«Un nouvel ordre mondial est en train de se construire», avançait Nizar Baraka, hier à Casablanca, pour son mot d'ouverture du Forum de Paris. «Celui-ci nous impose un modèle de coopération inclusif et équitable», enchaînait-il aussitôt. Cette assertion du ministre de l'Economie et des finances donne ainsi le ton des débats qui allaient suivre et dans lesquels il faut avant tout relever le sentiment général de vivre une période charnière. Il ne saurait en être autrement puisque, comme l'explique l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, «Nous assistons à une somme de mutations simultanées». La crise économique, qui traverse l'Europe et les bouleversements politiques que connaît le monde arabe ne sont en fait que la face visible d'une foule de phénomènes qui interagissent pour déboucher sur une redistribution des cartes à l'échelle mondiale. Une chose est sûre, les relations nord-sud ont changé de teneur même si Mustapha Terrab, patron de l'OCP, explique «avoir une impression de déjà vu» invoquant des défauts de fabrication tels que l'absence d'intégration maghrébine ou encore le tropisme qui privilégie l'Euroméditerranée au détriment de l'Eurafrique. Défauts de fabrication Ce sont là justement des travers qu'il faut corriger et le Maroc est en première ligne dans ce travail. «Nous sommes devant des défis importants où le Maroc joue un rôle important», valide l'ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères, Ana Palacio, qui corrobore les propos que Nizar Baraka a tenus un peu plus tôt : «Le Maroc est au cœur de tous ces changements». Il est donc voué à jouer le rôle de pivot de par sa position et surtout des relations privilégiées qu'il entretient avec ses partenaires aussi bien européens, africains, qu'arabes. Toutefois, beaucoup d'obstacles entravent cette dynamique dont le Maroc pourrait se faire le porte-drapeau. Ana Palacio avance d'abord le défi de la perception. «Sur la rive sud, on voit une Union européenne sur le déclin qui n'est plus un partenaire privilégié», souligne-t-elle. Or, nuance Palacio, «l'UE reste la zone la plus riche, la plus libre et celle qui dispose de la meilleure formation». De l'autre côté, «Sur la rive sud, on a peur de la montée des islamistes», reprend-elle avant d'estimer que le Maroc a justement les moyens de corriger cette perception négative. Mais si la solution peut venir du Maroc à ce niveau, la solution passe indéniablement par le royaume en matière d'intégration maghrébine. L'enclavement des pays de l'Afrique du nord coûte à chacun de ces pays 1 à 2 points de croissance chaque année. Hassan Aourid rappelle dans ce sens la récente déclaration du nouveau président tunisien : «Ni le Maroc, ni l'Algérie, ni la Tunisie n'ont les moyens de garantir leur prospérité dans leurs contours». Nouveaux rapports Cette intégration devient le corollaire du développement dans les pays d'Afrique du nord d'autant que les relations avec le nord sont en train de changer substantiellement. «On est à l'orée de nouveaux rapports avec l'Occident», explique Aourid. Plus globalement, l'intégration régionale est l'un des grands chantiers sur lesquels le Maroc est appelé à prendre les devants. Tout comme, il est appelé à prendre le «Lead» dans le sens de l'intégration africaine ou tout comme il peut jouer un rôle de premier plan dans la redéfinition de la nature des nouvelles relations que pourrait entretenir le vieux contient avec l'Afrique. Car, comme l'explique Mustapha Terrab, «l'Europe comme le Maghreb ont besoin d'une nouvelle zone de croissance» et celle-ci est indéniablement à rechercher du coté de l'Afrique. Les pays émergents ne s'y trompent d'ailleurs pas et investissent de plus en plus sur le continent noir. Le Maroc et plus encore ses partenaires méditerranéens et européens sont donc appelés à vite réagir en proposant un nouveau partenariat sous peine de se voir griller la politesse par le géant chinois... Point de vue Jelloul Ayed, Ancien ministre tunisien de l'Economie et des finances. «On a accosté au bon port», avance un Jelloul Ayed satisfait du travail accompli par le gouvernement de transition tunisien, même s'il estime que la phase de transition continue. Et le plus grand défi dans ce sens est ce qu'il appelle «la dictature du moment». «Le peuple veut des réactions instantanées mais les problèmes sont structurels'. L'ancien administrateur de BMCE Bank avoue donc avoir eu recours à des mesures à court terme pour parer au plus urgent comme le programme Amal pour soutenir 140.000 jeunes diplômés chômeurs. Toutefois, Ayed constate l'exiguité du budget de l'Etat tunisien dont la plus grande part est dévolue aux dépenses de fonctionnement. Il fallait donc trouver des solutions alternatives. La première d'entre elles concerne le plan Jasmin qui vise l'encouragement des investissements et qui a porté notamment sur des réformes au niveau du capital investissement et de la micro-finance. L'ancien ministre a aussi créé une caisse de dépôt tunisienne, sur le modèle de la CDG, pour pouvoir ériger un bras financier à l'Etat et ainsi promouvoir l'investissement. Autre mesure, mais qu'il n'a pas eu le temps d'opérationnaliser concerne un fonds générationnel. Ce grand fonds qui chapeaute une multitude d'autres fonds plus petits auxquels le privé peut être associé est une manière pour l'Etat de garder les hautes commandes et d'orienter l'investissement. Toutefois, Jelloul Ayed déplore la faiblesse de la valeur ajoutée de l'économie tunisienne et fait de l'accroissement de celle-ci le défi le plus important des années à venir. Et de conclure : «La transition démocratique ne peut réussir qu'avec la prospérité»...