L'arrivée, le 1er novembre, de la nouvelle société délégataire pour la gestion des bus dans la région de Rabat s'est accompagnée d'une polémique dont se serait bien passée la filiale de Veolia. Vous avez peut être vu à la télévision ces sit-ins de protestation où les manifestants réclamaient leur insertion dans l'organigramme de la nouvelle régie. Il s'agissait des employés des huit compagnies privées qui ont cessé leur activité cette année (Raha, Karama, Soctrab, Hana, Ahssen, STHB, STB, Luxe Transport). Ils demandaient le respect d'une convention signée en février entre la wilaya de Rabat, Stareo et la FDT (Fédération démocratique du travail). Selon ce texte, ils avaient la garantie de conserver, au sein de la nouvelle structure, leur emploi, leur ancienneté et leurs droits acquis, le principe étant de donner la priorité aux gens du secteur. C'est ainsi qu'au début de cette année, tout le monde était d'accord sur le chiffre de 3.200 personnes à recaser. Et, c'est justement le nombre de recrutements que Stareo s'est engagée à réaliser. Bref, en février déjà, neuf mois avant le lancement de la nouvelle compagnie, l'équation semblait résolue et tout le monde s'en félicitait. Pourquoi, alors, ces sit-in et que s'est il passé depuis ? Mille de plus Selon des sources proches de la wilaya de Rabat, le nombre d'employés à réintégrer est plus important que prévu : il y a un millier de dossiers en souffrance. Il s'agirait de travailleurs non déclarés qui ont fait carrière dans les anciennes régies, mais qui n'ont été listés à la CNSS que depuis les derniers mois. En février, ceux-là n'étaient pas comptabilisés. Parmi eux, Brahim, 39 ans et cinq ans d'ancienneté. Il vit avec sa mère dans un deux pièces à Sala Al Jadida. Aujourd'hui au chômage, il travaillait pour l'une des plus grandes compagnies. Le fait de ne pas avoir été déclaré ne l'étonne pas plus que ça : «Dans le transport en commun, il y a beaucoup d'informel, beaucoup de noir. La règle, c'est de tricher, même au niveau des employés. Durant plus de vingt ans, les opérateurs privés n'ont pas respecté leurs obligations de base et ils ont réalisé de gros bénéfices». Pour Mohamed Gharbi, syndicaliste, ces incidents sont révélateurs de l'anarchie du secteur. Ce représentant de la FDT est chargé des questions de transport à Rabat depuis 1981. Il raconte comment sa ville a été pionnière, avec Casablanca et Fès, en matière de privatisation des transports en commun. «C'était en 1986. Cinq groupes familiaux ont obtenu des lignes à Rabat. Des concessions de 25 ans. Ils se sont tous mis sur les trajets les plus rentables, en concurrence avec la régie publique. Or, l'idée était qu'elles soient complémentaires. En principe, c'est la RATR qui devait assurer, seule, les lignes déficitaires, jusqu'à sa mise en liquidation judiciaire». Pour lui, les privés ont mis à mort le transporteur public, en référence à la fermeture de la Régie en 2006. Un déficit qui se chiffre en milliards de DH, mais qui, de l'avis des spécialistes, reste encore difficilement quantifiable. Plusieurs affaires liées à la RATR sont toujours en justice. Dialogue en cours Concernant les sit-in actuels et le dialogue avec Stareo, Mohamed Gharbi se réjouit de la mise en place d'un comité de suivi régulier, piloté par la wilaya, qui réunit employeurs et syndicalistes. «Nous ne lâcherons pas prise et nous remettons en question la liste des 2.650 personnes qu'ils ont embauchés. Plus de 1.200 d'entre elles ne sont pas du secteur». À Stareo, on dit avoir respecté l'engagement de donner priorité aux gens du secteur transport. «Il y a eu le recrutement de l'ensemble du personnel de l'ex-régie de transport et de celui des deux actionnaires marocains de Stareo, à savoir les Transports Hakam et Bouzid». Deux entreprises qui faisaient partie des huit régies privées de transport en commun qui existaient à Rabat. Stareo insiste sur le fait que les questions liées à l'embauche ont toujours été traitées avec le plus grand soin. Le dossier des ressources humaines était au centre des négociations qui ont précédé la mise en service du nouveau transporteur r'bati. La devise du groupe est à ce titre assez explicite : «Relever les défis en soutenant l'emploi dans la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaërs». Autre fait révélateur : le délégataire s'est engagé, le 6 octobre dernier à travers des conventions signées avec le ministre de l'Emploi, à œuvrer au développement des compétences par la formation professionnelle. Concrètement, à ce jour, 2.700 personnes ont été recrutées et affectées à leur poste. Stareo précise : «Compte tenu des sit-in et des protestations des jours derniers, nous avons accéléré les recrutements et avons intégré 500 autres personnes. Ces dernières ne sont pas encore affectées à des postes, mais elles bénéficient d'une indemnité