Les chiffres sont généralement les meilleurs indicateurs pour évaluer les opportunités d'affaires d'un secteur, quel qu'il soit. Global environmental sustainability Inc (GESI), s'est déjà livré à cet exercice pour le cas du Maroc. Ce bureau a en effet mené une étude sur la faisabilité de traitement et de valorisation des margines. Le projet, financé par la United States trade and development agency (Agence américaine pour le commerce et le développement) pour un montant qui ne nous sera pas dévoilé, était destiné à ausculter le secteur oléicole national et «ce qu'il pourrait gagner de la mise en œuvre d'une filière économique de récupération et de valorisation des margines», comme nous l'explique Ahmed Hamidi, le manager de GESI. Résultats : 257.000 m3, c'est ce que produirait la filière - traditionnelle et industrielle - de trituration et d'extraction d'huile d'olive en volume annuel de margines. Dans ce total, les provinces de Fès et d'El Hajeb, constituent les plus grands bassins du pays de rejet de cette matière. Elles en produiraient, chacune, selon l'étude de la GESI, un volume annuel de près de 80.000 m3/an. Toute cette quantité est généralement rejetée dans les oueds Sebou et Sidi Chahed. La province de Taounate vient en second, avec un volume de 40.000 m3 rejeté par an par les unités de trituration opérant dans cette localité. Les provinces de Sefrou et de Taza s'ajoutent à cette liste avec, respectivement, 35 000 et 27 000 m3/an de margines rejetées dans les cours d'eau naturels. Si le potentiel est là, quel sont donc les principaux obstacles à l'investissement ? «L'un des majeurs, c'est que la majorité des margines est produite par des petites huileries traditionnelles appelées Maasras. Ces huileries sont dispersées et produisent des quantités faibles de margines, pas suffisantes cependant pour faire des stations de valorisation pour chaque maasra», nous explique Ahmed Hamidi, le manager de GESI. Ce dernier pense «qu'il faudrait donc essayer de regrouper le traitement des margines dans des stations de traitements régionales, ce qui permettra d'installer des unités de valorisation dans ces stations de traitement et bénéficier ainsi de l'économie d'échelle pour rendre l'opération rentable». Quel Potentiel ? Il faut savoir qu'au Maroc, la trituration artisanale des olives est d'une capacité de 170.000 tonnes/an, là où la filière industrielle et semi-industrielle livre un volume de 528.000 tonnes/an. «Les unités artisanales utilisent en général des procédés traditionnels d'extraction qui engendrent beaucoup de pertes et de faibles rendements», explique Hamidi. Quant à la catégorie industrielle et semi industrielle, elle fait souvent usage de procédés d'extraction par pression ou des procédés continus à trois phases. «Ce système est moins coûteux, mais produit de grandes quantités de margines», avance le directeur de la GESI. «Il est différent de celui à deux phases, qui produit moins de margines, mais génère un grignon plus humide, qui nécessite un traitement supplémentaire», poursuit-t-il. Du concret Au-delà de l'identification proprement dite de ce potentiel, l'étude de la GESI recommande également la mise en œuvre de solutions sur lesquelles les investisseurs pourraient se greffer. L'une d'elles est la méthode anaérobie, dont les charges en investissements peuvent aller jusqu'à 1,5 million de dirhams par an, répartis sur une durée de vie des ouvrages estimée à 20 ans. La capacité de traitement d'une station de valorisation de margines à type anaérobie, pourrait ainsi être de 24m3 de margines par jour, ainsi que des frais d'exploitation annuelle d'un peu plus de 600.000 dirhams. Ce n'est pas tout. Le procédé anaérobie offre également la possibilité de production d'énergie électrique par valorisation du biogaz que pourrait contenir les rejets de margines. Pour le même modèle de station de traitement prise en illustration dans ce dossier, l'étude de la GESI révèle en effet que près de 200.000 kWh/an pourraient être produits à partir du biogaz généré. Quant à ses possibilités de contribution au marché carbone, près de 1.250 tonnes/an de crédit carbone pourraient être générés et commercialisés. C'est autant de possibilités de création de richesses, encore sous-exploitées. «Cette activité est rentable en terme de minimisation des frais d'exploitation des huileries car la chaleur ou énergie produite par la valorisation des margines peut être utilisée pour réduire la facture énergétique de celles-ci». Pour Abdelwahab Alami, le président du groupe auquel appartient Biovalor, ce manque d'intérêt, entre autres facteurs, s'explique par la «lourdeur des investissements», qui n'encouragent pas les opérateurs à faire le pas. D'où, selon ce dernier, «la nécessité pour l'Etat de soutenir des initiatives de ce genre pour promouvoir les investissements». Le message semble en tout cas bien reçu, du côté du privé, à travers le Centre marocain de production propre (CMPP), relevant de la Commission développement durable de la CGEM. La structure multiplie en effet les appels aux investissements. Quid du voisinage ? Le Maroc n'est pas isolé dans la problématique de gestion des margines d'olives. Le royaume est à l'instar d'autres pays producteurs d'olives de la région, mais où les évolutions semblent plus marquées à propos de ce secteur. La Tunisie en est une parfaite illustration. Ce pays a d'abord commencé par s'offrir la visibilité qu'il lui faut en menant une étude relative à l'élaboration d'un plan directeur pour la gestion de la margine. Elle a permis la création d'un plan d'aménagement et de remplacement des décharges actuelles de margine, ainsi que la détermination d'orientations stratégiques et d'un plan opérationnel pour le traitement et la valorisation de cette matière. Celle-ci devrait passer via l'épandage de la margine sur les terres agricoles domaniales, à raison de 20.000 m3 à chaque ferme sur une superficie de 400 hectares, répartis sur six grandes régions de production de ce pays. Investissement : près du million d'euros. Un projet pilote de gestion intégrée de la margine est déjà lancé dans la région de Sfax, en collaboration avec la société des services des huileries de Sfax (SSH), qui comprend plus de 300 huileries. Une unité de traitement devrait ainsi être réalisée avec la méthode «membranaire», qui devrait permettre d'obtenir des quantités importantes d'eau conforme aux normes d'irrigation agricole. Parallèlement, des sessions de formation et de sensibilisation sont dispensées au profit des producteurs d'olives et des propriétaires des huileries.