«La crise est là et il va falloir gérer et faire avec». Mardi à Casablanca, c'est le seul mot d'ordre pour les autorités de tutelle et les professionnels du secteur touristique, réunis pour la présentation du bilan de la saison écoulée et les perspectives pour celle qui n'en est qu'à ses débuts. Aux antipodes du vocabulaire officiel habituel, le ministre du Tourisme Lahcen Haddad n'a fait que confirmer ce qui tout le monde redoutait, parce que prévisible. «L'année 2011 a été difficile et 2012 s'annonce encore plus compliquée». La principale raison en est la conjugaison d'une série de facteurs majeurs, qui ont largement influé sur le secteur touristique national, sur tous les fronts. Il y avait eu d'abord la conjoncture économique et financière, qui affecte le marché européen, principal fournisseur du marché national, l'attentat d'Argana en avril dernier, qui a durement porté un coup à l'image de la destination phare, Marrakech, et le printemps arabe, qui est venu compliquer la donne régionale. Si pour les deux dernières causes, les craintes semblent dissipées et l'impact circonscrit, pour la crise, le défi est loin d'être relevé, avec des perspectives économiques assez moroses pour 2012, comme le confirment tous les indicateurs internationaux en la matière. Pourtant, le Maroc peut s'estimer relativement heureux au regard des résultats enregistrés dans ce contexte de turbulences, qui a eu raison de plusieurs destinations de niveau mondial, comme les concurrents voisins, l'Egypte et la Tunisie. Selon les chiffres de l'observatoire national du tourisme, l'année 2011 pour le secteur touristique, c'est 9,34 millions d'arrivées enregistrées aux postes frontières, ce qui correspond à une augmentation de l'ordre de 1% par rapport à l'exercice précédent. S'agissant des recettes globales, elles ont augmenté de 4% par rapport à 2010, pour atteindre un total de 59 milliards de DH, chiffre qui confirme l'évolution des dépenses touristiques malgré la chute des nuitées. Ces résultats stables, sous d'autres cieux, auraient été considérés comme une véritable performance. En comparaison, le marché égyptien s'est effondré de 33%, tout comme le tunisien, qui a chuté de près de 40% su la même année. «Le Maroc est l'un des rares pays qui a su maintenir ses parts de marchés dans un contexte de conjoncture difficile», a reconnu le ministre Haddad, s'appuyant sur les statistiques officielles, sans toutefois sombrer dans un optimisme plutôt risqué pour la saison en cours, annoncée pourtant comme celle de la reprise. La prudence est justifiée, car aussi illustratifs etsatisfaisants que soient les chiffres, il y a des raisons d'inquiétude. L'incertitude totale au niveau des principaux émetteurs empêche toute visibilité pour la suite de l'année, plongeant ainsi opérateurs et autorités dans une sorte d'attentisme où le maître mot reste celui de la mobilisation. Le président de l'Observatoire du tourisme, Kamal Bensouda, est sans concession à ce sujet. «Nous sommes en plein impact de la récession qui frappe l'Europe, où se trouve notre bassin naturel de clients», a-t-il affirmé, résumant par la même occasion les craintes des professionnels du secteur, voyagistes et hôteliers. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, puisque le nombre de nuitées a baissé de près de 6%, en grande partie dû à une perte de parts sur les principaux marchés fournisseurs avec 51% des nuitées perdues dues sur marché français, 14% sur le marché espagnol et 11% sur les marchés allemand et scandinave. En termes d'arrivées, 64% de la baisse enregistrée s'explique par le recul constaté sur les trois premiers marchés que sont la France, l'Espagne et l'Italie. Selon les destinations, Fès a certes enregistré la plus forte baisse de l'année (22%) par rapport à 2010, mais c'est surtout la baisse des nuitées enregistrées à Marrakech qui a le plus touché le tourisme national. Avec un recul de 9% en 2011 comparé à 2010, la ville ocre a entraîné tout le secteur dans son sillage, puisque cela correspond à 42% des nuitées globales perdues. Heureusement que certaines destinations balnéaires ont permis de limiter la casse, en réalisant de très bons scores. La station touristique de Saadia a par exemple, enregistré une croissance de 47%, ce qui correspond à une part de 38% des nuitées additionnelles. Mazagan a connu une évolution de 6% et Essaouira 3%, loin de la moyenne nationale, qui est de 1%. Toutes les destinations ont, d'ailleurs, terminé l'année dans le rouge. Casablanca a, ainsi enregistré une perte de 5%, Ouarzazate a perdu 6% et Agadir 7%. Seul Tanger a pu faire un mieux avec une croissance stable par rapport à 2010. Pour les opérateurs, l'impact a été plus amplifié. «Le taux d'occupation moyen n'a été que de 40%, alors que les prix moyens ont baissé de 12%», ajoute, Ali Ghannam, président de la Fédération nationale du tourisme, qui résume l'impact par un seul indicateur, celui du chiffres d'affaires, qui a baissé de près de 20%. Le tourisme interne sauve la mise L'une des bonnes nouvelles à retenir de la saison écoulée, c'est la montée en force du tourisme interne. «Le marché national a ainsi progressé de près de 7%, alors que 63% des nuitées additionnelles sont générées par les résidents», selon le directeur de l'observatoire du tourisme. Sur certains marchés nationaux comme Fès et Ifrane, les touristes locaux arrivent même en première position. Un potentiel sur lequel il faudrait optimiser pour parer à toute éventualité et amortir l'impact de la saison 2012, très chargée en risques de toutes natures. C'est un horizon dont les professionnels espèrent sortir indemnes, en capitalisant sur la capacité de résistance de l'industrie touristique. «Des crises, nous en avons connu et nous en connaîtront certainement d'autres», déclare Ali Ghannam, qui appelle à la mobilisation, surtout que les opportunités ne manquent pas. Les excuses de la RAM La réduction de la capacité aérienne sur plusieurs marchés émetteurs entraînera des baisses significatives en termes d'arrivées touristiques et de nuitées, ont estimé les professionnels et les autorités de tutelle, qui s'appuient sur la corrélation, très significative souvent, entre les mouvements d'avions et celle des nuitées. Une remarque à peine voilée pour la RAM, qui a supprimé plusieurs dessertes dans le cadre de sa restructuration, toujours en cours. Cette situation a durement iflué sur les opérateurs, puisque dans le même temps, plusieurs compagnies aériennes low cost ont déserté le marché national pour cause de récession. Toutefois, le transporteur national historique plaide non coupable. Son représentant à la rencontre a eu tout le mal du monde à répondre aux opérateurs, préférant mettre en avant «la logique d'entreprise», qui a imposé à l'entreprise une reconfiguration stratégique pour survivre. On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs. «Nous restons solidaires et engagés avec vous pour la réalisation de tous les objectifs définis dans la vision 2020, tout comme nous l'avons fait pour la vision 2010, a souligné le responsable de la RAM. En ce sens, il a annoncé l'arrivée fin mars de deux avions de nouvelle génération, commandés par la compagnie et qui permettront de mieux renforcer la desserte et de servir de relais sur plusieurs nouveaux marchés cibles.