseurs allemands sont déjà présents au Maroc et leurs investissements sont performants sur le plan des résultats. D'autres projets sont actuellement en cours d'étude et l'intérêt est croissant pour notre pays», déclare Eddouks. La donne est aussi à la diversification des secteurs investis. Dans ce sens, les plus récentes opérations d'investissement allemandes sur le marché local ont surtout concerné le textile, l'automobile, les machines d'occasion et la chimie, selon les dernières actualisations de la Chambre allemande de commerce et d'industrie. Les énergies renouvelables tendent également à devenir, depuis ces deux dernières années, l'activité de prédilection des investissements du privé allemand au Maroc. En revanche, les entreprises allemandes sont «encore peu représentées dans les secteurs de l'environnement (eau et déchets), bien qu'elles disposent des meilleures technologies dans ce domaine», souligne-t-on auprès des responsables de la Chambre allemande de commerce et d'industrie. Rachid Eddouks, Directeur AMDI Allemagne, Autriche et Suisse. «L'offre industrielle marocaine n'est pas très connue en Allemagne» Les Echos quotidien : À quel niveau de priorité se situe le marché allemand dans le programme de prospection des investissements étrangers de l'AMDI ? Rachid Eddouks : Comme vous le savez, l'Allemagne est la première puissance économique et industrielle européenne. Un des axes de la stratégie de l'AMDI vise ainsi à mettre le Maroc dans l'écran radar des entreprises allemandes. Le royaume n'est pas très connu en Allemagne et encore moins son offre industrielle. C'est pour cela que notre agence a tenu à ouvrir un bureau de représentation à Frankfurt pour servir l'Allemagne et les pays germanophones qui sont à l'origine d'une part très importante des IDE en Europe. Il est à signaler à ce titre, que les investisseurs allemands expriment de plus en plus leur intérêt à l'égard du royaume. Cela se manifeste de diverses façons. D'abord, plusieurs investisseurs opèrent déjà avec de très bonnes performances en termes de résultats. Bien évidemment d'autres projets d'investissement sont actuellement en cours d'étude. Ce qui montre de l'intérêt croissant pour notre pays. Ensuite, il faut rappeler que des visites de plusieurs délégations allemandes au Maroc se sont succédées ces derniers mois. Des visites de personnalités du monde de l'économie mais aussi des représentants de la sphère politique, qui ont exprimé un soutien très clair à la dynamique actuellement en cours dans notre pays. Je pense que tout ceci est de nature à rassurer l'investisseur et à instaurer un climat de confiance favorable au développement des échanges de toute nature entre nos deux pays. L'Allemagne est parmi les pays les moins touchés, pour le moment, par la crise. Pourrait-elle constituer une alternative aux partenaires traditionnels que sont la France et l'Espagne ? La France et l'Espagne sont des partenaires de premier ordre pour le Maroc, et ils le resteront, quelle que soit l'intensité de la crise qui peut les secouer en cette période difficile. De son côté, l'Allemagne a toujours été un partenaire économique privilégié du Maroc, même si les résultats ne sont pas encore à la hauteur de nos attentes et de nos ambitions respectives. Notre ambition est qu'à travers les stratégies sectorielles développées par le royaume, notamment dans les secteurs de l'automobile, de l'électronique, de l'industrie agroalimentaire, des énergies renouvelables, où le Maroc dispose d'avantages comparatifs réels, nous puissions attirer davantage d'entreprises allemandes dans le cadre d'une démarche mutuellement bénéfique. La barrière de la langue est-elle un obstacle pesant sur les relations économiques entre les deux pays ? Il est vrai que la langue est un élément primordial dans les dynamiques de rapprochement des peuples, et cela explique en grande partie les relations particulièrement fortes qu'entretient le Maroc avec la France et l'Espagne. Mais ce qui est intéressant de noter, c'est que le Maroc n'est pas seulement proche de l'Europe sur le plan géographique, il l'est aussi sur le plan culturel et cela constitue indéniablement un atout majeur pour développer des relations de partenariat avec tous les pays du continent européen. Sans oublier que l'anglais est aujourd'hui la langue internationale et que de plus en plus de lauréats des grandes écoles et universités marocaines le maîtrisent. C'est pour cela que nous sommes confiants. Les entreprises allemandes viendront s'installer au Maroc car les opportunités sont nombreuses et réelles, indépendamment de la langue. Point de vue Marco Wiedemann, Directeur général de la Chambre allemande de commerce et d'industries (AHK Marokko). L'Allemagne se trouve aujourd'hui dans une situation économique favorable. En plus, elle parvient toujours à attirer les capitaux provenant des autres pays européens. Selon les premiers chiffres, pour 2011, les exportations allemandes auraient dépassé le seuil de 1.000 milliards d'euros. Pour les entreprises allemandes en particulier, le moment d'investir serait alors propice, même si peu d'entre elles indiquent qu'elles le feront au Maroc. Elles privilégient donc plutôt les pays émergents, tels que les BRIC. J'avance cependant cet argument avec beaucoup de réserve, puique le démarrage effectif du projet DESERTEC prévu cette année, nous montre une réalité contraire. Certainement, l'incertitude face au développement politique en Afrique du Nord a influencé la décision des décideurs allemands d'investir ou non au Maroc. Malgré les événements en Tunisie et en Egypte, on constate que ce bilan du secteur privé est mitigé : tandis que le secteur allemand de la production connaît un essor au Maroc, le tourisme se serait délocalisé vers des pays que les vacanciers estiment plus sécurisés. Pour l'avenir et la crise de la dette, l'engagement du gouvernement allemand via la coopération technique et financière dans les secteurs stratégiques comme les énergies renouvelables et l'agriculture, ne devrait pas changer. Néanmoins, il reste évident qu'une crise économique mondiale aurait des répercussions sur toutes les activités, et cette fois-ci, un retour aux nationalismes économiques (comme il a été évité en 2007) nous semble inévitable, avec ses conséquences sur le commerce international et les IDE.