Cette fois sera-t-elle la bonne ? L'initiative que viennent de prendre les pays membres de l'Union du Maghreb arabe (UMA) de réactiver la vieille organisation régionale afin de l'ériger en véritable bloc économique et commercial laisse encore perplexe. Pour beaucoup d'observateurs, même si la dynamique politique est, cette fois, de mise, rien ne garantit la réussite d'un tel processus, à défaut de résoudre définitivement certains dossiers cruciaux qui ont, depuis longtemps constitué le point de blocage de l'intégration régionale. C'est à cette seule condition, de nature à mettre fin à toutes les rivalités entre les Etats membres, que l'UMA pourrait renaître de ses cendres. Cette position a longtemps été mise en avant par le Maroc avant que les récents évènements politiques ne viennent changer la donne géopolitique régionale, intégrant de nouveaux défis socioéconomiques, amplifiés par une conjoncture économique et financière. Des facteurs interdépendants appellent une conjugaison des efforts pour survivre, dans un contexte marqué par une mondialisation à grande vitesse. La tendance mondiale actuelle est d'ailleurs à l'émergence des blocs régionaux, même si la situation dans laquelle se trouve la zone euro, l'un des meilleurs exemples en la matière avec près de 68% de taux d'intégration, conforte la thèse des pessimistes sur la question. Au sein de l'UMA pourtant, on y croit et le nouveau souffle insufflé à la dynamique régionale est censé promouvoir les efforts d'intégration, érigés au rang de priorité pour la plupart des pays de la région. Nécessité économique Les raisons de ce regain d'intérêt sont en grande partie justifiées par les impératifs socioéconomiques, avec comme principal enjeu les multiples potentiels de croissance que recèle une probable zone économique intégrée. C'est, d'ailleurs pour montrer leur bonne volonté que les ministres des Affaires étrangères qui viennent de se réunir à Rabat ont décidé de réactiver le projet de création d'une communauté économique à moyen terme. Pour commencer, les Etats membres ont pris l'engagement de donner suite à la ratification de l'accord de libre-échange. En ce sens, une session extraordinaire des ministres du Commerce des pays membres sera convoquée dans les tous prochains mois à Tripoli (Lybie), dont le pays assure la présidence de l'organisation, pour mettre la touche définitive à la ratification de l'accord. Selon le secrétaire général de l'UMA, Habib Ben Yahya, le document est prêt à être signé. Il faut dire qu'en dépit de la léthargie qui a été la marque de fabrique de l'organisation depuis sa création sur le plan politique, les institutions et structures techniques mises en place ont continué à fonctionner régulièrement. À ce jour, et depuis la signature du Traité de Marrakech, en date du 17 février 1989, ce ne sont pas moins de 37 accords et conventions qui ont été conclus par les pays membres, afin de renforcer la coopération maghrébine dans de nombreux secteurs et d'arriver, in fine, à une plus grande cohésion politique et à une meilleure intégration économique. Le secrétariat général de l'organisation n'a pas véritablement chômé puisqu'à ces accords, s'ajoutent ceux conclus avec les autres organisations (processus de Barcelone, UpM...) dont le dernier en date, est le mémorandum d'entente conclu avec le Conseil de coopération des pays du Golfe (CCG) en juin 2010 et la tenue de plusieurs sessions des commissions ministérielles spécialisées, notamment celles en charge des ressources humaines, des infrastructures de base, de l'économie et des finances, et de la sécurité alimentaire. Mécanismes d'intégration Si le projet de création d'une zone de libre-échange ne date pas d'aujourd'hui, les récents évènements politiques qui ont marqué plusieurs pays de la région et l'impact de la mondialisation remettent le sujet à l'ordre du jour. Analysant les opportunités qui se profilent pour la région dans le cadre du nouvel ordre géopolitique et économique mondial, Jean-Louis Guigou, directeur délégué général de l'Institut pour la méditerranée (IPEMED) fait remarquer, dans une tribune, qu' «en l'espace d'une décennie, l'Afrique du Nord pourrait attirer les industries manufacturières en grand nombre et devenir une deuxième Ruhr de