Vaut-il mieux utiliser des sacs en plastique ou des sacs en papier ? Une question qui nous renvoie à l'éternel combat entre le pot de fer et le pot de terre, mais qui revient au devant de la scène en raison de deux éléments. D'abord, les premiers pas du Maroc sur la voie du développement durable (une voie que le Marocain lambda a encore du mal à arpenter). Ensuite, une loi, précisément celle du 10 juin dernier, qui a été votée pour encourager l'utilisation des sacs en plastique dégradable et biodégradable, notamment en interdisant la fabrication ou l'importation des sacs en plastique «classiques». Le Maroc emboîte ainsi le pas à d'autres pays qui ont voté des lois similaires. Seulement, le débat sur l'avantage environnemental des sacs biodégradables est loin d'être clos. Au-delà du lobbying effectué par les industriels du plastique et du papier à coup d'études et de contre-études, certains faits techniques permettent d'y voir un peu plus clair. Ecobilan mitigé Commençons par la matière première. On reproche souvent au plastique d'être tiré d'une ressource non renouvelable : le pétrole, bien que, à l'échelle mondiale, la production de matières plastiques ne représente que 4% de la consommation annuelle de pétrole. Quant aux sacs en papier, ils bénéficient d'un avantage : leur origine végétale, associée au recyclage qui est plus développé pour cette filière. Du point de vue de la consommation énergétique nécessaire à la production, la balance penche plutôt pour le sac en plastique, qui consomme 18% de l'énergie nécessaire à la production d'un sac en papier. Mais c'est au niveau de la consommation d'eau que les choses se corsent. En effet, l'un des principaux griefs retenus contre les sacs en papier est leur besoin excessif en eau. La fabrication d'un sac en plastique nécessite en effet 0,7 litre d'eau par sac, contre 8 fois plus pour son homologue en papier. Ce dernier se rattrape tout de même au niveau de la production des déchets, principalement parce que, encore une fois, le recyclage est plus développé dans la filière papier que dans la filière plastique. Cela fait qu'au final, le sac en papier ne génère que 30 grammes de déchets. On ne peut toutefois que regretter que le recyclage du plastique ne soit pas très développé au Maroc, surtout quand on sait que ce processus consomme 90% d'énergie en moins que le recyclage du papier. Mais malgré cet avantage énergétique, certains experts demeurent circonspects quant à l'intérêt écologique de développer le recyclage des sacs plastiques. Car s'il consomme moins d'énergie que pour le papier, il est en revanche très gourmand en eau. Autant de paramètres qui font qu'il est difficile de trancher pour l'un ou pour l'autre, surtout dans un pays comme le nôtre, où le recyclage en est encore à ses balbutiements. Au niveau de l'émission des gaz à effet de serre, le bilan est plus favorable pour les sacs en papier. Ces derniers produisent 30% d'émission en moins que le plastique, qui émet 137 grammes équivalent CO2 tout au long de son cycle de vie. Un bémol toutefois, lorsqu'il finit en décharge, le papier produit du méthane suite à sa fermentation, un gaz qui est 23 fois plus nocif que le CO2. Une étude menée par Pricewaterhouse Coopers a retenu huit critères pour dresser un éco-bilan de ces deux types de sacs. Ses principales conclusions sont mitigées. Cinq critères sont systématiquement en faveur du papier : la consommation d'énergie non renouvelable, l'émission de gaz à effet de serre, la production de déchets non dangereux, la production d'oxydants photochimiques et le risque environnemental lié à l'abandon dans la nature. D'un autre côté, deux critères penchent en faveur du plastique : la consommation raisonnable en eau et sa faible eutrophisation (pollution provoquant l'asphyxie des milieux aquatiques). Les oxobiodégradables : la meilleure alternative ? Cependant, des alternatives technologiques commencent à se développer. Les plastiques biodégradables, des produits de plus en plus populaires. DHL vient d'annoncer récemment son intention d'utiliser exclusivement ce type de plastique, pour l'ensemble de son activité au niveau mondial. Côté marocain, des sociétés commencent à investir ce créneau, à l'instar de MarcoPlast qui a investi près de 2 millions d'euros dans de nouvelles machines, en vue de fournir le marché en sacs plastiques oxo-biodégradables (OBD), un nouveau concept qui présente des caractéristiques qui, aujourd'hui, en font le seul produit réellement biodégradable. En effet, les autres types de sacs qu'on affuble de cette étiquette ne sont en réalité que fragmentables. C'est-à-dire qu'ils disparaissent visuellement avec le temps, alors que les résidus de polyéthylène (PE) demeurent présents dans le sol, avec le risque toxique que cela implique. A contrario, les sacs OBD se dégradent en deux phases. Premièrement, ils se fragmentent sous l'effet des ultraviolets ou de la chaleur, puis sont assimilés par les micro-organismes. Pour que ce soit possible, un additif à base de sel de manganèse (plus connu sous le nom de d2w) est ajouté lors du process de fabrication, qui a pour effet de casser les chaînes moléculaires du plastique, et de faciliter ainsi leur biodégradation. Un procédé dont le développement est encore freiné par le surcoût engendré, de l'ordre de 10 à 15%. Un surcoût qui est répercuté sur le