Pour des raisons de pérennité des recettes fiscales, le ministère de la Justice a choisi de soumettre les actes judiciaires sujets au timbre aboli par l'imposition classique appliquée au sein des juridictions. Dans une circulaire envoyée le 9 février aux présidents des secrétariats-greffes des juridictions civiles, commerciales et administratives, le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar a tenu à mettre les choses au clair au niveau de l'application des frais de justice dans le cadre des contentieux. Depuis l'abolition du timbre de 20 DH, c'est en effet la cacophonie totale dans les tribunaux. «Tous les frais payés dans le cadre d'une procédure judiciaire devront désormais être classés dans la catégorie de taxe judiciaire. Et même si cette taxe est, dans plusieurs cas, payée via le timbre, il ne s'agit pas d'un droit fiscal, mais judiciaire», martèle Aujjar. Pour cela, le ministre rappelle l'échange qui a eu lieu entre le directeur général des Impôts et le ministre de la Justice en 2009, et dans laquelle le percepteur en chef du royaume rappelait que les «requêtes, les originaux des jugements et leurs versions exécutoires, les actes judiciaires et non-judiciaires émanant du secrétariat-greffe, les démarches entreprises par les huissiers de justice, sont exonérés de droit de timbre». Une exception était néanmoins prévue pour les copies de jugements, des arrêts et ordonnances, des traductions, des notifications, des PV de procédures amiables, des contestations de conformités, et de toutes attestations ou copies ou extraits du registre du commerce, qui restaient, depuis 2009, soumis au droit de timbre. «Afin d'assurer la pérennité des recettes, et au vu de la particularité de l'activité judiciaire, ces actes seront désormais l'objet d'une taxe judiciaire, payée contre reçu. Et pour permettre au ministère de suivre l'évolution de cette nouvelle mesure, un registre -dans lequel chaque transaction sera notée- devra être tenu au sein du secrétariat-greffe de chaque juridiction. Pourtant, le paiement de cette taxe n'est pas une démarche de tout repos, assurent les praticiens, qui craignent pour l'efficacité de la mesure prise par le ministre. Le règlement de ce droit est en effet une condition sine qua non pour le déclenchement d'une action en justice. Le règlement des droits de justice peut être retardé de plusieurs jours à partir de la date de la constitution du dossier, voire de plusieurs semaines. Ce n'est pas anodin, car l'avocat joue souvent sur le temps et l'engorgement des tribunaux n'arrange rien», assure un avocat au barreau de Casablanca. En plus d'être une condition résolutoire à la recevabilité d'une demande introductive d'instance, le paiement de la taxe judiciaire -qui s'élève à 1% du montant en jeu- peut également entraver une procédure en cours. En effet, si l'insuffisance d'une perception est reconnue au cours d'une instance, la juridiction saisie ou le président, suivant les cas, sursoit au jugement, soit à l'acte ou à l'opération pendant un délai déterminé à l'expiration duquel, si l'intéressé, aussitôt averti par le greffe, n'a pas versé le complément exigible, la radiation de l'affaire est ordonnée ou la requête est laissée définitivement sans suite. Pire, au cas où la partie qui requiert la délivrance d'une expédition, une mise en demeure ou une mesure d'exécution reste redevable d'une somme quelconque au titre de la taxe judiciaire, le greffier doit surseoir à la délivrance de l'expédition demandée ou à l'exécution de l'acte sollicitée, jusqu'au paiement de la somme due. Raison pour laquelle le ministère de la Justice dit travailler sur «l'adoption du paiement électronique des taxes, frais de justice, et même des amendes», une «proposition phare de la Charte de la réforme que le ministère compte mettre en place avant la fin du mandat actuel». Un droit contesté par la société civile Plusieurs associations critiquent le fait que le déclenchement d'une action judiciaire soit tributaire du paiement d'une taxe. «La justice doit être au service du citoyen, mais cette taxe empêche beaucoup de justiciables de recouvrer leurs droits à travers la justice parce qu'ils n'en ont pas les moyens», explique-t-on du côté du Comité de défense des droits de l'Homme. Dans un document envoyé au ministère de la Justice durant l'élaboration de la Loi de finances, le comité rappelle «que la gratuité de la justice est la règle». Il cite dans ce sens l'exemple français, où le législateur avait introduit la taxe judiciaire avant de la supprimer définitivement.