Le Maroc ne dispose pas encore d'une législation relative à la création d'un mécanisme de prévention de la torture contrairement à ses voisins, la Mauritanie et la Tunisie, ayant déjà pris le taureau par les cornes en 2016. Les parlementaires sont très attendus pour adopter, avant la fin de 2017, le projet de loi sur le CNDH pour que cette institution joue le rôle de mécanisme de prévention de la torture. Le sujet est d'une actualité brûlante au Maroc. Les responsables marocains ne nient pas l'existence encore de mauvais traitements dans les centres de privation de liberté. C'est d'ailleurs ce que viennent d'attester le ministre d'Etat chargé des Droits de l'Homme, Mustapha Ramid et le président du Conseil national des droits de l'Homme, Driss El Yazami. Néanmoins, les deux responsables tiennent à nuancer : il ne s'agit pas d'une pratique systématique. De grands efforts restent à déployer pour améliorer la situation dans les centres privatifs de liberté, notamment les prisons. Les cris d'alerte de la société civile et les rapports établis par le CNDH démontrent la nécessité d'agir pour rectifier le tir. Contrairement à la Tunisie et la Mauritanie, qui ont créé en 2016 les deux premiers mécanismes de prévention de la torture dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), le Maroc ne dispose pas encore d'une législation ayant trait à la mise en place d'un mécanisme national de prévention et de lutte contre la torture, bien que le Parlement ait entériné en 2013 le protocole facultatif à la convention des Nations Unies contre la torture. Il est, ainsi, en retard par rapport à ses voisins en la matière. À cet égard, les responsables marocains appellent plutôt à se référer à la pratique, car le royaume «a déjà fait des progrès sur le terrain comme le démontrent les rapports établis par le CNDH». Mais, il reste beaucoup à faire à commencer par le volet législatif. Aujourd'hui, les parlementaires sont appelés à accélérer la cadence pour adopter avant la fin de cette année 2017 le projet de loi relatif au CNDH qui a été approuvé par le Conseil de gouvernement en mai dernier. Le conseil sera chargé de jouer le rôle de mécanisme national de prévention de la torture. La discussion du texte n'a pas encore été entamée au sein de la commission de la Justice, de la Législation et des droits de l'Homme à la Chambre basse. Ramid, le responsable gouvernemental en charge de ce dossier, affiche le souhait de voir ce texte entériné le plus tôt possible par l'institution législative pour que le Maroc puisse honorer ses engagements internationaux. Concrètement, ce texte va permettre d'instaurer le mécanisme de prévention de la torture. Il conférera au CNDH le droit de visiter tous les centres de privation de liberté : les prisons, les commissariats, les gendarmeries, les hôpitaux psychiatriques, les centres de sauvegarde de l'enfance, les centres d'accueil des personnes âgées, les lieux de détention des étrangers... Grâce à la future loi, les visites du conseil ne pourront pas être refusées. Certes, actuellement, le CNDH ne s'est jamais vu refuser une visite à un centre. Mais, «on peut la rapporter», comme le précise le président du conseil aux Inspirations ECO. Le chemin reste encore long. C'est une tâche fastidieuse qui devra être menée sur plusieurs fronts. «Il s'agit essentiellement d'un travail de terrain», souligne Barbara Bernath, cheffe des opérations de l'Association pour la prévention de la torture (APT) à Genève, le 26 septembre à Rabat, lors de la réunion régionale des Mécanismes nationaux de prévention de la torture en Afrique du Nord. Le ministre d'Etat des Droits de l'Homme met l'accent sur le rôle des magistrats en la matière, mais aussi de l'administration pour transférer les dossiers à la justice qui est le premier protecteur des droits de l'Homme en diligentant des enquêtes dès qu'un citoyen présente des allégations de mauvais traitements et de torture. Les enquêtes doivent être systématiques. «Or, ce n'est pas toujours le cas comme il a été constaté lors du dialogue national sur la réforme de la justice», indique le président du CNDH. Il estime, par ailleurs, que la question ne consiste pas simplement à punir, mais il s'agit surtout de prévenir à travers la sensibilisation aux droits fondamentaux avec les responsables