l'Europe». Le Maghreb, c'est en effet 100 millions de consommateurs potentiels pour les industries locales à l'horizon 2020, un marché auquel s'ajoute celui des pays dans lesquels les membres de l'UMA sont déjà présents, comme en Afrique et qui constituent autant de relais de croissance pour tous les investisseurs du monde. La rencontre de Rabat a également mis en avant la nécessité de réactiver l'installation de la Banque maghrébine d'investissement et du commerce extérieur (BMICE), avec la convocation de l'assemblée constitutive de l'institution dans les prochains mois. La banque, dont l'acte fondateur remonte aux premières mesures prises par l'organisation, en 1990, devrait se charger de la mobilisation des fonds nécessaires au développement économique au niveau régional et de financer ou de participer au financement de projets d'investissement maghrébins et d'opérations de commerce extérieur. Sur le plan commercial, et parmi les mécanismes qui devront être réadaptés et validés, le démantèlement des droits de douane et des taxes d'effet équivalent, l'abaissement graduel des barrières non tarifaires, qui constituent des bases préalables à la libéralisation des échanges commerciaux entre les pays membres. À ce niveau, la convention maghrébine relative à la promotion et à la garantie des investissements, entrée en vigueur en juillet 1993, constituera un précieux cadre légal pour renforcer l'ouverture. Ce chantier vaste et assez ambitieux requiert une procédure qui risque d'être longue, sans tenir compte des éventuels risques d'achoppement en cours de validation, tellement certains sujets paraissent sensibles. Il n'en reste pas moins que c'est le prix à payer pour parvenir à la concrétisation de ce vieux rêve communautaire, dont l'issue paraît désormais inéluctable, en misant sur une approche progressive et sectorielle dans leur effort de réalisation d'une véritable intégration régionale comme prônée par l'Algérie et basée sur le concept de complémentarité, afin d'atténuer les «effets pervers» pour certaines économies. Les pays membres de l'UMA veulent se donner une nouvelle chance. Il reste à savoir si cette approche pourra à terme aboutir à l'objectif fixé, puisqu'on ne peut parler de zone de libre-échange avec une restriction de la circulation des personnes et des biens, comme c'est le cas, actuellement, avec la fermeture des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Comme quoi, rien ne sert de courir, il faut juste savoir partir à point... L'UE, la leçon pour l'avenir Les risques d'éclatement de la zone euro, qui illustrent actuellement l'une des crises majeures des modèles d'intégration régionale est, sans conteste, de nature à soulever des inquiétudes sur la pertinence d'un projet de regroupement économique. Surtout pour des économies émergentes comme les pays membres de l'UMA. Ce prétexte ne tient pas, à en croire Jean-Louis Guigou, qui relève le fait incontestable que «dans la mondialisation, l'avenir appartient aux ensembles régionaux de plus d'un milliard d'habitants». Les progrès enregistrés au niveau d'autres blocs régionaux appellent d'ailleurs une autre lecture. «Les échanges commerciaux entre les cinq pays de l'UMA sont les plus faibles relevés à l'échelle mondiale pour une zone de coopération déterminée. Le commerce intra-maghrébin représente moins de 2 % du commerce extérieur global de la région et la tendance est à la baisse depuis longtemps, alors que ce taux d'intégration commerciale est de 6% pour l'UE, de 25 % pour l'ASEAN, de 14 % pour Mercosur et de 5 % pour le Conseil de coopération du Golfe, rappelle l'économiste tunisien Radhi Meddeb. Pour le continent africain, cette moyenne est de 10%, ce qui a poussé l'Union africaine à se pencher sur la question lors de son dernier sommet tenu en janvier à Addis-Abeba. Les dirigeants africains ont à cette occasion décidé l'instauration d'une zone de libre-échange et de l'Union douanière dans chaque bloc régional, au plus tard en 2017, ce qui constituerait un prélude à la création d'un marché commun continental africain en 2023) pour finalement aboutir à une union économique et monétaire, et donc aussi de la monnaie unique à l'horizon 2028. Une tendance continentale et mondiale, donc, aussi ambitieuse que nécessaire.