Si quelques figures féminines se sont fait une place sur la scène médiatique, cela ne reflète en aucun cas la situation des femmes actives au sein des entreprises marocaines. Le Maroc ferait même office de mauvais élève, selon certains classements internationaux. Or, au vu de plusieurs études, la présence féminine dans les organes de gouvernance des entreprises augmenterait leur rentabilité. Détails. De plus en plus de femmes sont appelées à occuper les espaces de pouvoir dans des instances telles que les Conseils d'administration (CA) ou les conseils de surveillance. Au Maroc, une représentation plus égalitaire entre les hommes et les femmes au pouvoir et en termes de leadership n'est pas encore d'actualité. Le statut de la femme marocaine reste vulnérable et ce, malgré la prise de conscience tardive qui n'a débuté que depuis une dizaine d'années. Le nouveau Code la famille (Moudawana) était censé donner plus de droits à la femme, mais certaines lacunes persistent. D'ailleurs, le gouvernement aurait prévu, dans son agenda, de réviser la Moudawana. C'est ce qu'avait déclaré le chef de gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, en décembre dernier à la Chambre des conseillers, affirmant qu'il n'émettait aucune objection quant à la révision du Code de la famille de façon à faire évoluer les droits de la femme. Les efforts du gouvernement se sont également matérialisés par une budgétisation «sensible» au genre. À cela s'ajoutent les lois de Finances qui, depuis 2016, intègrent en guise d'annexe un rapport décrivant la manière d'aborder cette problématique. Ceci, sans compter sur l'article 19 de la Constitution, consacré à la parité. Sur le terrain, plusieurs centres et d'observatoires sont dédiés au genre. Tout ceci rejoint le plan gouvernemental pour l'égalité baptisé IKRAM, point de convergence de toutes ces mesures. Si ces dispositions semblent prometteuses sur le papier, la réalité est toute autre. Il faut dire que sur le plan international, le Maroc fait office de très mauvais élève sur l'aspect de l'égalité des genres. Selon le Global Gender Index 2017 du World Economic Forum, le Maroc fait partie des pays les plus inégalitaires de la région MENA, avec un score de 0,598/1. Il est classé 136e sur 144 pays dans le monde (juste après Oman (133), la Jordanie (134), et le Liban (135) et avant l'Arabie saoudite (141), la Syrie (142) et le Yémen (144)). À ce titre, le Maroc est aussi mauvais par rapport à son continent, l'Afrique. Un rapport de la BAD place le Maroc à la 11e position sur 12 pays. Un constat qui a été confirmé par le Rapport McKinsey -Women Matter Africa 2016- qui a mis en évidence que seules 2% des femmes sont PDG au Maroc contre 5% en Afrique; seules 13% d'entre elles sont membres d'une équipe de direction contre 23% en Afrique, seules 8% des femmes sont présentes dans le CA de grandes entreprises contre 14% en Afrique. Encore plus inquiétant, selon des données de l'ONU, le taux d'activité des femmes est resté quasi inchangé entre 2013 et 2018. Il a à peine bougé en cinq ans, passant ainsi de 22,7% à 23%. Si les classements internationaux sont parfois contestables, rien ne vaut les classements réalisés par les organismes locaux. Là encore, le constat est sans appel. Il existe très peu de femmes dans les postes de direction et encore moins dans les CA. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait essayé de cerner les causes de cette faible participation de la femme au monde économique. Pour l'institut, la situation résulte d'un enracinement socio-culturel «sexiste». À titre d'exemple, la majorité des Marocaines et Marocains seraient favorables à donner la priorité de l'emploi à un homme en cas de crise. Or, un manque à gagner relatif à l'inégalité des chances de travail d'une femme pour l'économie marocaine est considérable. Selon une étude du cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG), il existe une corrélation parfaite (de pratiquement 26%) entre la féminisation des boards et la performance financière de l'entreprise. De plus, le Maroc gagnerait pas moins de 30 milliards de dollars du PIB additionnel, en assurant l'égalité, en