des centres. Grâce au partenariat avec l'administration pénitentiaire, tous les directeurs de prison ont été formés par le CNDH. La même opération est prévue au profit des responsables de la gendarmerie et de la Direction générale de la sûreté nationale. Une autre question est d'une importance capitale : les expertises médicales doivent être systématiques. Le Conseil national des droits de l'Homme a déjà pointé du doigt la situation alarmante de la médecine légale au Maroc. La faiblesse du nombre des médecins spécialisés donne des frissons dans le dos. En effet, le Maroc dispose de moins de 20 médecins légistes spécialisés. Rappelons que selon l'étude faite par le CNDH en 2013, le Maroc ne compte que 13 spécialistes en médecine légale (dont deux professeurs assistants et un professeur agrégé) et un seul service hospitalo-universitaire dans cette discipline. La situation n'aurait pas beaucoup évolué depuis cette date. Une réforme urgente s'impose pour mettre à niveau la pratique de cette discipline qui souffre de plusieurs dysfonctionnements comme les rémunérations jugées trop faibles aux actes médico-légaux requis par le parquet. Un projet de loi sur la médecine légale, préparé par Ramid lors du précédent mandat pour combler le vide en matière de réglementation des activités médico-légales, a été retiré alors qu'il est grand temps de relancer le débat sur le statut de la médecine légale qui s'avère un outil important pour la constatation de cas de violations des droits de l'Homme. Driss El Yazami Président du CNDH Comment qualifiez-vous la situation actuelle au Maroc en termes de prévention de la torture ? Driss El Yazami : Du point de vue du conseil, nous avons fait des progrès. Mais, il reste encore des efforts à déployer. Le CNDH a déjà élaboré des rapports sur les prisons, sur les centres de sauvegarde de l'enfant et les hôpitaux psychiatriques qui ont démontré que, malgré les progrès réalisés, il reste encore des pratiques à abolir. Nous en avons fini, grâce notamment aux travaux de l'Instance équité et réconciliation, avec les pratiques systématiques de la torture et des mauvais traitements. Personne ne conteste, d'ailleurs, cette évidence. Néanmoins, sans que ce soit une pratique systématique de l'Etat, il reste certaines pratiques qu'il faut absolument abolir. Par exemple ? Il s'agit des mauvais traitements qui portent atteinte à la dignité dans les prisons et dans les centres de sauvegarde de l'enfance ou dans certains centres d'accueil de personnes âgées et les hôpitaux psychiatriques. C'est pour cette raison et depuis octobre 2012, le conseil a demandé la ratification du protocole facultatif de la convention de torture et la mise en place de ce mécanisme qui doit voir le jour d'ici la fin de l'année. Cela fait deux ans que nous sommes en train de former nos collaborateurs pour exercer cette mission. La marge de manœuvre actuelle du CNDH reste encore limitée en la matière ? Nous visitons les centres en question comme en témoigne l'élaboration de nos rapports depuis octobre 2012. On a, ainsi, une marge de manœuvre. Le Conseil consultatif des droits de l'Homme a publié le premier rapport sur les prisons au Maroc en 2004 et en a fait une mise à jour en 2008. Mais, ne pensez-vous que les rapports se limitent à des constats et des recommandations sans permettre de réels changements ? Non, ce ne sont pas de simples constats et recommandations. Des changements ont été opérés au cours des dernières années. La qualité du travail et la politique de l'administration pénitentiaire ne sont pas les mêmes qu'il y a quatre ans. Ce changement est déclenché par vos recommandations ? Ce changement est opéré grâce à nos recommandations, mais aussi à l'arrivée de M.Tamek et l'effort qu'il fait. Des changements ont été faits. Mais, la surpopulation carcérale est l'une des causes de l'atteinte aux droits des personnes. Elle n'a pas régressé parce que nous n'avons pas encore dans le Code pénal des peines alternatives. L'inflation carcérale est la cause principale de l'atteinte aux droits des détenus. Il s'agit encore d'une réalité. Plus de 40% des détenus n'ont pas encore été jugés. Le problème est complexe. L'abolition définitive et totale de la torture et des mauvais traitements est dans toutes les sociétés une bataille qui sévit.