de 2.000 DH net en attendant leur affectation. Nous avons mené cette opération en étroite collaboration et en partenariat avec les autorités». Manque de bus Il y a actuellement à Rabat des bus de toutes les couleurs, avec un même logo. Pour le moment, Stareo utilise une partie du parc des anciennes sociétés. Exploitation temporaire de 350 bus, en attendant l'arrivée de véhicules neufs. En tout, il y aura 543 bus neufs, dont 400 qui seront importés courant 2010. D'ici là, il y aura un manque de bus à Rabat. En effet, une partie du parc ayant été jugée en trop mauvais état, c'est autant de bus en moins dans la ville. Des sources autorisées parlent de 72% de couverture en heure de pointe. En d'autres termes, il y a 28% de déficit. Et autant d'inconvénients pour les usagers, ne serait ce qu'en ce qui concerne les longues minutes, voire longues heures d'attente. Rencontre à un arrêt de bus avec Habiba, résidente à Salé et employée de maison à Rabat : «il me faut plus d'une heure pour aller au travail. Je prends une correspondance et je paye deux fois, ce qui me fait 16 DH de transport par jour, ce qui est beaucoup. Mais bon, ils viennent de baisser les prix, c'est bien !». Le ticket est en effet passé à 3,5 DH au lieu de 4 DH pratiqué jusque-là . Il s'agit d'un marché estimé à plus de 50 millions de billets par an, tel qu'estimé par la FDT. Flash Back Discours de Hassan II en 1986. Le roi aborde des questions relatives à la vie quotidienne des Marocains, notamment le transport en commun. Il annonce, pour la première fois, la privatisation d'un service public, pour venir en appui aux régies de Rabat (RATR), Casablanca (RATC) et Fès (RATF). Cette année là, dans la capitale, il y a d'abord eu cinq sociétés, puis huit (en 1992), puis onze (en 1999) et huit à nouveau, jusqu'en 2009, avec un unique délégataire désigné en février dernier. Depuis 2001, les concessions des huit opérateurs étaient arrivées à terme, mais faute de solution pour transporter près de 140.000 passagers par jour, ils ont continué leur activité avec l'accord des autorités. À la fin des années 80, les privés qui opéraient dans le secteur devaient payer des droits à la régie publique. Aujourd'hui ce sont les communes desservies qui encaissent autour de 2% des recettes, estimées à près de 600.000 DH par jour, selon les estimations de la FDT. Ce qui va changer Pour obtenir son autorisation d'exercer, effective depuis le 26 février, la dernière-née de Veolia Transport a dû convaincre un comité composé d'élus municipaux, de syndicalistes et de cadres du ministère de l'Intérieur. Un bureau d'étude avait été mandaté à titre de conseil. À l'ouverture des plis, en février dernier, Stareo était en concurrence avec trois autres sociétés. Selon un membre du comité de sélection, le concurrent le plus sérieux était Keolis. Mais son offre était moins bonne : il proposait de vendre le ticket à cinquante centimes de plus et l'embauche de seulement 1.600 personnes (au lieu de 3.200). Le schéma de production de Keolis proposait l'externalisation de plusieurs services pour alléger l'effectif. La société voulait aussi mécaniser le poste de receveur. Des options qui ont joué contre elle au moment de l'adjudication du marché : pour le comité de sélection, il s'agissait alors de ne pas créer de tensions sociales et de permettre aux gens du secteur de garder leur emploi. Depuis le 1er novembre, la nouvelle régie privée unique est en activité. On voit le logo Stareo sur les plaques des 350 bus qui circulent aujourd'hui. Ces véhicules proviennent du parc de sociétés qui ont jusque là assuré le transport en commun. Ils en portent d'ailleurs toujours les couleurs. Stareo a décidé de réformer 66 véhicules jugés en mauvais état et promet de respecter son engagement contractuel à propos du parc. En effet, le cahier des charges précise que 543 bus neufs seront mis en service. Des bus importés de France et dotés des derniers équipements. Selon un communiqué de Stareo, la livraison devrait se faire, pour 400 d'entre eux, courant 2010. L'ambition du groupe est grande : on parle de «donner aux usagers les conditions de transport qu'ils méritent» et on se fixe pour objectif d'être aux normes internationales pour un service digne des ambitions de Rabat. On l'a vu, le parc sera renouvelé. On annonce aussi que le réseau sera repensé et modifié. Pour assurer plus de fluidité et une meilleure fréquence, on augmentera le nombre de dessertes et le nombre de lignes sera réduit. On passera de 60 lignes à 40 sur toute la région. Concernant la circulation, des voies spéciales seront tracées sur les grands axes, sur plus de 80 km. Stareo vise l'excellence en matière de sécurité, de confort et de ponctualité. Un transport en commun relooké, histoire de donner une chance aux bus avant l'arrivée du tramway, qui sera lancé à la fin 2010.