termes de participation au monde du travail, entre hommes et femmes. Les bénéfices y afférents sont d'ordre qualitatif et reposent sur une réduction de l'absentéisme ainsi que du nombre d'accidents de travail. Le turn-over se réduit également avec une amélioration de la répartition des tâches et des conditions de travail. De son côté, le ministère des Affaires générales, en partenariat avec ONU Femmes, avait lancé une étude «genre» des textes réglementaires afin de définir des mesures à mettre en œuvre en vue d'améliorer la représentativité des femmes dans les organes de gouvernance. L'objectif de l'étude était de formuler des propositions législatives et réglementaires visant à promouvoir la présence des femmes dans les Conseils d'administration et les conseils de surveillance. Lesdites propositions devaient permettre d'intégrer les meilleures pratiques internationales en la matière. Elles doivent ainsi se conformer aux contraintes normatives existantes, réalistes et surtout pas trop «traumatisantes» pour les entreprises. Ceci dit, un benchmark mené par le cabinet d'avocats d'affaires BFR & Associés a dévoilé que plus la loi était contraignante, plus il y avait de femmes dans les postes à responsabilité. En Norvège par exemple, l'entreprise risque une dissolution si aucune femme ne figure au sein du CA. Au Maroc, plusieurs associations (de citoyens, l'Institut marocain des administrateurs, le Club des femmes administrateurs...) avaient multiplié les efforts pour modifier la législation marocaine en faveur des femmes, sans grand succès. Pourtant, certaines dispositions dans le Code des bonnes pratiques de gouvernance existent. Encore faut il que les entreprises respectent celui-ci sur des aspects généraux. Le CFA, membre du plus grand réseau international de femmes administrateurs, l'association américaine Women Corporate Directors (WCD), a à son seul actif de nombreuses tentatives s'inscrivant dans ce sens. Certaines ont abouti tandis que d'autres ont rencontré plusieurs obstacles. Si le club a échoué à modifier les dispositions législatives pour enfin permettre la présentation de candidatures paritaires, il a en revanche été beaucoup plus efficace auprès de la Banque centrale. Les négociations avec le wali de Bank Al-Maghrib ont permis d'ajouter une disposition ouvrant la voie à la parité de genre dans les établissements bancaires. Cette année, un consortium de plusieurs organismes (BCG, IMA, le Citoyen) oeuvre à la constitution d'une base de données pour recenser des femmes pouvant accéder au Conseil d'administration. Le groupement associatif souhaite l'étoffer pour atteindre 200 à 300 femmes et en faire un vivier de compétences féminines aptes à assumer le poste d'administrateur. Une démarche qui permettra, selon le consortium, de féminiser le board d'un grand nombre d'entreprises publiques et privées. Conscient que la mixité au sein des organes de gouvernance représente un enjeu de compétitivité et de performance économique -et donc une source de croissance- le consortium souhaite ainsi jouer le rôle de catalyseur et mobiliser l'ensemble des acteurs du marché. Ces activistes se concentrent actuellement sur la parité des genres dans les organes de gouvernance, avant de s'attaquer à une autre problématique, relative à l'inégalité salariale au Maroc entre les hommes et les femmes à poste égal (pour un écart de plus de 25%). La DEPP, modèle d'intégration La Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP), relevant du ministère des Finances, semble avoir pris conscience du rôle de la mixité dans le renforcement de l'intelligence collective de la division. Ainsi, sur les 17.600 fonctionnaires du ministère, 40% sont des femmes. Au niveau de la DEPP, la part de femmes est passée à 47% en 2017 (contre 42% en 2015). Sur les 400 responsables et cadres, la direction se compose à 51% de femmes (contre 35% en 2015). Les adjointes, absentes des radars en 2015, représentent actuellement les 2/3 de la population de l'ensemble du ministère. Les cheffes de division représentent 28% (contre 23% en 2015) des employés de la DEPP. Les cheffes de service représentent 47% (contre 23% en 2015).