prix de vente final. Un facteur qui fait que jusqu'à présent, seules de grandes structures, ainsi que les principales grandes surfaces, ont adopté ce type de sacs. Au delà de l'avantage en termes de préservation de l'environnement, il est clair que l'adoption des OBD par ces enseignes répond à une stratégie commerciale bien précise, notamment en termes de marketing. L'étiquette d'entreprise «éco-citoyenne» n'est pas négligeable en termes d'image, quand elle ne constitue pas un argument compétitif pour décrocher de nouveaux marchés, surtout à l'international. Quoi qu'il en soit, l'utilisation des sacs OBD demeure une bonne manière de concilier les impératifs économiques et écologiques. Maintenant, il faut garder à l'esprit que dans les habitudes de consommation au Maroc, faire ses courses dans les grandes surfaces ne constitue que 10% du global. Ce qui nous pousse à poser cette question : quel sera l'impact de la loi du 10 juin si ses décrets d'application, qui verront le jour d'ici la fin de l'année, ne comprennent pas d'incitations financières, en vue de démocratiser leur utilisation auprès des petits commerces. D'autant plus que, d'après ces derniers, le consommateur marocain a encore la nostalgie du bon vieux sac en plastique noir. A quand des sacs biodégradables noirs ? Commençons par tordre le cou à une idée reçue. Si les sacs en plastique noir ont été diabolisés, c'est en raison de leur composition à base de plusieurs types de déchets plastiques, mais en aucun cas à cause de leur coloration, bien au contraire. En effet, la teinture noire de ces plastiques est un colorant à base de carbone, qui est beaucoup moins polluant que la teinture rouge des sacs «nouvelle génération» que l'on retrouve chez l'épicier du coin, et qui est très polluante en raison de la présence de sulfates de fer. Donc, pourquoi ne pas teindre les sacs biodégradables en noir, et répondre ainsi à la demande d'une large frange de la population pour qui le besoin de discrétion fait partie intégrante des habitudes de consommation? Il semblerait que les autorités aient voulu instaurer une sorte de rupture psychologique avec les anciennes pratiques, en assimilant couleur noire et pollution dans l'esprit des consommateurs. D'autres pays ont suivi des voies plus radicales. En Tunisie, le producteur qui met sur le marché un produit emballé est tenu d'assurer lui-même la reprise, ou d'en confier la reprise à un tiers. Mais l'exemple irlandais semble plus intéressant, puisqu'il se base sur l'instauration d'une taxe de 15 centimes d'euros sur les sacs en plastique dans les magasins, ce qui a eu pour effet de diminuer de 90% la consommation de ces sacs à peine deux ans après l'instauration de cette taxe. Cerise sur le gâteau, les revenus de cette taxe sont reversés intégralement à un Fonds pour l'environnement, qui prévoit notamment un budget de 35 millions d'euros pour le développement de centres de recyclage. Edwin Sluismans, Directeur de Greenberry «Les générations montantes doivent protéger l'environnement» Les Echos quotidien : Décidément, le plastique a mauvaise presse... Edwin Sluismans :le plastique souffre malheureusement d'une image déplorable, principalement en raison de l'absence de mesures de recyclage adéquates, mais ce n'est pas une caractéristique marocaine. En France, seul 21% du plastique est recyclé, et la situation mondiale est encore pire, puisqu'à peine 1% des sacs en plastique utilisés passent par des unités de recyclage. Bien que la loi sur l'utilisation des plastiques biodégradables ait été votée un peu tardivement au Maroc comparativement à d'autres pays, il est clair qu'elle constitue tout de même une avancée en faveur de l'environnement, et qui s'inscrit directement dans la volonté du pays d'œuvrer pour le développement durable. Le développement du plastique biodégradable est-il réaliste face à la prolifération de l'informel ? Des efforts sont réalisés en ce sens. Nous travaillons actuellement avec le département de l'Environnement, ainsi qu'avec la Fédération de la plasturgie, pour encourager l'utilisation des sacs oxo-biodégradables (OBD). Le principal danger du secteur informel réside en l'utilisation de machines obsolètes qui, non seulement fournissent un produit fini de piètre qualité, mais aussi des plastiques d'une épaisseur de 40 microns, ce qui est énorme et dangereux, car cela rallonge considérablement sa durée de vie. L'OBD constitue une alternative sérieuse en ce sens, malgré son surcoût qui peut être facilement rentabilisé par l'optimisation de l'épaisseur des sacs. Comment les décrets d'application de la loi du 10 juin favoriseraient-ils le développement des sacs OBD ? D'abord, il faudrait que ces décrets instaurent la traçabilité du fabricant, à travers l'impression de ses coordonnées sur les sacs. Ensuite, il faudrait orienter la consommation vers les bons produits, car la plupart des plastiques que l'on dit biodégradables ne sont en fait que dégradables. Ils disparaissent certes, mais leurs résidus demeurent fortement présents. Mais le plus important, c'est la sensibilisation. Il faut veiller à ce que les générations montantes développent des réflexes en faveur de l'environnement. Quant aux plus grands, il est vital de changer leurs habitudes de consommation. Peut-être qu'à cet égard le principe du pollueur payeur constitue la meilleure alternative.